Ambulanciers. Le racolage commissionné jusqu’à 10.000 DH par patient à Casablanca !

Patients redirigés en échange de commissions, personnel non formé, véhicules mal équipés... Faute de règlementation, ils sont nombreux à s’improviser ambulanciers, mettant très souvent la vie des malades en danger. Un cahier des charges, en cours d’élaboration, devrait remédier au vide juridique.

Ambulanciers. Le racolage commissionné jusqu’à 10.000 DH par patient à Casablanca !

Le 26 janvier 2023 à 14h57

Modifié 26 janvier 2023 à 16h34

Patients redirigés en échange de commissions, personnel non formé, véhicules mal équipés... Faute de règlementation, ils sont nombreux à s’improviser ambulanciers, mettant très souvent la vie des malades en danger. Un cahier des charges, en cours d’élaboration, devrait remédier au vide juridique.

"N’importe qui peut créer une raison sociale, acheter un véhicule, écrire dessus ‘Ambulance’ et s’improviser ambulancier." Voilà comment nous résume-t-on – peut-être en forçant un peu le trait – la situation désastreuse du secteur privé des ambulances au Maroc. Pourtant, il s’agit là d’un maillon important du système des urgences médicales dont peut dépendre la vie des patients.

Une désorganisation et une anarchie, notamment sur la composante privée du secteur, qui donnent lieu à des pratiques non éthiques, très dangereuses. "A Casablanca, les ambulanciers font du racolage avec les malades, généralement récupérés dans les hôpitaux, pour les rediriger vers certains centres hospitaliers privés en contrepartie de commissions", nous explique Redouane Semlali, président de l’Association nationale des cliniques privées (ANCP).

Alors que certains patients pourraient être sauvés en intégrant les structures hospitalières les plus proches, certains ambulanciers, dans le but de décrocher leur commission, optent pour des structures plus éloignées, mettant ainsi en péril la vie des patients.

La commission va de 10.000 à 20.000 dirhams pour un seul cas

Cette commission "dépend de la facture totale payée par le patient. Elle représente entre 15% et 20% de la facture, et c’est malheureusement le malade qui paie. Car pour pouvoir assurer ces ristournes, il y a généralement une surfacturation", ajoute le Dr Semlali.

Pour donner un ordre de grandeur, "un malade que l’on doit transférer par ambulance est souvent dans un état grave relevant de la réanimation. Il va rester dans ce service en moyenne dix jours, à raison de 7.000 à 10.000 dirhams la journée".

Si l’on fait le calcul, dans un cas pareil, la commission des ambulanciers peut varier entre 10.500 et 20.000 dirhams pour un seul cas.

"Ces institutions sont connues, elles sont traçables", assure le Dr Semlali, qui se garde cependant de dévoiler leur identité. Il y a, selon lui, deux principaux circuits de transport : "Un premier circuit des structures hospitalières – et ce sont généralement des cas de blessés ou d’urgence ; et un deuxième circuit, où le malade demande à être évacué dans une structure précise mais, au cours du trajet, l’ambulancier tente de le détourner vers une autre."

"Ces pratiques émanent d’une minorité de cliniques mais restent toutefois non négligeables", déplore le président de l’ANCP. "Sur Casablanca, cinq ou six cliniques s’adonnent à ces pratiques. Ce chiffre n’est pas dépassé sur l’ensemble des villes du pays. Ce n’est pas une pratique étendue à tout le secteur, mais elle salit tout de même notre profession", insiste-t-il.

"Pour y faire face, nous avons mis en place une charte au niveau des cliniques privées, qui les engage à ne pas avoir recours à ce genre de pratiques. Nous contrôlons ces structures. Quelques-unes, plus respectueuses des valeurs morales, jouent le jeu, mais beaucoup reste à faire", estime le président de l’ANCP.

"Les pouvoirs publics et le Conseil national de l’Ordre des médecins doivent s’atteler à ce fléau, qui relève du marchandage d’êtres humains", conclut-il.

"Le secteur est anarchique au Maroc"

Qu’en pensent les représentants du secteur du transport sanitaire ? Abdelhamid El Mouadden, président de l’ANSAM, indique être dans l’incapacité de confirmer l’existence de telles pratiques en l’absence de preuves. "Seules les victimes et les familles ayant vécu de telles situations peuvent dénoncer ces pratiques, et jusqu’à présent, il n’y a pas de vidéos ou de témoignages qui le prouvent."

"La structure hospitalière vers laquelle le patient est dirigé relève de son choix ou de celui de sa famille", ajoute-t-il, estimant que la problématique est plus profonde. "Si ces pratiques existent réellement, les ambulanciers n’en sont pas les seuls responsables. C’est le vide juridique qui est à l’origine de tous les maux du secteur."

Abdelhamid El Mouadden alerte sur une autre pratique illégale dans le secteur, relative à "l’utilisation des ambulances privées de réanimation pour le transport des morts, directement vers les cimetières".

"Il faut toujours revenir à la source du problème. La majorité des ambulanciers à Casablanca ne sont pas autorisés à pratiquer le transport sanitaire. Le secteur est anarchique au Maroc. N’importe qui peut créer une raison sociale, écrire ‘Ambulance’ sur un véhicule et circuler dans les hôpitaux à la recherche de patients à transporter", poursuit M. El Mouadden.

