Emmanuel Dupuy : comment la France a perdu la confiance du Maghreb

Le président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) revient sur les causes d’un revirement diplomatique qui exclut pour l’instant toute visite imminente du président français au Maroc. En parallèle, Emmanuel Dupuy considère que le constat d’échec du rapprochement entre la France et l’Algérie n’est pas de nature à améliorer la relation bilatérale dans l’immédiat.

Emmanuel Dupuy : comment la France a perdu la confiance du Maghreb

Le 15 février 2023 à 18h58

Modifié le 15 février 2023 à 19h26

Le président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) revient sur les causes d’un revirement diplomatique qui exclut pour l’instant toute visite imminente du président français au Maroc. En parallèle, Emmanuel Dupuy considère que le constat d’échec du rapprochement entre la France et l’Algérie n’est pas de nature à améliorer la relation bilatérale dans l’immédiat.

Dans le droit fil de son incroyable initiative rendue publique par le quotidien Le Figaro de trouver un successeur au président palestinien Mahmoud Abbas, le chef de l’Etat français donne en effet l’impression désagréable de ne pas se gêner pour imposer à ses homologues du Maghreb une vision surannée, teintée de paternalisme et d’autoritarisme, que l’on croyait révolue depuis des décennies.

"Paris a-t-il perdu Rabat, Alger et Tunis ?"

"Entre sa visite prévue au Maroc en février qui n’aura pas lieu de sitôt et celle à Paris sûrement annulée du président Tebboune, après l’exfiltration d’une activiste des droits de l’homme franco-algérienne, le président Emmanuel Macron a mis la France dans une situation fâcheuse qui n’a pas manqué d’irriter ses principaux partenaires du Maghreb", analyse le géopolitologue qui reconnaît par conséquent de véritables tensions dans le triangle Paris-Rabat-Alger.

Si certains observateurs ont pu penser que la France avait "lâché" le Maroc au profit de ses intérêts avec l’Algérie, la brûlante actualité de l’affaire Amira Bouraoui démontre en réalité qu’elle est en passe de perdre les deux, à savoir la confiance du Maroc et le rapprochement espéré avec l’Algérie, poursuit Emmanuel Dupuy.

"Une situation diplomatique totalement inédite"

Ainsi, après le rappel en octobre dernier de l’ambassadeur marocain Mohamed Benchaâboun, suivi de celui en février de l’algérien Saïd Moussi, la France s’est retrouvée dans une situation perturbante, pour ne pas dire totalement inédite, dans l’histoire de la Ve République.

"Le fait que ses deux partenaires les plus essentiels sur la rive Sud ont rappelé leurs diplomates pour des raisons diverses a conduit à une dislocation et une remise en cause de la cohérence de sa politique maghrébine, traditionnellement équilibrée au Maghreb."

"En plus des tensions avec Rabat et Alger, les relations de la France ne sont pas au beau fixe avec Tunis depuis la dérive autocratique du président Kais Saïd en juillet 2022", avance Emmanuel Dupuy, pour qui les efforts de rapprochement menés par les ambassadeurs français dans les trois capitales du Maghreb n’auront pas abouti.

Partant de ce constat et faute d’amélioration visible, la situation actuelle de blocage exclut, selon lui, tout déplacement présidentiel au Maroc ; d’autant que les réunions entre chefs d’Etat se préparent habituellement en coordination avec l’ambassadeur marocain, qui n’a toujours pas été nommé à Paris et qui ne risque pas de l’être de sitôt.

"Hélas, la dernière fâcherie française avec l’Algérie ne profitera pas au Maroc"

Contrairement à ce que certains pourraient penser, Emmanuel Dupuy estime que la fâcherie avec l’Algérie ne devrait hélas pas profiter au Maroc ;  la France connaissant un contexte de tension avec les trois capitales, qui n’a pas enregistré d’évolution positive malgré la levée des restrictions sur les visas, et les efforts indéniables de Rabat pour rapatrier ses citoyens sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF)

Entre la diplomatie française qui ne compte pas bouger d’un iota sur le dossier du Sahara et les signaux surestimés d'un rapprochement avec l’Algérie qui ne se sont jamais concrétisés, il n’y aura sans doute pas de visite dans l’immédiat du président algérien à Paris... et le blocage devrait donc se poursuivre, selon notre source.

"Un président français mal perçu par ses interlocuteurs africains"

Sur les ressorts du comportement peu diplomatique d’Emmanuel Macron, qui s’est mis à dos tous ses anciens partenaires maghrébins, nombre de chefs d’Etat africains qui le côtoient déplorent en privé sa lecture trop personnaliste des dossiers de politique étrangère, poursuit Emmanuel Dupuy.

"Ses interlocuteurs insistent sur la manière un peu cavalière de les considérer, et certains vont même jusqu’à évoquer une vision paternaliste à leur égard. Ainsi, les dernières visites à Paris du président de la Côte d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara, et du président de la Guinée Bissau et de la CEDEAO, Umaro Sissoco Embalo, qui avaient été interprétées comme des convocations d’un administrateur étranger en témoignent.

"De ce point de vue, la diplomatie marocaine a raison d’évoquer une personnification présidentielle des difficultés actuelles entre Paris et Rabat, même s’il peut y avoir eu des exagérations ciblées pour donner l’impression que le problème ne vient que du côté français", poursuit Dupuy. Ce dernier estime que la succession de malentendus a entraîné la brouille actuelle qui, bien qu’elle soit plus superficielle que profonde, atteint cependant des sommets d’incompréhension.

"La diversification des marchés du Maroc n’arrange pas la France"

Au-delà de son attitude, cette brouille diplomatique s’expliquerait aussi par d’autres facteurs, comme l’insistante demande du Maroc de faire évoluer la position française sur le dossier du Sahara, l’affaire Pegasus, l’entrisme des sociétés israéliennes dans les domaines de la sécurité et de la cyber-sécurité au Maroc - qui a irrité les entreprises françaises -, sans compter la concurrence croissante de la part de plusieurs pays européens vis-à-vis des marchés marocains, à l’instar de l’Espagne, de l’Allemagne ou encore de l’Italie.

"D’une certaine façon, le rapprochement entre Rabat et Madrid matérialisé par la tenue du récent sommet hispano-marocain, s’est fait aux dépens de la primeur de la relation franco-marocaine, qui se voulait non pas exclusive, mais au moins plus gratifiante", conclut Emmanuel Dupuy.

Selon lui, il faudra donc attendre que la France constate de facto une impossibilité de rapprochement avec l’Algérie pour qu’elle soit en mesure d’adoucir sa position vis-à-vis du Royaume.

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