Cyber-violences contre les femmes au Maroc : les révélations et conseils de Selma El Hassani Sbai

Dans cet entretien, le Pr Selma El Hassani Sbai explique les différentes formes de violences en ligne, ciblant particulièrement les femmes, leurs dangers et les moyens de s’en protéger. Elle appelle à la sensibilisation massive pour renforcer la réponse pénale.

Cyber-violences contre les femmes au Maroc : les révélations et conseils de Selma El Hassani Sbai

Le 18 mai 2023 à 14h55

Modifié 19 mai 2023 à 9h15

Dans cet entretien, le Pr Selma El Hassani Sbai explique les différentes formes de violences en ligne, ciblant particulièrement les femmes, leurs dangers et les moyens de s’en protéger. Elle appelle à la sensibilisation massive pour renforcer la réponse pénale.

Particulièrement ciblées par les violences en ligne, les femmes, particulièrement les plus jeunes, subissent un phénomène qui nécessite non seulement une réponse pénale, mais aussi un énorme travail de sensibilisation. Ce sujet inquiétant a fait l’objet d’un colloque, organisé le mardi 9 mai par l’Association marocaine des docteurs en droit (AMDD), en partenariat avec la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat-Agdal.

La présidente de l’AMDD, Selma El Hassani Sbai, professeur de droit à la faculté de Rabat-Agdal, estime que la réponse coercitive aux actes de violences numériques à l’égard des femmes doit être renforcée par la sensibilisation du public, y compris les plus jeunes ; ces derniers étant davantage confrontés aux réseaux sociaux et à leurs dangers.

Médias24 : Que signifient les violences en ligne, concrètement ?

Selma El Hassani Sbai : "Violences numériques", "cyber-violence" ou "violence digitale" sont des termes qui servent à désigner le même phénomène : des contenus porteurs d’un message de violence contre les femmes, diffusés dans l’espace numérique.

Plus concrètement, il s’agit de comportements qui se sont presque banalisés tellement ils sont présents sur les plateformes numériques, en particulier sur les réseaux sociaux. Il s’agit plus communément du "sexting" (envoyer des textos à caractère sexuel) ; du "happy slapping" (filmer et diffuser en ligne l’agression d’une personne, le plus souvent commise dans le but d’être filmée) ; du "flaming" (envoyer une salve de messages insultants à une personne ou à un groupe de personnes) ; de "l’outing" (divulguer des informations intimes et/ou confidentielles sur une personne à son insu) ; de "l’ostracisme" (exclure une personne d’un regroupement social en ligne).

Par ailleurs, parmi les violences les plus couramment exercées contre les femmes, spécialement les plus jeunes, figure le "slutshaming", qui consiste à "couvrir de honte" les jeunes filles en les blâmant et en les déconsidérant pour une tenue vestimentaire, un maquillage ou une posture corporelle. C’est une forme de moquerie extrêmement dévastatrice pour ces jeunes victimes, qui a conduit de nombreuses jeunes filles à des tentatives de suicide.

Selon les enquêtes réalisées sur le terrain, WhatsApp et Facebook sont les plateformes les plus utilisées

- Quelles en sont les formes les plus répandues ?

- Selon les enquêtes réalisées sur le terrain (notamment par l’Association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté et le Haut-Commissariat au plan), le harcèlement numérique vient en tête des violences contre les femmes. Ce délit se signale par la répétition et la fréquence de propos insultants, obscènes ou menaçants. Ils sont dévastateurs pour les femmes qui y sont exposées. Viennent ensuite la diffusion sur internet de propos infamants afin de nuire à la réputation des femmes, l’envoi de photos ou d’écrits à caractère sexuel, ainsi que le chantage sexuel.

Les plateformes numériques les plus utilisées sont, sans surprise, WhatsApp et Facebook. Ce sont effectivement des plateformes qui ont beaucoup de succès auprès des utilisateurs marocains. WhatsApp, en particulier, permet une grande facilité d’utilisation ainsi que la possibilité pour l’auteur de cacher son identité, ce qui encourage les comportements malveillants et violents.

