Deniers publics et droit d'ester en justice. Des associations vent debout contre le projet de Code de procédure pénale
En limitant le droit d’accès à la justice aux associations, notamment en matière de crimes financiers, le projet de Code de procédure pénale, élaboré par le ministère de la Justice, s’attire les foudres de plusieurs ONGs. Un sit-in est même programmé pour le 21 septembre.
Deniers publics et droit d'ester en justice. Des associations vent debout contre le projet de Code de procédure pénale
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Sara Ibriz
Le 4 septembre 2024 à 19h13
Modifié 5 septembre 2024 à 12h25En limitant le droit d’accès à la justice aux associations, notamment en matière de crimes financiers, le projet de Code de procédure pénale, élaboré par le ministère de la Justice, s’attire les foudres de plusieurs ONGs. Un sit-in est même programmé pour le 21 septembre.
Récemment adopté en Conseil de gouvernement, le projet de Code de procédure pénale fait déjà des mécontents, particulièrement ses articles 3 et 7 qui sont dénoncés et rejetés par des associations de la société civile qui œuvrent pour la protection des deniers publics et des droits humains de manière générale.
Ces deux articles viennent limiter ces associations dans le droit d’ester en justice. En verrouillant ce droit en matière de crimes financiers, le ministère de la Justice s’attire les foudres de ces associations qui n’ont pas manqué de réagir à travers des communiqués. Certaines prévoient déjà la tenue d’un sit-in pour protester.
De son côté, le ministre de la Justice, interrogé par la chaîne 2M à ce sujet, défend son texte. Pour Abdellatif Ouahbi, “il ne s’agit pas de poursuivre quelqu’un qui a commis un acte, mais que l’on porte atteinte à un responsable”.
“N’y a-t-il pas de la corruption de la part de ces associations ?”, interroge-t-il en faisant référence à des cas “d’extorsion, d’escroquerie et de menaces” de la part de certaines associations aux prises avec des élus. “Nous avons reçu des cas d’extorsion et de menaces à l’égard d’élus qui, malheureusement, ne veulent pas porter plainte. Nous serons sévères à ce sujet dans le Code pénal”, poursuit le ministre.
“Que signifie le fait qu’une association porte plainte [contre un élu, ndlr] et fasse une conférence de presse ensuite alors que la justice n’a pas encore tranché ? (…) Et quand il sera innocenté, que va-t-on faire à ce moment-là ? Ce que je veux, c’est protéger la vie des gens. Désormais, il sera dangereux d'assumer un mandat électif ; n’importe qui peut porter plainte et faire des conférences de presse, publier des communiqués, etc.”, explique-t-il, en assurant que l’exercice de l’action publique est, à travers ce texte, octroyé à des institutions officielles ou qui sont dotées du statut d'utilité publique.
Crimes financiers : la dénonciation verrouillée
Cette action publique ne peut être exercée en matière de crimes liés aux deniers publics, selon le projet de Code de procédure pénale, que “par la demande émanant du procureur général du Roi près la Cour de cassation, en sa qualité de président du parquet”. Et ce, uniquement “sur la base des éléments transmis par la Cour des compte, d’une demande accompagnée d’un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF), de l’Inspection générale de l’administration territoriale (IGAT), des inspections générales des ministères, des administrations concernées, sur la base des éléments transmis par l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC), ou bien de toute instance qui en est autorisée par la loi”.
De manière exceptionnelle, le ministère public compétent peut “ouvrir une enquête ou mettre en marche l’action publique de manière spontanée, en matière de ces crimes, lorsqu’il s’agit de flagrant délit”. C’est ce que prévoit l’alinéa 7 de l’article 3.
Il convient de noter qu’aucune de ces conditions n’est prévue dans le texte encore en vigueur. Cette nouveauté n’est clairement pas bien accueillie par les associations de défense des droits humains et celles œuvrant pour la protection des deniers publics.
“Une régression grave”
Contacté par nos soins, Mohamed Rachid Chrii de l’Association nationale des droits de l’Homme déclare que cette disposition constitue une “grave régression” quant au “rôle des associations qui suivent et présentent des plaintes aux autorités compétentes pour ouvrir des enquêtes sur les violations administratives et financières”. Pour lui, “le ministère de la Justice a établi un texte dont l’article 3 s’oppose à l’esprit de la Constitution qui est la loi suprême du pays et qui prime sur toutes les lois”.
