Ciments du Maroc : 2023 sera une année de transition avant la reprise de la croissance

Crédit : Ciments du Maroc
| Le 10/5/2023 à 16:21
De nombreux facteurs laissent à penser que le marché cimentier connaîtra une nouvelle année difficile en 2023. Médias24 a rencontré Matteo Rozzanigo, directeur général de Ciments du Maroc, pour savoir comment le groupe anticipe cette année compliquée, comment se dessinent l'avenir et la stratégie du groupe pour accompagner le développement des infrastructures du pays.

Le groupe Ciments du Maroc a connu une année 2022 marquée par de nombreux défis. L’inflation est, dans un premier temps, venue rogner les marges de l’opérateur avec la hausse des intrants. Puis les difficultés du secteur immobilier, en proie à la hausse des prix des matériaux, n’ont pas arrangé les choses.

Sur l’année 2022 entière, les ventes de ciment dans le pays ont baissé de près de 11% à 12,5 Mt. A l’instar de l’ensemble des acteurs du secteur, Ciments du Maroc a vu sa capacité bénéficiaire reculer de 25% à 917 MDH. Cette année, les derniers chiffres disponibles de l’Association professionnelle des cimentiers (APC), à fin avril, n'annoncent pas d'éclaircie. La demande est toujours atone, avec une baisse de 8,5% depuis le début de l’année par rapport à l’an passé.

Médias24 est allé à la rencontre de Matteo Rozzanigo, directeur général de Ciments du Maroc, pour décrypter cette année hors du commun, et évoquer sa perception de l’évolution du marché dans un contexte 2023 encore très incertain.

Une baisse des volumes non compensée par l’effet prix en 2022

Les revenus du groupe ont reculé de 2,1% à 4.043 MDH en 2022. Malgré un effet prix légèrement favorable, le groupe a souffert de l’inflation et du retrait de la demande nationale.

La guerre en Ukraine a chamboulé les perspectives du marché cimentier sur l’intégralité de l’année 2022, à la suite de l’explosion du cours des matières énergétiques telles que le pétrole et le gaz. "Premièrement, nous avons fait face à la pression sur les coûts énergétiques, notamment avec la forte hausse du coke de pétrole. Puis il y a également eu une forte baisse du marché, notamment sur la seconde partie de l’année 2022. Le marché a perdu 10% en glissement annuel, mais la perte s’est surtout concentrée sur le second semestre. Le chiffre d’affaires a été partiellement compensé par la croissance de l’export", explique le dirigeant.

Il tient d’ailleurs à préciser que cette même activité export est le principal facteur ayant permis de limiter l’impact du retrait de la demande, et non la hausse des prix de vente. "Le chiffre d’affaires l’an dernier a reculé légèrement de 2,1%. Cet effet compensatoire de la baisse de la demande est principalement lié à l’export. La hausse des prix appliquée n’a clairement pas permis de compenser la baisse des volumes. Pour donner un ordre d’idée, les prix ont progressé en moyenne entre 4% et 5%. Cela n’a pas été suffisant pour amortir la hausse des combustibles."

Le groupe a d’ailleurs commencé l’an dernier à exporter du ciment et plus seulement du clinker. "Nous exportons principalement le clinker, car la logistique est plus simple qu’avec du ciment. Nous l’exportons dans des navires de 40 Kt, surtout depuis le port d’Agadir. Nous avons commencé en 2022 à exporter du ciment. C’est un défi car la logistique est compliquée, mais il y a des marges intéressantes. Nous avons certifié notre usine d’Aït Baha en janvier 2023 avec la certification européenne CE, qui va nous permettre d’exporter le ciment dans le marché européen", nous apprend Matteo Rozzanigo.

Mais cette année, comment se présentent les perspectives du marché cimentier ? Inutile de le nier, tout laisse à penser que ce sera encore compliqué. Cependant, les besoins de fonds sont là.

2023, une année de transition en attendant une croissance à moyen long terme

Le Maroc a des besoins d’infrastructure croissants qui nécessiteront des investissements et, de fait, l’utilisation de ciment. Mais à court terme, la situation est bien plus mitigée.

