Tout savoir sur l’eau agricole : un entretien avec Ahmed El Bouari, directeur de l’Irrigation et de l’Aménagement de l’espace agricole

Avec Ahmed El Bouari, directeur de l’Irrigation et de l’Aménagement de l’espace agricole, nous passons en revue, à l’occasion du SIAM, les principaux projets ainsi que les problématiques de l’eau agricole. Un entretien inédit et riche en informations.

Tout savoir sur l’eau agricole : un entretien avec Ahmed El Bouari, directeur de l’Irrigation et de l’Aménagement de l’espace agricole

Le 10 mai 2023 à 11h06

Modifié 1 janvier 2024 à 13h44

Avec Ahmed El Bouari, directeur de l’Irrigation et de l’Aménagement de l’espace agricole, nous passons en revue, à l’occasion du SIAM, les principaux projets ainsi que les problématiques de l’eau agricole. Un entretien inédit et riche en informations.

Depuis plus de deux décennies, le développement de l’irrigation et des techniques d’irrigation économes en eau a été un des axes stratégiques des politiques agricoles au Maroc. Mais avec les changements climatiques, cette stratégie est-elle suffisante ? Comment évolue le paysage hydro-agricole du pays dans ce contexte ?

"La superficie équipée en techniques d’irrigation localisée a connu une augmentation sans précédent, passant de 160.000 ha (soit 10% de la superficie irriguée) avant le Plan Maroc Vert à 750.000 ha en 2022 (soit 47% de la superficie irriguée)", nous répond Ahmed El Bouari, directeur de l’Irrigation et de l’Aménagement de l’Espace Agricole au ministère de l’Agriculture.

Il explique également que le paysage hydroagricole a connu des avancées en matière de développement de l’irrigation sur 72.000 ha de nouvelles terres pour valoriser les ressources en eau mobilisées par les barrages. De même, la réhabilitation de la petite agriculture irriguée en zones de montagne et dans les oasis a porté sur plus de 200.000 ha.

Ces avancées sont consolidées et poursuivies dans le cadre de la stratégie agricole Génération Green 2020-2030 avec un effort d’investissement de 50 milliards de DH, rappelle-t-il.

Comment gérer la ressource disponible dans un paysage hydro-agricole en pleine mutation ? Comment trouver l’équilibre ? Quelles solutions sont-elles déployées pour développer l’agriculture tout en consommant moins d’eau ? Autant de questions sur lesquelles Ahmed El Bouari nous apporte un éclairage.

L’irrigation n’utilise en fait que le reliquat des ressources en eau des barrages après satisfaction des demandes en eau potable et des autres secteurs

Médias24 : Est-ce que les structures hydro-agricoles du pays sont en phase avec les ressources en eau ?

Ahmed El Bouari : Les aménagements hydro-agricoles ont toujours été planifiés dans le cadre d’une politique hydraulique harmonieuse, qui tient compte des potentialités hydriques de chaque bassin et des objectifs de mise en valeur agricole.

Les restrictions hydriques dans les zones irriguées ne sont plus soutenables

Au cours des dernières décennies, les impacts des changements climatiques et de l’augmentation des demandes en eau potable et des secteurs économiques ont intensifié les pressions sur les ressources en eau. Ces pressions ont particulièrement affecté les périmètres d’irrigation et ont exacerbé les déficits en eau des périmètres irrigués dont l’approvisionnement a enregistré des restrictions drastiques dans les bassins irrigués de la Moulouya, Doukkala, Tadla, Haouz, Souss-Massa, Tafilalet et Ouarzazate.

Ces restrictions hydriques ne sont plus soutenables dans les zones irriguées du fait qu’elles sont opérées sur plusieurs années successives. A titre exemple, pour la campagne agricole 2022/2023 en cours, la dotation d’eau allouée aux grands périmètres irrigués à partir des barrages n’a pas dépassé 900 Mm3, soit un taux de couverture d’à peine 17% de la dotation prévue dans les documents de planification de l’eau évaluée de 5.300 Mm3/an.