"Il n’y a pas de lois qui réglementent le secteur, et encore moins des cahiers des charges pour les différentes villes du Royaume. Le secteur du transport sanitaire relève des ministères de l’Intérieur et de la Santé, tandis que les cahiers des charges sont élaborés par les communes. Celui de Casablanca existe depuis plus de vingt ans mais il n’est plus valable. Ses dispositions, qui ne répondent pas aux attentes du métier en termes d’investissement, sont rejetées par tous les ambulanciers de la métropole", affirme le président de l’ANSAM.

"A titre d’exemple, l’obtention d’une concession de cinq ans pour le transport sanitaire à Casablanca est conditionnée par des investissements, notamment en ce qui concerne le local, le personnel et le matériel. Au bout de ces cinq ans, la commune relance un nouvel appel d’offres, à l’issue duquel les ambulanciers autorisés durant les cinq précédentes années peuvent ne pas être retenus. C’est donc un investissement perdu, avec tout ce que cela engendre, surtout en termes de conflits sociaux avec le personnel", décrit-il.

Le résultat de cette situation anarchique est que "nul aujourd’hui ne peut être assuré d’être en sécurité avec le transport sanitaire", regrette notre source, citant le cas d’une personne décédée faute de prise en charge rapide. "Par manque d’oxygène dans une première ambulance, la famille a dû en attendre une seconde, qui a mis du temps à arriver. Ce n’est pas normal."

"80% des personnes accidentées sur la voie publique meurent sur les lieux de l’accident faute de secours. La situation est grave", déplore-t-il.

Notre source de poursuivre : "Le ministère de la Santé dispose d’un parc de 1.400 ambulances, mais à peine 350 sont médicalisées. Quant au secteur privé, il dispose de plus de 1.000 véhicules. Au Maroc, de nombreux secteurs connaissent une dynamique, mais celui de la santé continue à faire défaut. Il ne faut pas nier que de nombreux investissements se font dans le secteur privé, mais le transport sanitaire ne suit pas. Il doit donc être mis sur les rails, avec un cahier des charges respectant les règles. Lorsque le secteur sera réglementé, 30% des ambulanciers de Casablanca se retireront", assure Abdelhamid El Mouadden.

Un nouveau cahier des charges en préparation

Pour encadrer le secteur et y remettre de l’ordre, l’ANSAM a proposé un nouveau cahier des charges. Ce dernier prend en considération les spécificités du secteur et son évolution au cours des dernières années.

"La révision de ce cahier des charges a été décidée bien avant la crise du Covid-19, mais les choses ont été suspendues par la pandémie. Depuis, le document a été transmis à la mairie de Casablanca et à la Direction régionale du ministère de l’Intérieur" pour examen.

Plusieurs nouveautés y sont proposées. La première est relative à la durée de la concession. "Dans l’ancien cahier des charges, elle était valable cinq ans, à l’issue desquels un appel d’offres était relancé. Le projet du nouveau cahier des charges indique que cette concession sera automatiquement renouvelée sur la simple demande de l’intéressé. Donc plus d’appels d’offres."

La deuxième nouveauté concerne le nombre d’ambulances autorisées. "Dans la pratique, certaines communes limitent la concession à quatre ou cinq ambulances à peine. Dans le nouveau cahier des charges, il est indiqué que les concessions seront accordées en nombre considérable pour ouvrir le secteur aux investisseurs et à la libre concurrence, la concurrence étant bénéfique aux citoyens."

L’autre point évoqué par notre interlocuteur concerne les caractéristiques des véhicules sanitaires. "La commune exigeait des véhicules de moins de cinq ans. Dans le nouveau cahier des charges, tout véhicule qui répond aux normes sur le plan sanitaire et technique sera apte à circuler, même s’il est âgé de sept ou neuf ans."

De plus, "toute personne souhaitant être autorisée à faire du transport sanitaire doit disposer d’un local, avec un secrétariat pour recevoir les familles, assurer la permanence et stocker le matériel. Actuellement, la grande majorité des ambulanciers sur Casablanca ne dispose pas de bureaux".

Par ailleurs, "le personnel doit avoir, au minimum, un certificat de secourisme. C’est une condition obligatoire pour exercer. L’Association a également demandé que les ambulanciers effectuent des formations dans les hôpitaux publics, notamment dans les services des urgences, pour mieux assister différents cas et éviter le transport dit 'taxi allongé'".

"Pour ce qui est des redevances communales, la mairie exigeait le paiement de 20.000 DH/an dans certaines villes, alors qu’elle fait circuler elle-même ses propres ambulances. Dans le nouveau cahier des charges, il est prévu le paiement de 500 DH par an, par véhicule. Une personne qui dispose de quatre ambulances par exemple déboursera 2.000 DH par an, un montant acceptable pour l’ensemble du secteur."

"Enfin, nous avons exigé que la tarification soit affichée dans la cellule de l’ambulance. Les citoyens doivent savoir à quoi s’attendre." Pour nous donner un aperçu des prix pratiqués actuellement, M. El Mouadden explique que "le tarif du transfert dépend de différents critères, notamment du cas du patient et de la distance parcourue. Le transport urbain à Casablanca varie entre 250 et 350 dirhams. Lorsque l’ambulance est équipée d’oxygène, ce chiffre monte à 500 dirhams. La présence d’un infirmier fait grimper le tarif à 600, voire 700 dirhams. S’il s’agit d’un transport médicalisé, qui implique la présence d’un médecin et de matériel de réanimation, le prix atteint jusqu’à 2.000 dirhams par transfert".

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