Premièrement, le dirigeant souligne que Ciments du Maroc fait face à une situation concurrentielle de plus en plus rude dans le Royaume. "Il y a également eu l’entrée en activité de différents concurrents, notamment dans des centres de broyage. Vers fin 2021, un opérateur à Safi a démarré son centre de broyage, avec un effet sur l’année entière en 2022. Il y a également le projet d’une usine intégrée en cours à El Jadida qui a démarré son broyeur fin 2022 et qui va bientôt démarrer la production de son propre clinker. Il s’agit d’un nouvel opérateur sur le marché. Le contexte est de plus en plus compétitif", confie Matteo Rozzanigo.

"Il faut aussi noter qu’il y a une situation concurrentielle très forte avec beaucoup de surcapacité. Avec la baisse de marché observée l’an dernier, le Maroc dispose d’une capacité installée deux fois supérieure à la demande du marché", précise le dirigeant. Ce phénomène amènera in fine un nivellement des prix de vente par le bas, qui devrait en partie peser sur les revenus des opérateurs cette année.

Et le retour de cette demande se fait encore attendre. Sur les quatre premiers mois de l’année, un retrait de plus de 8% est observé par rapport à la même période en 2022. Une situation inédite qui, en termes de consommation, a renvoyé le Maroc des années en arrière. "Avec la demande de 12,5 Mt de ciment en 2022, nous sommes environ revenus aux niveaux de consommation de 2007, c’est-à-dire avant la croissance de 2008-2012, quand le pays était moins développé qu’aujourd’hui. Les premiers mois de 2023 ne montrent pas de changement drastique par rapport à l’an dernier malheureusement", explique le directeur général du groupe.

Le contexte des taux haussiers en 2023 ne va pas arranger les choses ; avec un recul de l’encours des crédits aux promoteurs et un renchérissement important du coût du crédit pour les ménages, peu d’arguments plaident pour une reprise du secteur immobilier. Cependant, sur le moyen long terme, le groupe reste confiant. Des perspectives intéressantes se dessinent tant dans les régions du Nord que du Sud, et le développement du pays nécessitera l’intervention des cimentiers.

"Cette année, sur les premiers quatre mois, nous avons perdu, en termes de consommation nationale, près de 1 Mt par rapport à 2019. Notre perception est que dans les prochains mois, la consommation va redémarrer. La loi de finances prévoit l’année prochaine des interventions de l’État pour favoriser la relance du secteur immobilier. Il y a également l’annonce de grands projets, mais ce n’est pas encore visible sur le marché. Cette année 2023 sera une année de transition, avec un secteur immobilier impacté par la hausse des taux et un marché infrastructures plein de projets mais qui ne sont pas encore lancés", explique Matteo Rozzanigo.

"Le besoin d’infrastructure est encore là, il y a de la demande qui n’est pas satisfaite, surtout sur le logement social et il y a du potentiel futur. Nous nous attendons à une croissance de 3% à 4% par an dans un avenir proche, donc les perspectives de croissance sont positives sur le moyen long terme." Le groupe est d’ailleurs déjà présent sur de nombreux projets d’envergure, comme le nouveau port de phosphate de Laâyoune où il est l’unique fournisseur de Béton prêt à l’emploi (BPE). Sur les chantiers Ciments, le groupe est également l’unique fournisseur pour Taghazout Bay, le parc éolien de Boujdour, le port Dakhla Atlantique ainsi que les barrages de Boulaouane, Toudgha, Aït Ziat, Fask et Agdaz.

Pour accompagner cette dynamique de croissance à long terme, le groupe compte poursuivre ses améliorations stratégiques dans la baisse de ses émissions, et sur la mise en place l’année dernière de son centre de broyage de Nador pour saisir les opportunités dans les régions du Nord.

Accompagner la croissance à venir de l’ensemble du territoire

Le groupe est historiquement présent dans les provinces du centre et du sud du Maroc, notamment avec ses usines d’Aït Baha, Marrakech et Safi, mais l’an dernier, il a investi 330 MDH pour ouvrir en juillet un centre de broyage à quelques kilomètres de Nador, un moyen stratégique de desservir le marché local en ciment à moindre coût. Une manière de répondre à son concurrent principal, LafargeHolcim Maroc, qui s'est implanté près d’Agadir.