Contrairement à certaines idées reçues, le secteur de l’irrigation n’utilise en fait que le reliquat des ressources en eau des barrages après satisfaction des demandes en eau potable et des autres secteurs, et de ce fait, reste le plus impacté par les changements climatiques.

L’interconnexion des bassins permet de mobiliser le maximum des eaux actuellement perdues en mer

- Justement, comment entretenir l’équilibre entre les structures d’irrigation et les ressources en eau qui se raréfient ?

- Pour faire face à la baisse des ressources en eau allouées à l’agriculture et rétablir l’équilibre entre les besoins en eau agricole et les ressources mobilisables, les politiques publiques, notamment dans le cadre de la stratégie agricole Génération Green et du Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation (PNAEPI 2020-2027), ont actionné trois leviers complémentaires.

Le développement de l’offre hydrique, à travers la poursuite de la politique des barrages, l’interconnexion des bassins pour mobiliser le maximum des eaux actuellement perdues en mer, et le recours au dessalement de l’eau mer pour alimenter les villes côtières en eau potable, libérer les eaux des barrages pour l’agriculture et développer des projets d’irrigation des cultures maraichères par dessalement de l’eau de mer.

L’amélioration de l’efficacité hydrique à travers la mise en œuvre des programmes de développement et de modernisation de l’irrigation avec un effort d’investissement de l’ordre de 50 MMDH. Ces investissements portent sur quatre programmes structurants :

(i) de modernisation des réseaux d’irrigation et d’économie d’eau pour la reconversion de 350.000 ha à l’irrigation localisée, permettant d’atteindre 1 million d’ha sous irrigation localisée, soit 60% de la superficie irriguée ;

(ii) d’extension de l’irrigation sur 72.500 ha à l’aval des barrages, principalement dans la plaine du Gharb (30.000 ha) et dans la plaine de Saiss (30.000 ha) ;

(iii) de réhabilitation et de restauration des périmètres de la petite agriculture irriguée essentiellement dans les zones fragiles touchant près de 200.000 ha ;

(iv) de promotion du partenariat public-privé pour le renforcement des ressources en eau non conventionnelles par dessalement de l’eau de mer, notamment dans les zones de Dakhla, de Tantan, de Sidi Rahal, de Tiznit, de Doukkala et de l’Oriental.

Il convient de souligner que le modèle marocain de la modernisation de l’irrigation s’inscrit dans une approche holistique et systémique permettant d’améliorer l’efficience de distribution et d’utilisation de l’eau depuis la source de l’eau jusqu’à la ferme, d’améliorer le service de l’eau d’irrigation et de généraliser l’irrigation localisée.

Par ailleurs, l’amélioration de la gouvernance de l’eau à travers le développement du partenariat public-privé pour le co-financement, la conception, la construction et l’exploitation des projets d’irrigation, la gestion durable des nappes pour la réalisation de projets de sauvegarde (Saïss, Kaddoussa, Chtouka, etc.), la généralisation des contrats de gestion participative des nappes et la régularisation et le renforcement du contrôle des prélèvements d’eau dans les nappes, sont autant d’actions menées dans ce sens.

Toute l’intelligence pour l’agriculture irriguée à l’avenir réside dans la conciliation de la souveraineté alimentaire et la résilience/durabilité des systèmes d’approvisionnement en eau. L’objectif étant de cibler des gains en efficience/efficacité pour doubler la valeur ajoutée par m3 et la pérennisation d’un stock d’eau stratégique pour pérenniser l’irrigation et contribuer à la souveraineté alimentaire.

L’interconnexion Loukkos, Sebou, Bouregreg, Oum Rbiaa : 800 millions à 1,1 milliard de mètres cubes seront captés chaque année

- L’interconnexion entre les barrages en matière d’irrigation est dictée par quels principes ?