Notre interlocuteur rappelle que l’article 12 de la Constitution dispose que “les associations de la société civile et les organisations non gouvernementales se constituent et exercent leurs activités en toute liberté, dans le respect de la Constitution et de la loi. Elles ne peuvent être dissoutes ou suspendues, par les pouvoirs publics, qu'en vertu d'une décision de justice”.
Il estime que les enquêtes et actions en justice “qui concernent des élus affiliés à différents partis, à cause de leur implication dans le détournement de deniers publics et de l’enrichissement illicite” doit plutôt contribuer à “accélérer la promulgation de la loi contre l’enrichissement illicite” au lieu d’un texte comme celui que “le ministère de la Justice a établi sur mesure pour les élus”. Pour notre interlocuteur, le texte “en perd donc sa légitimité et sa constitutionnalité”.
Sa position est conforme à celle de l’association qu’il représente. Celle-ci s’est exprimée via un communiqué de son bureau exécutif qui, après avoir consulté le projet de Code de procédure pénale, estime que l’alinéa 6 de l’article 3 est une disposition qui “montre que le texte se dirige vers la limitation du droit d'accès à la justice, surtout en matière de crimes financiers”.
“Il est connu que le droit d'accès à la justice est garanti à chaque individu qu'il s'agisse d'une personne physique ou morale lorsque les conditions sont réunies. Et ce, conformément aux dispositions des articles 117, 118 et 120 de la Constitution. La formulation de cette disposition touche non seulement au droit d’accès à la justice, mais s'étend aussi au principe fondamental de l'indépendance de la justice. Le magistrat, dans ce cas, ne peut mettre en mouvement l’action publique qu’après la validation d'une partie judiciaire ou administrative compétente”, lit-on dans le communiqué.
“Si l'intention du législateur est d'accorder à ces institutions le pouvoir discrétionnaire pour s'assurer du sérieux d'une affaire relative aux crimes financiers, elle reste néanmoins en violation des principes d'organisation judiciaire et des droits des justiciables prévus dans la loi 38.15, représentée par l'indépendance de la justice”, poursuit-on de même source.
Pour l’ANDDH et “conformément aux dispositions de l'article 1 du Code de procédure civile, seul le juge chargé de trancher sur l'affaire est en droit d'évaluer le sérieux du dossier et de vérifier que les conditions fixées par la loi sont réunies”. L’association estime que “l'introduction de cette disposition conditionne le droit de contrôle sur les deniers publics exercé par la société civile via les associations” et qu’elle reste “en contradiction avec les textes internationaux dont les conventions internationales de lutte contre la corruption auxquelles le Maroc a adhéré, mais aussi avec le droit national, à savoir la Constitution de 2011, la loi d'organisation judiciaire et la loi relative à la protection des dénonciateurs des crimes financiers”.
Des ONGs partie civile, mais sous condition
Outre cet alinéa de l’article 3, le projet de Code de procédure pénale contient une autre disposition qui révolte les associations, dont celle présidée par l’avocat Mohamed El Ghalloussi. Il s’agit de l’article 7, selon lequel “les associations reconnues d'utilité publique, et qui détiennent une autorisation d'ester en justice remise par le ministère de la Justice selon les conditions à fixer par un texte réglementaire, peuvent se constituer partie civile si elles sont créées de manière légale quatre ans avant les faits”.
Autrement dit, si l’article 3 interdit aux associations de porter plainte en matière de crimes financiers et limite la mise en mouvement de l’action publique aux éléments présentés par des institutions nationales, qu’elles soient judiciaires ou administratives, l’article 7 de ce même texte encadre les cas permettant à une association de se constituer partie civile.
L’association doit :
- être reconnue d’utilité publique ;
- détenir une autorisation d’ester en justice, délivrée par le ministère de la Justice selon des règles à fixer par voie réglementaire ;
- être créée quatre années avant les faits criminels à dénoncer.
Le bureau de l’Association marocaine de protection des deniers publics se dit “surpris par cette volonté et cette orientation”. Il dénonce et rejette le contenu de ce texte qui “limite la liberté des associations” et annonce même la tenue d’un sit-in le 21 septembre devant le Parlement.
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