"Le centre de broyage de Nador part du clinker pour produire du ciment. Nador reçoit le clinker qui vient d’Agadir par bateau et, ensuite, nous y ajoutons du calcaire, du gypse et autres produits entrant dans la production du ciment pour le vendre sur le marché local", explique Matteo Rozzanigo.

Dans un marché en surcapacité, le centre de broyage ne tourne pas à pleine capacité (700.000 tonnes par an, ndlr), néanmoins, "le projet fonctionne comme souhaité. Il ne tourne pas à pleine capacité, mais cela entre parfaitement dans nos prévisions pour suivre le développement intéressant de la région Nord", poursuit-il. En effet, de nombreux projets sont en cours dans la région. "Il y a le port commercial qui a été partiellement réalisé à Nador et il reste désormais toute la partie onshore à effectuer. Il y a la nouvelle connexion d’autoroute entre Nador et Fès-Meknès, etc. Tout cela fait que ce centre de broyage représente une installation stratégique qui fait de Ciments du Maroc un opérateur national", précise le dirigeant.

Parallèlement, le groupe cherche à améliorer son empreinte écologique dans le sillage de la stratégie de son actionnaire majoritaire. "La stratégie de Ciments du Maroc est très alignée avec celle de notre groupe Heidelberg Materials. Nous tablons sur la nécessité d’avoir une visibilité sur la durabilité de notre activité. Nous devons continuer à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, valoriser les déchets, et assurer une production bas carbone. Presque 70% de nos produits sont déjà bas carbone. Nous sommes très bien avancés. Nous comptons cette année concentrer nos efforts sur ce positionnement en tant que producteur durable. Nous voudrions lancer des pilotes ici au Maroc pour des centrales de recyclage des produits de démolition de bâtiments qui nous permettent de récupérer des granulats et de minimiser les impacts environnementaux", explique le dirigeant.

Une position financière toujours solide malgré la mauvaise conjoncture

Malgré le recul de la demande l’an dernier et la baisse du résultat net, le groupe est parvenu à maintenir un dividende attractif, quoiqu’en baisse de 37% par rapport à 2021, à 60 dirhams par action.

Cette année, étant donné le contexte encore tendu, le dirigeant table sur une stabilité des profits de l’entreprise ou une légère hausse éventuellement. Cela viendrait notamment d’une réduction des coûts variables sur la période. "En termes de gestion de coûts fixes et variables, nous avons déjà une stratégie très forte. Nous sommes déjà très compétitifs, et il est très compliqué d’avoir une contraction additionnelle. Nous nous attendons cette année à une baisse des coûts variables du fait des retours à la normale des cours du coke de pétrole. Mais, de l’autre côté, l’érosion des prix de vente va continuer du fait que le marché est très compétitif. Nous attendons de voir si une hausse de la demande se matérialisera sur la seconde moitié de l’année, et en termes de profitabilité en 2023, nous nous attendons à une stabilisation ou une petite amélioration", explique Matteo Rozzanigo.

Malgré sa baisse de profit en 2022, le groupe propose un yield toujours solide aux alentours de 5%. Cette année, s’il est encore bien compliqué de prédire comment se comporteront les bénéfices et les dividendes, le directeur général assure une politique toujours rémunératrice pour les investisseurs.

"Notre payout est encore intéressant. Avec un dividende de 60 dirhams par action, nous avons un rendement de 5%, ce qui est intéressant. Nous l’avons baissé car le résultat avait également baissé, mais notre politique est toujours de maximiser le retour aux investisseurs, sauf ce qui est nécessaire pour les investissements. Cette année, il devient de plus en plus difficile de faire des prévisions à cause d’un contexte très variable, donc nous ne savons pas comment le dividende évoluera, mais ce qui est certain, c’est que ce que nous pouvons distribuer, nous le distribuerons", conclut-il.

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