- La réalisation du projet d’interconnexion des bassins du Loukkos, Sebou, Bouregreg, Oum Rbia, et l’interconnexion des bassins du Laou et de la Moulouya, permettront de capter un volume d’eau global variant entre 800 et 1.100 millions m3, et ce dans le cadre d’une gestion solidaire des ressources en eau entre bassins hydrauliques.

L’interconnexion entre les barrages permettra de mettre en un pool unique les ressources de cinq grands bassins hydrauliques et ainsi de réduire les ressources en eau perdues en mer, et d’optimiser la gestion entre les bassins hydrauliques, notamment en situation de pénurie.

L’interconnexion des bassins Sebou, Bouregreg, Oum Rbia et Tensift permettra de mobiliser un volume annuel entre 500 et 800 millions de m3, sur deux phases :

- une première phase avec l’interconnexion Sebou-Bouregreg sur une longueur de 70 km pour mobiliser un volume annuel moyen de 300 millions de m3 ;

- une seconde phase interconnexion Bouregreg-Oum Rbia.

La réalisation de la première tranche urgente de ce mégaprojet pour un débit de 15 m3/s, qui reliera le barrage de garde sur le Sebou au barrage Sidi Mohamed Ben Abdellah sur Bouregreg, est confiée au département de l’Agriculture en raison de l’expérience et de l’expertise accumulées par ses structures en matière de réalisation des grands adducteurs d’eau. La réalisation de cette adduction de grande envergure est prévue dans des délais record de 12 mois pour sécuriser l’approvisionnement en eau potable des villes de Rabat et de Casablanca à partir du barrage Sidi Mohamed Ben Abdellah et permettre de dégager de nouvelles ressources en eau pour l’irrigation.

Ce projet avance à grand pas pour une mise en service au courant de l’été de cette année, pour éviter la rupture d’approvisionnement en eau potable des villes de Rabat et de Casablanca.

Il est à signaler que dans le cadre de la gouvernance du PNAEPI 2027, le Département de l’Agriculture préside le comité thématique sur l’interconnexion interbassins.

- Les méga-bassines sont souvent décriées car elles affecteraient la qualité des eaux stockées en vue de l’irrigation. Qu’en pensez-vous ?

- Tout d’abord, il convient de signaler qu’il n’est pas établi de relation de cause à effet entre la qualité des eaux et les bassins de stockage.

Cela dit, le recours aux réservoirs de stockage d’eau, qu’ils soient collectifs au niveau des périmètres d’irrigation ou individuels au niveau des exploitations agricoles, est généralement dicté par de nombreuses considérations d’ordre technique.

Ces réservoirs sont indispensables par exemple pour créer des réserves tampon afin de garantir l’adéquation entre l’offre et la demande en eau, pour assurer la décantation des eaux chargées, et pour réduire les risques d’approvisionnement en cas de pannes, etc.

- A combien estimez-vous les pertes en eau par an en matière d’aménagements hydro-agricoles au niveau national ?

- Quand on parle de pertes d’eau, il faut d’abord distinguer les pertes récupérables et les pertes non récupérables. A l’échelle d’un bassin hydraulique, les pertes non récupérables sont principalement les pertes par évaporation et les pertes en mer. Dans les périmètres irrigués, les pertes en eau se trouvent principalement au niveau des parcelles et des réseaux de distribution. C’est pourquoi les programmes d’investissement sont focalisés sur la reconversion aux techniques d’irrigation économes en eau (l’irrigation localisée) au niveau des parcelles et la modernisation des réseaux de distribution d’eau d’irrigation par la reconversion des réseaux à surface libre en réseau de conduites fermées sous pression.

Les efforts déployés durant ces dernières années en matière de modernisation des réseaux d’irrigation et de généralisation de l’irrigation localisée à la parcelle, ont permis d’améliorer significativement les efficiences. On estime les pertes d’eau évitées grâce à ces efforts à plus de 2 milliards de m3 par an en moyenne, qui sont économisés et valorisés pour augmenter la productivité et intensifier la mise en valeur, ce qui contribue à atténuer le déficit en eau au niveau des zones irriguées.