- Pourquoi les femmes sont-elles les cibles de ce type de violences en particulier ?

- La réponse est simple : parce que nous sommes dans une société conservatrice où la valeur de la femme et le respect qu’elle suscite sont encore conditionnés par sa "réputation", sa moralité, sa rectitude. Il y a un phénomène d’essentialisation de la femme marocaine qui la rend extrêmement sensible à tout ce qui peut affecter son image et son capital réputationnel. Dans notre culture, la femme est considérée, a priori, comme responsable des violences qu’elle subit. "Si elle ne s’était pas exposée dans l’espace public (y compris numérique), elle n’aurait pas suscité les violences commises à son égard..." Ce type de croyances, solidement ancré dans nos mentalités, légitime de manière indirecte les violences contre les femmes et confère à leur auteur un dangereux sentiment d’impunité.

La femme est considérée, a priori, comme responsable des violences qu’elle subit.

- D’où vient le caractère préoccupant des violences numériques contre les femmes ?

- Le danger des violences numériques contre les femmes ne réside pas seulement dans l’importance que prend ce phénomène au Maroc (plus de 1,5 million de femmes touchées selon les derniers chiffres du HCP). Le danger réside dans l’effet systémique lié à ces violences, qui viennent encourager, valoriser et légitimer toutes les autres formes de violences contre les femmes (physique, économique, sexuelle, sociale). Les violences numériques agissent à cet égard comme un véritable catalyseur de toutes les autres violences de genre.

La banalisation des violences contre les femmes dans l’espace numérique est en train de conditionner négativement les mentalités de nos jeunes

Par ailleurs, la banalisation des violences contre les femmes dans l’espace numérique est en train de conditionner négativement les mentalités de nos jeunes, c’est-à-dire la génération 4.0, complètement immergée dans le numérique et qui ne voit donc le monde qu’à travers le numérique. La montée en puissance, sur les réseaux sociaux, des discours de mépris et de violence à l’égard des femmes devient extrêmement préoccupant. La situation déjà bien précaire des femmes marocaines risque d’empirer si une action structurelle d’urgence n’est pas rapidement déployée.

- La législation actuelle prévoit-elle des moyens de protection ? Des sanctions ?

- En dépit des lacunes qui existent, la loi 103-13 a permis de renforcer la réponse pénale à l’égard des violences que subissent les femmes. Nous notons tout d’abord l’art 503-1-1 et 503 1-2 du Code pénal, qui punit le cyberharcèlement commis par des messages écrits, téléphoniques ou électroniques, des enregistrements ou des images à caractère sexuel ou à des fins sexuelles. La peine prévue est un emprisonnement de 1 à 2 ans et une amende de 5.000 à 50.000 dirhams.

La capture et la diffusion ou distribution de photographies ou de vidéos d’une personne dans un lieu privé sans son consentement sont punies d’une amende de 2.000 à 20.000 dirhams et d’une peine d’emprisonnement de 6 mois à 3 ans, sachant que l’emprisonnement peut être porté jusqu’à 5 ans si les faits sont commis par un proche (époux, fiancé, ex-époux, parents…) ou s’il sont commis contre une femme.

L’usurpation d’identité en ligne sans consentement et dans le but de nuire n’est pas incriminée en tant que telle, mais elle entre dans le champ d’application de l’art 607-7 du Code pénal et est punie d’un emprisonnement de 1 à 5 ans et d’une amende de 10.000 à 1.000.000 de dirhams, ainsi que l’usage de faux ou la falsification de documents informatisés, quelle que soit leur forme, de nature à causer un préjudice à autrui.

- Comment les femmes peuvent-elles s’en protéger ?

