Souveraineté alimentaire : le foncier agricole, deuxième défi après la pénurie d’eau

Renouvellement générationnel, statut du foncier, extension du périmètre urbain, investisseurs étrangers… Le Maroc fait face à de multiples défis pour maintenir les parcelles dans le giron du secteur et en phase avec les orientations agricoles du pays. Une nécessité pour assurer la souveraineté alimentaire.

A El Gara, près de Casablanca, champ de blé tendre au stade maturation des grains.

Souveraineté alimentaire : le foncier agricole, deuxième défi après la pénurie d’eau

Le 12 mai 2023 à 16h40

Modifié 15 mai 2023 à 9h32

Renouvellement générationnel, statut du foncier, extension du périmètre urbain, investisseurs étrangers… Le Maroc fait face à de multiples défis pour maintenir les parcelles dans le giron du secteur et en phase avec les orientations agricoles du pays. Une nécessité pour assurer la souveraineté alimentaire.

On dit que pour faire de l’agriculture, il faut de l’eau et de la terre, ce qui semble une évidence. Or aujourd’hui, le Maroc se heurte à des problèmes au niveau de ces deux facteurs. Le réchauffement climatique provoque une pénurie d’eau, tandis que les superficies cultivées rétrécissent. La pérennité du foncier agricole est menacée par de multiples obstacles, dont cette baisse de la superficie cultivée et le statut du foncier agricole.

La démographie vieillissante d’une partie des exploitants et l’extension de l’urbanisme aux dépens de terres au potentiel agronomique important, sont des écueils tout aussi handicapants. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient d’apporter un éclairage sur le statut du foncier agricole au Maroc. 

Un statut foncier complexe 

Le foncier agricole représente 55% de la superficie de l’ensemble du territoire national. Il est constitué des terres de parcours, des forêts et des terres cultivables. Soit une superficie d’environ 40 millions d’hectares, dont 9 millions d’hectares de superficie agricole utile (SAU). 

Ces terres sont régies par plusieurs statuts juridiques : 

- Le melk est le plus dominant. Il donne un droit de propriété stable sur la terre et permet des mutations, des locations et même des hypothèques sous la forme immatriculée du melk

- Les terres collectives sont l’une des formes les plus anciennes d’occupation des sols, qui sont à l’origine essentiellement des terres de tribus. La législation accorde à ces terres un caractère inaliénable, imprescriptible et insaisissable, et elles sont assujetties à des limites au droit de location ; 

- Les terres guich sont des parcelles collectives avec un statut particulier. Ce régime est caractérisé par un démembrement du droit de propriété. A la différence des terres collectives des tribus, l’État a la nue-propriété (droit éminent) des terres guich, qui sont donc inscrites au domaine privé de l’État. 

- Les biens habous sont des biens offerts par un individu au profit d’une œuvre pieuse, charitable ou sociale. Ces propriétés inaliénables et imprescriptibles sont régies par les règles de droit musulman. 

Des terres collectives à fort potentiel  

Pour augmenter la superficie cultivée, les terres collectives non exploitées constituent une aubaine. Selon une source non officielle, elles sont évaluées à 3 millions d’hectares sur un total de superficie agricole utile des terres collectives estimée à 5 millions d’hectares

Toutefois, ce droit de pleine propriété privative n’est pas nécessairement individuel. Il peut également prendre la forme d’une propriété familiale, appartenant à plusieurs héritiers. Cette particularité se traduit par le morcellement et des situations d’indivision, rendant complexes les modalités d’investissement et de jouissance.

"Il est difficile de mobiliser des investissements et d’installer des aménagements hydro-agricoles dans des superficies de 5 hectares ou moins, qui représentent la majorité des terres en melk, tout en sachant que la rentabilité ne sera pas au rendez-vous", précise un expert à Médias24.

Afin de remédier à l’exiguïté des exploitations agricoles et à un faible niveau d’organisation des agriculteurs, le Plan Maroc vert a apporté une solution via l’agrégation agricole. Ce modèle d’organisation des agriculteurs autour d’acteurs privés ou d’organisations professionnelles, à l’image des filières sucrière et laitière, devait permettre de dépasser les contraintes liées à la fragmentation des structures foncières.

