La méthode Terrab : “Si vous faites confiance aux jeunes, vous aurez des miracles”

Mostafa Terrab, PDG du Groupe OCP, a accordé à Harvard Business School un entretien riche en leçons de stratégie et de management, avec des exemples et des anecdotes qui valent le détour.

La méthode Terrab : “Si vous faites confiance aux jeunes, vous aurez des miracles”

Le 26 mai 2023 à 19h44

Modifié 27 mai 2023 à 19h30

Mostafa Terrab, PDG du Groupe OCP, a accordé à Harvard Business School un entretien riche en leçons de stratégie et de management, avec des exemples et des anecdotes qui valent le détour.

Les sorties de Mostafa Terrab sont rares, et les plus intéressantes sont celles qu’il fait dans un cadre universitaire. Après celle de 2014 au Massachussets Institute of Technology (MIT) où il avait étudié, c’est au tour de l’autre prestigieuse université de Boston.

Dans un entretien réalisé le 23 mars et publié ce 24 mai sur le site de Harvard Business School (HBS), il expose sa méthode pour transformer l’OCP, qui était déficitaire, en une entreprise prospère qui a versé, en 2022, à l’Etat un dividende record de 8,1 milliards de dirhams.

Il évoque plusieurs choix stratégiques du groupe comme le positionnement en Afrique, l’écologie ou encore l’éducation. Il en profite également pour apporter plus de précisions sur les activités dans les provinces du Sahara, qui font l'objet d'une forte propagande anti-marocaine.

De l’exploitation minière à la nutrition des plantes

Désormais, le métier d’OCP n’est plus l’extraction de la roche du phosphate, mais plutôt la nutrition des plantes. C’est un changement stratégique qui n’était pas sans risque, mais que le groupe a mené avec succès. Les résultats financiers de l’entreprise donnent aujourd’hui raison à Mostafa Terrab.

En 2006, quand il a pris les rênes de ce qui était l’Office chérifien des phosphates, l’entreprise était déficitaire. Comment est-ce possible, alors que le Maroc est assis sur 70% des réserves mondiales ?, demande Isidor Straus, professeur d’histoire du business à HBS.

"C’est une combinaison de choses, mais principalement le fait que l'entreprise était restée principalement dans le secteur minier. Son activité principale consistait à vendre le minerai, ou ce que nous appelons la roche phosphatée, et ce n'était certainement pas rentable dans la mesure où le prix du phosphate était resté très stable en dollars, même en valeur nominale, pendant trente ans", répond le PDG du Groupe OCP.

Nous avons décidé que la seule issue était d'ajouter de la valeur en fabricant divers produits finis

"Comme vous pouvez l'imaginer, les coûts n'étaient pas stables. Nous étions dans une entreprise où notre produit principal baissait en valeur réelle du dollar. Les coûts augmentaient, et c'est ce qui a créé les pertes annuelles de l'entreprise", ajoute-t-il.

Prendre la tête de l’entreprise dans cette situation était un pari risqué pour Mostafa Terrab, mais en homme de challenge, il ne pouvait qu’accepter, raconte-t-il. Sa première décision a été d’engager la société d’audit américaine Kroll pour réaliser un diagnostic complet et minutieux.

Le résultat montrait que l’entreprise publique ne souffrait d’aucun problème de gouvernance, ni de mauvaise gestion, ni même de transparence comme cela pouvait être supposé par l’opinion publique. Le problème était stratégique. Kroll a ainsi recommandé à OCP de passer au produit fini plutôt que de vendre le minerai à l’état brut.

"Nous avons dû descendre la chaîne de valeur et entrer dans l'activité de nos clients - les engrais -, qui est la nutrition des plantes. Nous avons décidé que la seule issue était d'ajouter de la valeur dans le pays à la roche phosphatée, en fabricant divers produits finis. La suite appartient à l'histoire, car nous avons pu investir massivement dans la production d'engrais et sortir l'entreprise de sa situation assez rapidement", décrit-il.

Cette nouvelle stratégie impliquait qu'OCP investisse massivement dans la construction de nouvelles usines. Le plan d’investissement mis en place était de 10 milliards de dollars, pour 10 nouvelles usines sur 10 ans. Mostafa Terrab a dû passer par l’émission d’obligations à l’international pour financer ces projets. C’est ce qui a poussé au changement de statut d’entreprise régie par le droit administratif à une société régie par le droit des sociétés. Aujourd’hui, c’est une société anonyme, toujours détenue par l’Etat, mais où le ‘O’ n’est autre qu’un ‘O’ et ne signifie plus Office.

Miser sur les jeunes diplômés

Le passage d’une entreprise minière à une entreprise industrielle était un défi de taille, même si ce n’était pas totalement un nouveau métier, puisqu’OCP fabriquait déjà de l’acide phosphorique, un produit intermédiaire dans la production d’engrais.

"Nous devions encore nous assurer que nous en avions les capacités, car il s'agissait d'un investissement massif. En quelques années, notre capacité de production d'engrais est passée de 2 ou 3 millions de tonnes à 12 millions de tonnes."

Grâce à ce recrutement massif de jeunes, sur 20.000 employés, l’âge moyen est passé de 47 ans à 35 ans en l’espace de deux années seulement

"De 2006 à 2015, nous avons embauché massivement, mais c'étaient des jeunes, des personnes non expérimentées – de fait, puisque c'est un nouveau métier –, et nous avons décidé de mettre en place un dispositif de formation massif chez OCP, de la formation des cadres jusqu'aux formations techniques. Nous avons beaucoup investi dans la formation, au point même de créer une université pour avoir la capacité de former ces jeunes en interne", poursuit-il.