- Le plus simple consiste à déposer une plainte auprès du ministère public, directement ou en ligne ([email protected]). La plainte peut également être déposée auprès de la police nationale (help line 19 de la DGSN) ou de la gendarmerie (appel d’urgence 177 de la Gendarmerie royale).

Notons que les femmes victimes de violences sont souvent réticentes à franchir le pas du dépôt de plainte. Elles ont besoin d’un accompagnement juridique et psychologique dans une période délicate, où elles sont en grande souffrance morale. A cet égard, nous notons avec intérêt la mise en place de cellules pour la prise en charge des femmes victimes de violences au sein des tribunaux de première instance et des cours d’appel, ainsi que la mise en place de plateformes numériques de soutien et de conseils, notamment la plateforme d’écoute "Koulouna-Maak", accessible 24h/24 et 7j/7 via une ligne téléphonique directe (8350) et une application téléchargeable gratuitement sur les smartphones.

Enfin, une plateforme dont on ne parle pas beaucoup mais qui est utile et simple d’utilisation : Espace Maroc Cyber Confiance. Elle permet de signaler, de façon anonyme et confidentielle, des contenus illicites ou inappropriés rencontrés sur Internet (photos, vidéos et publications sur les réseaux sociaux qui incitent à la haine, à la violence, ainsi que tout abus sexuel en ligne). La plateforme permet également d’accéder à un service gratuit de conseil et d’assistance en matière de protection en ligne.

- Comment réagir lorsque cela se produit ?

- Les femmes victimes de violences numériques doivent d’abord avoir le réflexe de constituer des preuves pour étayer les violences dont elles sont victimes. La victime doit penser à "piéger" son harceleur : enregistrer les appels malveillants, faire des captures d’écran des SMS et autres messages laissés sur les messageries des réseaux sociaux. Elle doit également penser à relever de manière précise, pour chaque appel, message vocal ou sms, le jour et l’heure de réception.

Ces réflexes sont très importants pour la suite de la procédure afin de constituer un dossier solide à l’encontre de l’auteur des violences. Ils permettent aussi à la victime de changer de posture, en passant d’une cible passive de violences à une victime forte des droits qui lui sont reconnus par la loi.

Il devient aujourd’hui indispensable d’inclure dans les programmes d’enseignement des modules spécifiques dédiés à la cyber-violence

- Faut-il se limiter aux solutions pénales ? Y a-t-il d’autres moyens pour lutter contre les violences en ligne faites aux femmes ?

- Face à un phénomène aussi inquiétant que cette inflation des discours de violence et de misogynie contre les femmes dans l’espace numérique, la réponse coercitive est certes indispensable et doit être renforcée, mais elle n’est absolument pas suffisante. Il est tout d’abord nécessaire de sensibiliser le public sur l’importance de ce phénomène et ses répercussions dangereuses sur la société.

Les jeunes femmes en particulier doivent être accompagnées afin de renforcer leurs aptitudes numériques. Comment se protéger contre les cyber-harceleurs ? Quels sont mes droits face à la cyber-violence ? Comment signaler les atteintes à ma vie privée ? Ces questions doivent être intégrées aux programmes d’enseignement dès le début du secondaire, car c’est durant l’adolescence que le numérique devient prégnant comme mode de communication et pose le plus de risques pour les jeunes filles. Il devient aujourd’hui indispensable d’inclure dans les programmes d’enseignement des modules spécifiques dédiés à la cyber-violence et de sensibiliser le corps enseignant sur les dangers de ces violences sur les mineurs et les jeunes filles plus spécifiquement.

Parmi les solutions les plus urgentes figure le renforcement des cellules d’écoute et d’accompagnement des femmes et jeunes filles victimes de violences numériques. Les victimes sont encore trop réticentes à signaler les violences qu’elles subissent. La création d’unités spécialisées dans la cyber-violence contre les femmes au sein de la police et de la gendarmerie me semble indispensable.

Je finirais en appelant à la ratification, par le Maroc, de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et contre la violence domestique.

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