Les efforts entrepris dans le cadre de la Génération Green permettront à terme de couvrir une superficie de 1 million d’hectares sous irrigation localisée, soit plus de 60 % des surfaces irriguées à l’échelle nationale.

- Est-ce qu’il y a des mesures efficaces pour en réduire l’impact ?

- Les mesures entreprises en matière d’efficacité hydrique et de renforcement de l’offre en eau dans le cadre du Programme PNAEPI 2020-2027, sont de nature à réduire l’impact du déficit hydrique sur l’agriculture irriguée.

A titre d’exemple, le dessalement de l’eau de mer pour l’approvisionnement en eau des villes côtières et pour le développement des cultures maraichères permettra de libérer des ressources hydriques substantielles pour la pérennisation des périmètres irrigués existants et contribuera à réduire la pression sur les eaux souterraines.

Nous comptons mobiliser près de 1 milliard de m3 pour la construction de plusieurs stations de dessalement de l’eau de mer, dont 500 Mm3/an seront destinées à développer près de 100.000 ha de cultures de maraichage primeur et de cultures à forte valeur ajoutée. Ce qui permettra de sécuriser l’approvisionnement du marché en légumes, notamment en saison d’hiver.

- Quel est le secret derrière l’augmentation des superficies irriguées, alors que les dotations agricoles sont en recul ?

- Il est important de distinguer les superficies aménagées de celles effectivement irriguées. En situation de pénurie d’eau, des restrictions d’eau sont opérées principalement sur les périmètres irrigués du fait de la priorité accordée à l’eau potable, et les superficies aménagées ne sont que partiellement irriguées.

A titre d’exemple, à cause des restrictions d’eau appliquées, sur près de 700.000 ha des superficies aménagées en grande hydraulique liées aux barrages, 400.000 ha sont structurellement sous rationnement de l’eau, pouvant aller jusqu’à l’arrêt d’irrigation dans certains périmètres irrigués.

Dans les bassins disposant de ressources suffisantes, les extensions de superficies aménagées par l’Etat portent sur des périmètres d’irrigation associés aux barrages réalisés ou en cours de construction dans le cadre de la planification intégrée des ressources en eau. Les augmentations de superficies irriguées dans de nouveaux périmètres planifiés concernent principalement, soit les bassins du nord qui disposent encore d’un potentiel hydrique mobilisable, soit les projets d’irrigation associés aux unités de dessalement de l’eau de mer.

Dans le cadre de Génération Green, trois projets d’aménagement hydroagricole structurants d’envergure régionale sont prévus :

a- Le projet de sauvegarde de la plaine irriguée du Saïss. Il vise à renforcer les ressources en eau de la plaine du Saïss par le transfert et la distribution d’un volume annuel moyen de 125 Mm3 à partir du barrage Mdez en cours de construction pour irriguer une superficie de 30.000 ha touchant près de 7 300 exploitations agricoles.

L’objectif de ce projet est de réduire la pression sur la nappe et de restaurer son équilibre qui accuse un déficit moyen annuel de 100 millions de m3, en fournissant aux agriculteurs une ressource alternative et ainsi sauvegarder les investissements agricoles et le patrimoine arboricole.

Ce projet consiste à développer une adduction principale pour un débit de 15 m3/s (60 km de longueur y compris 3 tunnels hydrauliques de 4 km de longueur et les ouvrages de régulation et de protection) et un réseau de distribution de l’eau d’irrigation en trois tranches de 10.000 ha chacune.

Les ouvrages d’adduction et le réseau de distribution sur 10.000 ha est en phase d’achèvement pour une mise en exploitation prévue en concomitance avec la mise en service du barrage Mdez prévue fin 2023-début 2024.