Au-delà de mutualiser les facteurs de production, l’agrégation a également pour finalité d’assurer "aux exploitations agrégées la possibilité de bénéficier des techniques modernes de production et du financement et d’accéder au marché intérieur et extérieur", assure l’Agence de développement agricole (ADA).

L’agrégation a ainsi permis le développement et la pérennisation de la filière sucrière, dont les producteurs profitent d’une agrégation agricole efficiente au service d’un seul acteur qui jouit d’une responsabilité nationale. Dans le cas de la filière laitière, ce système n’est pas moins efficace. 

Un arsenal juridique plus efficace 

Mais en dépit des incitations mises en place par le gouvernement, notamment en termes de subventions agricoles pour promouvoir le modèle de l’agrégation, dans certaines zones, c’est l’individualisme qui prime. Peu d’agriculteurs acceptent de s’associer avec d’autres exploitants limitrophes.

En conséquence, le mécanisme de l’agrégation agricole n’a pas réussi à complètement résoudre la problématique du morcellement des terres agricoles. Mais grâce à la réforme du cadre juridique de 2019, il a été possible de mettre en place un arsenal plus riche et efficient.

"Ce cadre permet une responsabilisation claire et précise des acteurs du secteur, mais surtout une amélioration de son attractivité et du climat des affaires permettant de drainer plus d’investissement, de progrès et de développement", assure le ministère de l’Agriculture. 

La transmission intergénérationnelle : 360.000 agriculteurs sont âgés de plus de 65 ans

Le Maroc compte environ six millions d’agriculteurs. Ce nombre diminue, principalement à cause de l’héritage. Par exemple, lorsque trois frères héritent d’une exploitation agricole, il arrive souvent que deux d’entre eux revendent leurs parts au troisième. Mécaniquement, nous passons de quatre agriculteurs potentiels, en comptant le père, à un seul. 

De plus, la démographie vieillissante des exploitations agricoles jette un voile en termes de transmission intergénérationnelle. Ce pilier de la stratégie Génération Green est censé maintenir les superficies cultivées au Maroc sous l’ombrelle du secteur agricole, d’autant que "360.000 agriculteurs sont âgés de plus de 65 ans", précise le ministère de l’Agriculture. 

A ce titre, "la transmission intergénérationnelle, la création d’opportunités pour les jeunes et le renforcement de l’attractivité du secteur sont des enjeux majeurs pour assurer la continuité du développement agricole", confirme à Médias24 Mohamed Sadiki, ministre de l’Agriculture. 

Réflexions en cours pour de nouveaux systèmes de gestion ou location longue durée des terres agricoles

Dans le cadre de la stratégie Génération Green, cette continuité devait être garantie par un mécanisme adéquat, qui doit jouer le rôle de la médiation entre un agriculteur qui veut prendre sa retraite et vendre ou louer sa terre, et l’acheteur.

Un chantier qui en est encore à l’étape de la réflexion. "Cette structure devrait permettre à l’agriculteur de vendre ou louer sa terre en location longue durée en contrepartie d’une pension mensuelle qui fera office de retraite", indique à Médias24 une source proche du dossier.  

"La structure aura la possibilité d’agréger plusieurs terrains pour favoriser l’investissement et les louer ou les vendre à un jeune repreneur", assure notre interlocuteur. Pour ce faire, le gouvernement souhaite rendre le foncier agricole accessible. 

D’autres solutions sont également à l’étude, à savoir "inclure les prérogatives de l’organisme dudit mécanisme à celles d’une agence existante, ou bien qu’une structure soit créée sous forme de groupement d’intérêt public (GIP). La flexibilité de ce modèle est la plus adaptée au contexte marocain", souligne notre source.  

"L’une des pistes que nous explorons actuellement pour la gestion et le transfert des terres agricoles, c’est la possibilité de transformer ces terres en sociétés pour faciliter l’accès aux investisseurs", indique le ministre de l’Agriculture. 

La France, par le biais des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) et du Schéma directeur des exploitations agricoles (SDREA), possède des mécanismes permettant de réguler et de contrôler l’accès aux terres. 

