Les notaires déplorent les nouvelles mesures fiscales qui “risquent de freiner les transactions immobilières”
Les nouvelles mesures entrées en vigueur depuis le 1er juillet 2024 pour obtenir l’attestation fiscale prévue par l’article 95 du Code de recouvrement des créances publiques agacent les notaires qui estiment qu’elles retardent le processus de vente, ce qui pourrait déboucher sur un sérieux freinage des transactions immobilières.
Les notaires déplorent les nouvelles mesures fiscales qui “risquent de freiner les transactions immobilières”
Partager :
-
Pour ajouter l'article à vos favorisS'inscrire gratuitement
identifiez-vousVous possédez déjà un compte ?
Se connecterL'article a été ajouté à vos favoris -
Pour accéder à vos favorisS'inscrire gratuitement
identifiez-vousVous possédez déjà un compte ?
Se connecter
Kenza Khatla
Le 4 septembre 2024 à 11h59
Modifié 4 septembre 2024 à 16h31Les nouvelles mesures entrées en vigueur depuis le 1er juillet 2024 pour obtenir l’attestation fiscale prévue par l’article 95 du Code de recouvrement des créances publiques agacent les notaires qui estiment qu’elles retardent le processus de vente, ce qui pourrait déboucher sur un sérieux freinage des transactions immobilières.
"L’origine de propriété, le permis d’habiter, une copie de la CNIE du ou des future(s) contribuable(s) vendeur(s), le projet de l’acte de vente ou de promesse de vente, ou encore le certificat de propriété… sont autant de documents que l’administration fiscale exige depuis le 1er juillet 2024, en plus d’une demande sous forme d’informations à renseigner sur un site dédié, pour obtenir, en contrepartie, la fameuse attestation fiscale prévue par l’article 95 du Code de recouvrement des créances publiques de 2011", nous explique Me Mohamed Lazrek, notaire et ancien secrétaire général du Conseil de l’ordre des notaires, joint par Médias 24.
"Conformément aux dispositions de l’article 139 de la loi de finances 2024, ce document autorise les notaires à recevoir, puis à enregistrer leurs actes auprès du service d’enregistrement concerné, avant de les inscrire sur les titres fonciers y afférents. Toutefois, si cette procédure vise à augmenter les recettes de l’Etat, dans la pratique, elle semble ralentir dangereusement la réalisation des transactions immobilières dans notre pays", souligne notre source.
Des dispositions qui retardent le processus de vente...
Selon notre interlocuteur, les contraintes des nouvelles dispositions de la LF 2024, notamment dans son article 139, sont nombreuses et pénalisent aussi bien les notaires que les contribuables.
"L’article 139 de la LF 2024 stipule que les notaires doivent refuser de dresser des contrats de vente sans cette attestation fiscale, qui démontre que le vendeur est en règle avec l’administration fiscale. Cette attestation peut être demandée par les notaires par voie électronique, ce qui est une bonne chose puisque le processus peut être plus fluide. Cependant, l’administration fiscale doit suivre de l’autre côté, pour éviter les blocages, et c’est l’un des principaux problèmes que nous rencontrons depuis environ un mois", déplore Me Lazrek.
"L’administration peut prendre entre une semaine et des mois pour traiter nos demandes, ce qui impacte le déroulement du processus de vente, et par ricochet, les rentrées de l’Etat, qui sont censées s’améliorer par la mise en place de ces dispositions". Ainsi, au lieu d’accélérer les choses, l’Etat les ralentit en passant plusieurs jours à la recherche des dettes du vendeur vis-à-vis de l’administration fiscale, dont il devra s'acquitter avant l’établissement du contrat de vente.
... et qui risquent de ralentir les ventes dans le secteur de l'immobilier
Ainsi, contrairement aux anciennes dispositions, cette attestation, qui concernait auparavant le bien en question, concerne à présent le vendeur. "Ladite attestation fiscale n’est ainsi délivrée au notaire que lorsque le vendeur en question règle préalablement tous les impôts émis ou restant à émettre en son nom. Autrement dit, le contribuable doit payer de ses propres deniers avant d’espérer vendre son terrain ou sa maison", ce qui renvoie à une autre problématique".