En termes d’impact, ce projet devrait bénéficier à 36.600 personnes à travers la pérennisation et l’intensification de la mise en valeur agricole qui entraîneraient l’amélioration du revenu des agriculteurs de 30.000 à 50.000 DH/ha et la création et la pérennisation de 8,7 millions de journées de travail pendant les travaux et 10.000 emplois pendant l’exploitation.

b- Le projet d’aménagement hydroagricole de la zone Est et Sud de la plaine du Gharb. Il vise à étendre l’irrigation sur 30.000 ha moyennant une adduction d’eau de 72 m3/s à partir du barrage Koudiet Borna sur oued Ouergha. Ce projet est conçu selon une approche novatrice qui associe les aménagements des ouvrages d’adduction et d’amenée d’eau par l’Etat et le cofinancement, la construction et l’exploitation des réseaux de distribution en trois tranches de 10.000 ha en partenariat public-privé.

Ce projet permettra de renforcer la souveraineté alimentaire en produits alimentaires de base, notamment par l’augmentation des productions de sucre, de lait et huiles végétales en partenariat avec les interprofessions et les opérateurs agroindustriels nationaux.

Ce projet est en cours d’étude pour un financement par la JICA. La programmation des travaux des ouvrages d’adduction est prévue en 2024.

c- Le projet de sauvegarde du bassin primeuriste de Chtouka vise à renforcer les ressources en eau de la plaine de Chtouka par la mobilisation à terme d’un volume annuel de 75 Mm3 par dessalement de l’eau mer pour irriguer une superficie de 15.000 ha de cultures primeurs menacées par l’épuisement des eaux souterraines.

L’objectif de ce projet est de réduire la pression sur la nappe et de restaurer son équilibre qui accuse un déficit moyen annuel de l’ordre de 90 millions de m3 en fournissant aux agriculteurs une ressource alternative de substitution et ainsi sauvegarder les productions, les grands investissements agricoles réalisés et les emplois générés dans toute la chaîne de valeur.

Ce projet est développé selon une approche innovante à plusieurs égards :

- la construction d’une unité de dessalement de l’eau de mer mutualisée avec l’ONEE pour l’alimentation en eau potable du Grand Agadir d’une part et l’approvisionnement en eau d’irrigation de la zone de Chtouka sur 15.000 ha ;

- la réalisation du projet dans le cadre du partenariat public-privé ;

- la promulgation d’un décret de sauvegarde et la déclaration de l’état de pénurie dans la zone de Chtouka pour permettre le rétablissement de l’équilibre de la nappe d’eau souterraine à travers la régularisation des prélèvements d’eau et le renforcement de la police de l’eau dans la nappe et une gouvernance locale des eaux souterraines basée sur des quotas d’eau et la substitution par les eaux du dessalement de l’eau de mer ;

- le renforcement du contrôle des prélèvements d’eau dans la nappe dans le cadre d’une convention de partenariat public-privé pour l’équipement des points d’eau en compteurs et leur entretien, ainsi que la mise en place d’un dispositif de télécontrôle.

La construction de l’unité de dessalement est achevée par le département de l’Agriculture en 2022, ce qui a permis de sécuriser l’approvisionnement en eau potable de la ville d’Agadir à un moment où les réserves en eau des barrages étaient au plus bas. Le réseau de distribution est mis en service à fin 2022 à la satisfaction des agriculteurs et des opérateurs de la zone de Chtouka qui y voit un projet salvateur à un moment où une sècheresse et une pénurie d’eau sans précèdent sévit dans la région du Souss-Massa.

En termes d’impacts, ce projet structurant pour une zone fortement menacée par la pénurie d’eau permettra de pérenniser près de 9 milliards de DH d’investissements agricoles et de sauvegarder le développement socioéconomique dans la zone.