Mais le contexte marocain est particulier. Les agriculteurs ne prennent que rarement leur retraite. Ils travaillent la terre jusqu’à leur dernier souffle, ce qui conduit inévitablement aux morcellements des parcelles par héritage. Pour toutes ces raisons, l’état d’avancement de la création du mécanisme assurant le passage de témoin entre un propriétaire et un investisseur semble prendre plus de temps que prévu.  

Une chose est sûre, "les jeunes s’intéressent particulièrement à l’exploitation des terres agricoles. Un constat qui ressort notamment lors des appels d’offres de partenariat public-privé autour des terres agricoles du domaine privé de l’Etat, où le nombre de candidatures peut parfois atteindre une quarantaine de soumissionnaires, en majorité des jeunes", souligne notre source. 

"Ces derniers ont pour habitude d’investir dans l’agriculture comme activité secondaire, qui plus est si le lot de terrain concerné par l’appel d’offres est situé dans une région qui n’est pas en situation de stress hydrique", ajoute-t-elle.  

Impossible dimposer une orientation agricole à des investisseurs privés 

Certains héritiers des terres agricoles préfèrent tout simplement vendre leurs parcelles qui finissent parfois par tomber dans les mains d’investisseurs. D’où la difficulté de leur imposer des orientations agricoles.

Ces derniers mois, plusieurs transactions ont fait la une des journaux. Des sociétés étrangères ont acquis des centaines d’hectares pour y cultiver des fruits rouges notamment, à l’image de l’entreprise chilienne Agroberries.   

Si le Fonds de développement agricole permet d’orienter les investisseurs − puisqu’il y a quelques mois, le gouvernement a supprimé les subventions à l’irrigation pour les nouvelles parcelles d’avocats, agrumes et pastèques −, cette mesure présente une limite majeure.

Selon plusieurs professionnels sondés, les investisseurs peuvent facilement se passer de ses subventions, qui sont de l’ordre de 35.000 à 45.000 DH par hectare. Dans le cas de l’avocat, les gains permettent largement de s’en passer. 

A une époque, les périmètres agricoles irrigués devaient être obligatoirement cultivés à 70% en plantes sucrières et oléagineuses. Mais l’assolement obligatoire n’est plus d’actualité, et ce depuis les années 1990. Une période qui correspond à l’apparition de plusieurs cultures, à l’image des fruits rouges dans le Gharb.

Finalement, "l’Etat n’a aucun moyen d’imposer son orientation stratégique aux investisseurs agricoles", concède Mohamed Sadiki. En revanche, ces opérateurs étrangers, qui sont peu nombreux, n’ont pas le droit de louer pour une longue durée une terre à vocation agricole ou de l’acheter. "Pour l’acquérir, ils doivent créer une filiale de droit marocain", nous indique une source.  

L’extension des périmètres urbains 

Autre problématique non moins importante, l’empiètement du périmètre urbain sur les terres agricoles. En pratique, il existe une loi qui protège les terres relevant d’un périmètre agricole. La loi nº 08-16 portant orientation agricole interdit toute mutation de terres agricoles ou à vocation agricole. "Mais les plans d’aménagement urbain ont cette latitude, via les commissions de l’urbanisme", assure notre source.   

Pour exemple, "la ville de Berrechid s’est agrandie aux dépens de terres agricoles très fertiles. C’est le cas également des terres agricoles situées à la périphérie de Casablanca, notamment en direction de Dar Bouazza et de la ville d’Errahma, qui ont subi l’extension du périmètre urbain", précise-t-elle. 

Ainsi, chaque périmètre urbain qui s’agrandit, grignote chaque fois un peu plus la superficie agricole utile. Pour s’en prémunir à l’avenir, "il faudrait définir les caractéristiques des terrains agricoles en périphérie des villes et définir une classification selon leur potentiel agronomique, car certaines parcelles ont un potentiel important et parfois unique, gâché par l’urbanisme", suggère notre interlocuteur.   

En conclusion, l’une des solutions à mettre en œuvre dans le cas où il serait ardu d’étendre la superficie cultivée sur le territoire national, est de passer d’une vision quantitative à une visée qualitative, en améliorant la productivité à l’hectare, via une mécanisation et des bonnes pratiques culturales, dont une meilleure utilisation des intrants agricoles. 

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