En effet, "de nombreux contribuables décident initialement de vendre un de leurs biens immobiliers dans l’unique but de régler leurs créances publiques et/ou privées, qui alourdissent considérablement leurs charges quotidiennes ou pénalisent dangereusement leurs salaires et revenus mensuels". Or, avec les nouvelles dispositions, les vendeurs risquent d'y renoncer, vu toutes les charges qu'ils devront payer avant l'établissement du contrat de vente.
"Cette nouvelle initiative, même si elle paraît moderne et louable, risque malheureusement de bloquer le processus de vente et pourrait même amener certains vendeurs à se rétracter, surtout lorsqu’ils apprendront que les montants réclamés par l’administration fiscale sont abusifs ou contestables et qu’ils risquent de résorber l’intégralité ou une bonne partie du produit de la vente envisagée".
Abus de confiance
D’un autre côté, la loi interdit à présent au notaire de procéder à l’enregistrement du contrat de vente jusqu’à l’obtention de ladite attestation fiscale. En attendant, ce dernier ne peut établir qu’une promesse de vente. Avec les nouvelles dispositions en vigueur, "lorsque les contribuables vendeurs cèdent leurs biens, ils demandent au notaire chargé de la transaction de régler pour leur compte l’intégralité de leurs dettes publiques et/ou privées, avant de percevoir le solde du prix de vente. Or, les notaires sont confrontés à une contrainte légale de taille : l'abus de confiance".
Et Me Lazrek d'expliquer : "la loi 39-08 formant Code des droits réels datant du 22 novembre 2011 précise que l’acquéreur n’acquiert son droit de propriété qu’à partir du jour de l’inscription de son acte d’achat sur les livres fonciers". Ce qui veut dire que dans le système marocain, l’acquéreur n’acquiert son droit de propriété qu’à partir du jour de l’inscription de son acte d’achat sur les livres fonciers.
"C’est dans cette optique que l’acquéreur va déposer le prix d’achat chez le notaire en exigeant le transfert de la propriété foncière en son nom, avant de se dessaisir des fonds dont il n’est que simple dépositaire". Ce n’est donc qu’après avoir réellement inscrit l’acte d’achat auprès de cette agence foncière, que le notaire chargé de la transaction est habilité à se dessaisir du prix de vente entre les mains du/des vendeur(s) ou de leurs créanciers. Sinon, ce professionnel pourrait être poursuivi par l’acheteur pour abus de confiance, s’il s’avère qu’il a décaissé ses fonds avant de garantir leur objet.
"Aujourd'hui, l’administration fiscale semble toutefois faire abstraction de cette règle juridique très importante, puisque ses différents receveurs envoient des avis à tiers détenteurs en courrier électronique aux notaires qui, en conformité avec les prescriptions de l’article 139 de la LF 2024, ont déposé une demande d’attestation fiscale sur le site concerné, pour passer ultérieurement la transaction immobilière projetée. Pire encore, certains de ces préposés du fisc exigent, sous peine de tenir le notaire pour solidairement responsable, le paiement immédiat des sommes saisies, nonobstant la réalisation effective de la vente par l’inscription foncière. D’autres requièrent le paiement préalable des taxes grevant le bien objet de la demande, ou tout autre impôt à la charge du vendeur, même s'ils sont rattachés à d’autres biens ou à d’autres transactions civiles ou commerciales, avant de signer cette fameuse attestation 'de délivrance' fiscale".
Tout cela implique que "les parties, qui n’ont logiquement pas encore signé l’acte de vente immobilière, doivent régler tous les impôts dont ils sont redevables. Ce qui veut dire encore que s’ils ne disposent pas des sommes réclamées, la transaction n’aura jamais lieu", poursuit notre source.
"D’ailleurs, et en poussant le raisonnement plus loin, même si le notaire obtient cette fameuse attestation fiscale, et que le bien objet de la vente n’est redevable d’aucun impôt, les fonds consignés dans son étude ne peuvent être utilisés pour le compte du vendeur pour régler d’autres dettes fiscales, qu’après l’inscription foncière. Or, en pratique, les receveurs et percepteurs, en plus d’envoyer des ordres de paiement sous forme d’ATD, inscrivent parallèlement des hypothèques forcées sur les biens des contribuables débiteurs".