"Cultures gourmandes en eau": il faut plutôt raisonner productivité et valorisation de l’eau par les cultures

- Est-ce que le fait de parier sur des cultures peu gourmandes en eau et éco-responsables va modifier le paysage hydro-agricole du pays ? Il est de coutume de dire que telle ou telle culture est gourmande en eau. Les avis divergent souvent. Pourriez-vous nous donner le top 3 des cultures qui consomment le moins d’eau et celles qui en consomment le plus au Maroc ?

- Il faut relativiser cette notion de culture peu gourmande en eau. Il est plus juste de parler de productivité et de valorisation de l’eau par les systèmes de cultures. Une culture ou un système de cultures peut consommer beaucoup d’eau mais elle donne une grande quantité de production, ou inversement, une culture peut consommer peu d’eau mais produit peu. La notion de valorisation de l’eau qui intègre la productivité et la valeur de la production est encore plus intéressante pour apprécier la valeur tirée du m3 d’eau.

La notion de l’empreinte hydrique permet d’estimer le volume d’eau utilisé pour la production de produits alimentaires consommé. Par rapport à cette notion, les fruits et légumes se trouvent parmi les cultures à faible empreinte hydrique, qui nécessitent moins de 300 litres d’eau pour produire 1 kg de produit consommable comparés aux céréales qui consomment 3 à 4 fois plus d’eau par kg de grain.

L’éco-efficience est un concept plus large qui intègre les impacts sur les ressources naturelles, notamment l’eau et la terre, sur l’écosystème.

Ahmed El Bouari, directeur de l’Irrigation et de l’aménagement de l’espace agricole.

Objectif : doubler la valeur ajoutée par m3 d’eau

A titre d’exemple, le palmier dattier est gros consommateur en eau mais si l’on considère les fonctions écosystémiques du palmier, notamment sa fonction de protection de barrière contre la désertification, le palmier devient indispensable à la survie même des oasis.

L’efficacité hydrique est promue dans les zones irriguées à travers les encouragements accordés aux techniques d’irrigation économes en eau, le conseil agricole à l’amélioration de l’apport d’eau aux cultures et l’augmentation de la productivité et la valorisation de l’eau. L’objectif fixé dans le cadre de la stratégie Génération Green est de doubler la valeur ajoutée par m3 d’eau.

Certaines cultures sont taxées "à tort" d’être gourmandes en eau alors qu’elles sont intéressantes en termes de productivité et de valorisation du m3 d’eau et d’empreinte hydrique.

A titre d’exemple, la pastèque a fait l’objet de controverses, avec des voix qui se lèvent, mettant en cause les pastèques dans la zone de Zagora par exemple.

A titre de précision, en termes d’occupation des sols, la pastèque ne représente qu’une part infime de la superficie irriguée au Maroc (près de 1% de la superficie des cultures irriguées), et contrairement aux clichés et aux idées reçues véhiculées durant ces dernières années par certains médias, cette culture ne consomme que peu d’eau. En effet, la consommation d’eau de la pastèque ne dépasse pas 3.000 m3/ha au Nord du Maroc et 4.000 m3/ha dans les zones sud du Maroc, soit un volume de l’ordre de 50 millions de m3/an à l’échelle nationale, alors que le palmier dattier et la luzerne, par exemple, cultures pérennes pratiquées dans les oasis, consomment 4 à 5 fois plus que la pastèque et rapportent moins en valeur de la production.

En conclusion, la notion de cultures gourmandes ou peu gourmandes en eau peut être trompeuse et ne peut à elle seule constituer le seul critère pour apprécier l’intérêt d’une culture au regard de l’éco-efficience ou l’éco-responsabilité.

- Plusieurs petits agriculteurs craignent que les contrats de nappe renforcent les inégalités d’accès à l’eau d’irrigation. Qu’en est-il réellement ?

-Au contraire, les contrats de nappe viennent surtout pour préserver les droits des petits agriculteurs (ex. cas de Chtouka). Les contrats de nappes sont établis selon une approche inclusive impliquant l’ensemble des partenaires et catégories d’agriculteurs. L’adhésion et la participation des petits agriculteurs et leurs associations est un gage de réussite de ces contrats.