Mostafa Terrab explique qu’OCP, à cause de ses difficultés financières, avait stoppé ses recrutements pendant les dernières années ayant précédé sa venue. Il s’est retrouvé dans une situation où il avait près de 10.000 personnes qui allaient partir à la retraite au cours des cinq années suivantes, ce qui constituait une perte massive d’expérience. Grâce à ce recrutement massif de jeunes, sur 20.000 employés, l’âge moyen est passé de 47 ans à 35 ans en l’espace de deux années seulement.

Mostafa Terrab l’a vu en effet comme une opportunité. Il a mis à profit son expérience à l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT), qu’il avait été chargé de lancer en 1998 en amont de la libération du secteur des télécoms.

Il relate comment la réticence du ministère en charge à cette époque à abandonner certaines de ses prérogative, l'avait poussé à ne pas doter l’Agence d’un budget important et même à lui conférer la gestion de l’Institut national des postes et télécommunications (INPT) en espérant que cela puisse le freiner dans les missions de l’Agence. Mostafa Terrab en a alors profité pour recruter à partir de l’INPT 14 jeunes ingénieurs télécoms.

"Cela a porté ses fruits, car ils étaient de bons penseurs, connaissaient la technologie et étaient impatients de faire la différence et d'avoir un impact. C'était la première étape. Ils ont en fait géré l'ensemble du processus d'octroi de licences du nouvel opérateur de A à Z - une chose incroyable. Si vous faites confiance aux jeunes et que vous leur montrez qu'ils peuvent avoir un impact, vous obtenez des miracles", affirme-t-il.

La customisation comme stratégie pour cibler l’Afrique

Après son passage à l’ANRT, Mostafa Terrab avait été sollicité par la Banque mondiale pour conseiller les gouvernements africains dans les processus de libération des télécoms, l’expérience marocaine ayant été jugée comme un succès. Peu de gens y croyaient à l’époque, mais le terrain a prouvé le contraire, puisque le téléphone mobile a conquis les marchés africains pour atteindre rapidement un taux de pénétration de 90%.

Notre engrais est moins cher que l'engrais standard et plus productif

C’est à cette occasion qu'il découvre l’étendue du potentiel économique en Afrique. "Vous connaissez l'histoire des deux fabricants de chaussures qui visitent un village africain, et tout le monde est pieds nus ? L'un d'eux dit 'il n'y a pas d'affaires ici - allons-y'. L'autre répond 'non, c'est là qu'il y a des affaires'."

C’est la même chose en Afrique avec les engrais. La consommation du continent n’est que de 15 kg par hectare alors que la moyenne mondiale est dix fois plus importante. "La raison pour laquelle ils n'utilisent pas d'engrais est le manque d'accès, et non parce qu'ils n'en veulent pas", précise-t-il.

Mais pour percer sur le marché africain, Terrab a misé sur la customisation de l’engrais, pour qu’il soit moins cher et plus productif. "On ne force pas l’agriculteur à utiliser des nutriments qui ne sont pas totalement absorbés par la plante ou le sol." C’est ce qui contribue, selon lui, à ce que l’engrais proposé par OCP soit moins cher et plus adapté.

Là où nos concurrents peuvent avoir une ou deux usines, nous avons 24 usines d'acide phosphorique

Cet engrais est aussi beaucoup plus écologique, signale-t-il. Car en n'abusant pas de l'engrais, on évite le ruissellement dans la nappe phréatique ou la dispersion dans l'air qui sont liés à la surutilisation d'engrais.

Cela a amené le Groupe OCP à avoir 24 usines différentes d’acide phosphorique, alors que ses concurrents n’en ont qu'une ou deux, et ce sans compter les usines de granulation. Cela semble contre-intuitif, mais d’après Terrab, plus l’usine est grande, plus il est difficile de faire des mix différents.

Le groupe collabore, dans chaque pays, avec les centres de recherche agronomique, les universités et les autorités gouvernementales pour mener des études sur les besoins spécifiques du sol et des agriculteurs. C’est une procédure qui exige quatre à cinq années de travail.

Aujourd’hui, OCP est présent dans 40 pays africains et détient près de 50% de part de marché sur le continent. Quand le conflit en Ukraine s’est déclenché et que le prix de l’engrais s’est envolé, OCP a mené un programme de dons ciblés pour les agriculteurs africains et s’est même préparé à répondre à 100% de la demande en cas de besoin.

Seulement 2% des réserves de phosphates se trouvent au Sahara

Interrogé sur les activités d’OCP dans les régions du Sud, Mostafa Terrab a tenu a préciser que la propagande anti-marocaine véhiculait souvent l’idée que l'essentiel des réserves marocaines de phosphates se situait au Sahara. Or des centres de recherche internationaux, comme US Geological Survey et International Fertilizer Development Center, ont démontré que seulement 2% des réserves se trouvent au sud du Maroc et que le reste se situe dans les régions du Nord.

Les 70% de réserves mondiale que détient le Maroc couvrent au moins 400 années de besoins en phosphates, donc pas de panique

L’extraction du phosphate des mines au Sahara se fait à travers la filiale Phosboucraa, dont l’Etat espagnol détient toujours 35%. Les bénéfices de cette filiale sont tous réinvestis dans la région, au profit des habitants, et les employés sont en grande partie des locaux. Tout cela est contrôlé par un cabinet international d’audit.

Le PDG du Groupe OCP tient aussi à démystifier l’idée selon laquelle le marché des phosphates serait proche d’un pic historique. Ce mythe va de pair avec celui qui affirme que l'essentiel des réserves se trouve au Sahara ; ils ont pour but de créer une certaine panique. Selon Mostafa Terrab, les réserves marocaines peuvent satisfaire les besoins mondiaux pour au moins 400 années, et il n’y a donc aucun pic à prévoir dans un futur proche ni à moyen terme.

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