Entre l'abandon de la transaction et l'engagement de la responsabilité professionnelle et pénale, un dilemme de taille pour les notaires
De plus, "lorsque le notaire demande la mainlevée de cette inscription auprès des préposés de l’administration fiscale, ces derniers refusent de lever leur hypothèque avant le paiement des sommes qu’ils exigent. Alors que juridiquement, le notaire ne peut nullement payer ces impôts, avant de garantir à l’acquéreur le transfert de la propriété en son nom, puisque ce n’est qu’après l’inscription foncière que les fonds deviennent la propriété exclusive du ou des vendeurs", ajoute notre interlocuteur.
"Tout cela constitue souvent un obstacle à la réalisation de la vente immobilière, puisque le notaire se retrouve face à un vrai dilemme :
⁃ abandonner la transaction face au refus de se faire délivrer préalablement par le receveur ou le percepteur fiscal la mainlevée d’hypothèque grevant le bien objet de la vente, c’est à dire avant le paiement de l’impôt moyennant un engagement écrit adressé par le notaire au receveur/percepteur fiscal, en attendant l’inscription foncière de l’acte de vente;
⁃ payer l’impôt préalablement à l’inscription foncière en prenant le risque d’engager sa responsabilité professionnelle et pénale. Car dans ce cas, l’acquéreur est en droit d’invoquer l’abus de confiance."
Un arrangement avec les établissements bancaires pour dépasser ces complications ?
Pour faire face à ces complications, les notaires ont réussi à trouver un arrangement avec les établissements bancaires, qui ont parfaitement compris le danger lié à ces contraintes juridiques.
"Lorsque le bien du vendeur est grevé d’une hypothèque conventionnelle inscrite au profit d’une banque, voire même d’un commandement ou d’une saisie pratiquée par ses avocats, le notaire délivre un engagement où il s’oblige à régler les sommes convenues, passé le délai d’un mois. Et dans le cas où il n’utiliserait pas cette mainlevée pour des raisons inattendues, il s’engage à l'annuler ou à la restituer à son initiateur. En pratique, le notaire procède généralement à l’inscription de son contrat de vente, accompagné de la mainlevée d’hypothèque bancaire, puis il procède au paiement du montant promis à la banque avant de verser le solde au vendeur".
"Ce qui revient à conclure que l’administration fiscale ne peut pousser les professionnels à enfreindre la loi. Bien au contraire, elle devra plutôt les aider à s’y conformer. Et dans cette perspective, cette nouvelle procédure semble faire un amalgame entre le droit de priorité fiscal de l’État, et le droit de propriété des fonds de l’acheteur, tant que l’acte d’acquisition n’est pas inscrit sur les registres fonciers. Car si l’administration fiscale dispose d’un avantage de recouvrement, l’acheteur lui, dispose d’un droit de propriété sur son argent qu’il confie au notaire et que ce dernier ne peut en aucun cas transférer au profit du vendeur avant de subroger l’acheteur au vendeur à la conservation foncière".
La solution proposée par les notaires
Quelles sont à présent les solutions qu’on pourrait envisager pour préserver les droits de l’Etat, tout en permettant à l’acheteur de recouvrir la propriété du bien qu’il projette d’acquérir ?
"À mon avis, une simple procédure d’avis à tiers détenteur adressée par les receveurs et percepteurs publics à l’intention des notaires est suffisante pour recouvrir les créances de l’État", estime Me Mohamed Lazrek.
"Et alors même que ces préposés administratifs auraient pratiqué une hypothèque sur un bien immeuble, il doivent, préalablement au paiement de l’impôt, en délivrer la mainlevée aux notaires, tout en les notifiant parallèlement par ATD, des montants à payer après l’achèvement des formalités liées à leur acte de mutation".
"Le notaire sera obligé dans ce cas de régler ces sommes pré-saisies à la fin de ses démarches administratives, et de délivrer le solde du prix de vente, s’il y a lieu, au vendeur, accompagné des reçus justifiants les montants débloqués au profit des receveurs et percepteurs de l’administration fiscale", conclut notre source.
Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!