- L’eau dessalée convient-elle à toutes les cultures ? D’après des producteurs de fruits rouges, cette eau n’est pas complètement adaptée à la framboise.

- La production de l’eau dessalée prend en considération les exigences des cultures, conformément à la norme marocaine de l’irrigation qui fixe les valeurs limites universelles (ou seuils tolérables) pour les paramètres bactériologiques, parasitologiques, toxiques et physico-chimiques des eaux destinées à l’irrigation.

Pour certaines cultures qui ont des exigences particulières telles que la teneur en certains minéraux, la salinité, le pH, etc., des ajustements sont nécessaires pour assurer une production optimale et sont opérés par les agriculteurs.

Il est à souligner que dans le cadre de la stratégie agricole Génération Green 2020-2030 et du Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027, le dessalement de l’eau est adopté dans certaines régions pour sauvegarder et pérenniser l’irrigation dans les bassins agricoles menacés par l’épuisement des ressources en eau souterraine d’une part, et pour développer l’irrigation des cultures à haute valeur ajoutée d’autre part.

Après la mise en service de la station de dessalement de l’eau de mer dans la région de Souss-Massa, le département de l’Agriculture a conclu un contrat de PPP pour la réalisation d’une station de dessalement d’eau de mer adossée à et d’un parc éolien d’une capacité de 60 mégawatts pour approvisionner l’unité de dessalement en énergie renouvelable dans la région de Dakhla-Oued Eddahab. Ce projet innovant vise la réalisation d’une station de dessalement d’une capacité de 37 Mm3/an pour l’irrigation d’un périmètre de 5.000 ha et l’alimentation en eau potable de la ville de Dakhla et ses environs, notamment le centre de Bir Anzaran et le nouveau port atlantique de Dakhla.

D’autres projets d’irrigation par dessalement de l’eau de mer sont identifiés ou en cours d’étude dans les zones de Sidi Rahal (périmètre d’irrigation associé à la station de dessalement de Casablanca), Tantan (associé à une unité de dessalement en cours d’étude dans le cadre de la convention de partenariat avec la région de Guelmim Oued Noun), l’Oriental, Boujdour, Tiznit et Essaouira.

- Combien de plans d’aménagement hydroagricole sont achevés au Maroc ? 

- Il convient de souligner que les chantiers d’aménagement hydro-agricole au Maroc portent sur plusieurs programmes qui visent à la fois la réhabilitation et la modernisation des réseaux existants ainsi que l’extension des surfaces irriguées par la construction de nouveaux périmètres irrigués à l’aval des nouveaux barrages.

Concernant ce programme d’aménagement hydro agricole associé aux nouveaux barrages, il porte sur 6 périmètres d’irrigation d’une superficie de 72.500 ha, qui concernent essentiellement des petits agriculteurs, et dont 3 projets sur 38.100 ha sont en phase finale d’achèvement des travaux. Il s’agit des projets suivants :

- Le projet de sauvegarde de l’irrigation dans la plaine du Saïss, qui consiste en un transfert d’eau à partir du futur barrage M’dez pour irriguer la plaine du Saïss sur 30.000 ha et substituer les prélèvements à partir de la nappe, sollicitée au-delà de sa capacité de renouvellement ;

- Le projet d’aménagement hydroagricole de la plaine de Boudnib associé au barrage Kaddoussa, dont l’objectif est d’apporter un volume d’eau de surface de 30 millions de m3 pour renforcer les ressources en eau locales d’un périmètre irrigué de 5.000 ha en vue d’accompagner le développement des projets d’extension du palmier dattier dans la plaine de Boudnib et d’assurer une gestion équilibrée et durable des eaux souterraines.

- Le projet d’aménagement hydroagricole du moyen Sebou Inaouen Aval (2e tranche), associé au barrage Idriss Ier, qui vise l’aménagement hydroagricole de 33 terrasses irrigables (Ouljas) sur une superficie de 4 600 ha.

