Libertés fondamentales : structurées et audacieuses, les propositions de réforme d’un collectif inédit
Liberté de religion et de conviction, égalité dans la Moudawana dont l’héritage, relations sexuelles hors mariage... Voici les propositions de réforme d’un collectif d’experts en matière de libertés fondamentales.

Libertés fondamentales : structurées et audacieuses, les propositions de réforme d’un collectif inédit
Liberté de religion et de conviction, égalité dans la Moudawana dont l’héritage, relations sexuelles hors mariage... Voici les propositions de réforme d’un collectif d’experts en matière de libertés fondamentales.
Élaboré et publié par un collectif d’experts, un document de travail sur les libertés fondamentales présente des propositions de réforme de divers textes : la Constitution, le Code de la famille, le Code pénal et le Code de la nationalité.
Le groupe de travail à l'origine de ce document se compose de huit membres : Asma Lamrabet, Driss Benhima, Yasmina Baddou, Jalil Benabbés-Taarji, Khadija El Amrani, Chafik Chraibi, Monique El Grichi et Mohamed Gaïzi. Il s’agit d’un collectif "paritaire, diversifié par les profils et les expériences, et essentiellement non partisan", comme l’indique à Médias24 le coordinateur de ce collectif.
Contacté par nos soins, ce dernier explique que "ce collectif est né il y a tout juste un an, en mars 2022, soit quelques mois avant le discours de référence de Sa Majesté le Roi Mohammed VI [discours du Trône 2022, ndlr], qui a été pour nous un catalyseur, une grande motivation ; il a contribué à décupler nos efforts".
"Nous avons voulu faciliter le travail du gouvernement"
Selon notre interlocuteur, "le périmètre de travail va au-delà la Moudawana. Nous avons conscience du fait que le Code de la famille sera, par la force des choses, la pièce maîtresse des débats, mais il n’est pas interdit d’espérer que les réformes en cours puissent dépasser le cadre de la Moudawana".
Et d’ajouter : "Nous avons lancé ce travail car il s’agit d’un sujet qui nous tient à cœur depuis de nombreuses années, ainsi qu’à de très nombreux compatriotes. Nous avons été motivés par la conjoncture politique et gouvernementale ; une opportunité qui ne se présente pas souvent (une année non électorale, relativement apaisée, un gouvernement ramassé et a priori réceptif et attentif, etc.) ; nous avons donc démarré les travaux qui ont duré neuf mois".
L’objectif de cette démarche est donc de "proposer un véritable document de travail", dans lequel sont présentés, dans chaque chapitre, "les constats, les commentaires et les propositions". "L’essentiel du travail repose sur l’expérience et l’expertise des membres, qui ont été enrichies par des échanges avec des oulémas. En somme, nous avons voulu faciliter le travail du gouvernement et de la majorité parlementaire tout en respectant à la lettre l’esprit du discours royal", poursuit le coordinateur du collectif.
Les propositions de réforme présentées dans ce document de travail ne se limitent pas au Code de la famille, bien qu’une grande partie y soit consacrée. Elles concernent également la Constitution, plus précisément ses articles 1 et 3, en matière de liberté de religion ou de conviction.
La problématique relevée par le collectif est l’absence de la liberté de conscience dans la Constitution, qui conduit à l’interdiction de "choisir librement sa religion, d’en sortir ou de ne pas en avoir", ce qui est en contradiction avec "les engagements du Maroc et aux fondements des droits humains".
Autres propositions de réforme : celles relatives au Code pénal, notamment à l’exercice des cultes, aux relations sexuelles hors mariage, au droit à l’avortement ou encore à la liberté d’expression.
Concernant les problématiques relatives à l’exercice des cultes, le collectif propose, entre autres, de ne sanctionner que la personne, appartenant à la religion musulmane, qui rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public non couvert pendant le temps du ramadan, mettant en danger l’ordre public, sans motif admis par cette religion et ce, par une amende de 12 à 120 DH.
Concernant les rapports sexuels en dehors du cadre du mariage, le collectif indique que cet acte peut "nuire au conjoint ‘trahi’ mais aussi porter des conséquences désastreuses si un enfant naît de cette relation et que le père biologique refuse de le reconnaître".
C’est pourquoi le collectif propose, à travers ce document de travail, diverses options pour "dépasser cette problématique", dont l’une vise à appliquer des sanctions pécuniaires au lieu de l’emprisonnement ; et l’autre suggère d’imposer à l’homme, "en tant que père biologique, de reconnaître son enfant issu de tout acte sexuel, indépendant de son statut".
Égalité dans l’héritage
Quant à l’égalité des genres dans le Code de la famille, le collectif consacre un axe important à la question de l’héritage, notamment le volet du testament, de l’héritage par taâsib et de l’héritage des non musulmans, etc.
Le collectif recommande d’adopter "l’usage préalable du testament dans l’héritage avant tout partage en respectant le fiqh marocain actuel dans son esprit. Cependant, les conditions de reconnaissance et d’accord préalables et post-décès des autres héritiers seront annulés".
"Le testateur fera ainsi à ses héritiers, filles ou garçons ou autres, un testament leur léguant jusqu’à un tiers de son héritage, selon sa propre volonté et sans l’approbation de quiconque. A noter que la manière de régir le testament permettrait au testeur qui le désire, de léguer à ses filles, par testament, la quote part de son héritage juste nécessaire pour équilibrer le partage entre filles et garçons", ajoute le collectif.
Les membres de ce dernier estiment également que la pratique du taâsib "n’a pas de fondements coraniques" et "trouvait sa légitimité dans une société patriarcale où seuls les hommes devaient prendre les règnes en tant que chefs et porte-paroles de la famille". Pour ce groupe de travail, "régler ce point permettrait d’éviter un problème démographique lié à la recherche des foyers d’un enfant mâle".
Ainsi, il est proposé qu’"en cas d’absence de mâle parmi les héritiers, que les filles 'aâsabent par elles-mêmes'. C’est-à-dire qu’elles restent héritières (waratas) en 'farde' et qu’elles deviennent également 'waratas' en taâsib, ou encore qu’elles partagent entre elles ce qui reste après la distribution, d’al fard dont elles bénéficient également".
A noter que, selon le coordinateur du collectif, ces propositions seront adressées "de manière plus formelle aux institutions du pays ; à savoir le chef du gouvernement, le ministre de la Justice, les dirigeants des principaux partis politiques, les présidents des deux chambres du Parlement et le Conseil national des droits de l’Homme".
Et d’ajouter : "Nous sommes convaincus que des marges de progrès significatives existent, et ce, dans le respect de nos valeurs sacrées et en valorisant notre culture de tolérance."