Tous ces aménagements sont préalablement étudiés et conçus selon un modèle systémique et novateur : le "modèle marocain d’aménagement hydroagricole", qui permet de rationaliser et d’optimiser la consommation d’eau et d’énergie.

- Quelles sont les perspectives d’avenir des systèmes d’irrigation et comment le secteur peut-il s’adapter à l’évolution des conditions environnementales et socio-économiques pour garantir la durabilité et la productivité à long terme ?

- Dans ce contexte hydrique contraignant et pour faire face aux impacts du stress hydrique, l’irrigation a toujours été une priorité des politiques publiques au Maroc, notamment ces dernières années dans le cadre de la Génération Green et du Programme d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation PNAEPI (20-27).

Plusieurs chantiers importants sont engagés pour revoir la planification des investissements de mobilisation de l’eau de nature à atténuer la compétition entre les usages et surtout sécuriser les ressources en eau. Il s’agit particulièrement de :

- La poursuite du développement de nouveaux barrages dans les bassins qui disposent encore d’un potentiel de mobilisation (bassins Loukkos, Sebou et Bouregreg) ;

- L’interconnexion des bassins (Sebou-Bouregreg-Oum Rbia-Tensift, Loukkos-Tangérois, Laou-Moulouya) pour mobiliser le maximum des eaux actuellement perdues en mer ;

- L’approvisionnement en eau des grandes villes côtières par dessalement de l’eau de mer, ce qui permettra de libérer des ressources aux périmètres irrigués et de réduire les pertes en eau dans les systèmes de transport d’eau sur de longues distances ;

- Le développement des projets d’irrigation par dessalement d’eau de mer (essentiellement destinés à la production des fruits & légumes).

De même, un effort d’investissement de près de 50 milliards de DH est en cours de mise en œuvre, pour améliorer l’efficacité hydrique et énergétique de l’eau agricole, et dont l’objectif principal est de doubler la valeur ajoutée par m3 d’eau utilisé dans l’irrigation.

Ces programmes permettront de sécuriser et de pérenniser un stock hydrique stratégique au service de la souveraineté alimentaire nationale, qui contribuera à :

- Consolider nos acquis en matière de productions de fruits, légumes, huile, sucre, lait, viande, etc., par la pérennisation des dotations en eau des périmètres irrigués existants sur près de 700 000 ha ;

- Stabiliser un niveau stratégique de 60 millions de quintaux en céréales, par le développement de l’irrigation de complément sur 500 000 ha des assolements céréales/légumineuses/oléagineuses ;

- Sécuriser un approvisionnement durable et régulier du marché national en fruits et légumes et la consolider et développer notre offre export en fruits et légumes par le dessalement l’eau de mer à travers l’irrigation de maraichage sur 100 000 ha,

M. Ahmed El Bouari est directeur de l’Irrigation et de l’Aménagement de l’espace agricole (DIAEA) au ministère de l’Agriculture, de la pêche maritime, du développement rural et des eaux et forêts, depuis 2013.

Né en 1964 à Ouezzane, M. El Bouari a débuté sa carrière professionnelle en tant qu’ingénieur du génie rural.

Dans sa carrière professionnelle, il a conduit des projets d’envergure dans le domaine de l’eau et de l’irrigation. Il a contribué à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques nationales de l’irrigation, de l’eau et des aménagements fonciers.

En outre, il est actuellement président de l’Association des ingénieurs du génie rural du Maroc (AIGR) et président du Réseau marocain interprofessionnel de l’irrigation (REMIG). Il est également membre de l’association internationale "Echanges méditerranéens pour l’eau, la forêt et le développement" dont le siège est à Paris.

Il assure également la vice-présidence de la Commission internationale de l’irrigation et du drainage (CIID) en reconnaissance de ses contributions dans ce secteur.

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