Ordre mondial, guerre en Ukraine, Maroc-France-Algérie, Coupe du monde... L’avis de Pascal Boniface

Pascal Boniface, géopolitologue, fondateur et directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques, revient pour Médias24 sur les relations entre le Maroc et la France, le parcours des Lions de l’Atlas durant le Mondial et la guerre en Ukraine.

Pascal Boniface est géopolitologue et fondateur-directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques.

Ordre mondial, guerre en Ukraine, Maroc-France-Algérie, Coupe du monde... L’avis de Pascal Boniface

Le 20 janvier 2023 à 12h05

Modifié le 20 janvier 2023 à 17h56

Pascal Boniface, géopolitologue, fondateur et directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques, revient pour Médias24 sur les relations entre le Maroc et la France, le parcours des Lions de l’Atlas durant le Mondial et la guerre en Ukraine.

Après sa conférence organisée le mardi 17 janvier à Rabat sur la géopolitique du sport, Pascal Boniface en a tenu une autre le lendemain à l’Institut français de Casablanca, sur les "recompositions géopolitiques mondiales", avec un focus sur la guerre en Ukraine et ses répercussions sur l’ordre mondial.

En marge de cet évènement, le géopolitologue, également directeur et fondateur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), un think tank spécialisé dans les questions géopolitiques et stratégiques, a répondu aux questions de Médias24.

Les relations Maroc-France

A propos des relations maroco-françaises, Pascal Boniface se réjouit du règlement du problème des visas, qu’il qualifie de "maladresse française" et dont les causes, estime-t-il, relèvent de la politique intérieure. "Lorsque l’on prend des décisions internationales pour des raisons de politique intérieure, c’est rarement une réussite", souligne-t-il.

Concernant la position de la France sur le Sahara, il affirme qu’elle est claire et en faveur du Maroc, puisque la France soutient le plan marocain d’auto-détermination au Sahara. Il admet que la reconnaissance américaine est considérée comme un "game-changer", mais il considère en même temps que le fait que la France soit membre permanent du Conseil de sécurité ne lui permet pas de modifier nationalement une position elle-même définie par ce même Conseil de sécurité.

Par ailleurs, il ne croit pas qu’il y ait une tendance, de la part de la France, à favoriser sa relation avec l’Algérie au détriment du Maroc. Il considère plutôt que la France veut les développer indépendamment l’une de l’autre.

La relation de la France avec l’Algérie nécessite selon lui "plus d’efforts". "Il y a un problème mémoriel entre ces deux pays qui n’existe pas entre la France et le Maroc", justifie Pascal Boniface.

Le Maroc et la guerre en Ukraine

Face à la polarisation croissante entre les Etats-Unis et la Chine, et la recomposition géopolitique qui résulte de la guerre en Ukraine, le géopolitologue estime que "rien n’empêche le Maroc de continuer à développer ses relations avec toutes les grandes puissances".

Pascal Boniface met en lumière l’idée dite "The West vs the rest", qui se traduit notamment par des positions occidentales qui ne sont pas automatiquement suivies par le reste du monde, alors que l’Occident est habitué à ce que ses positions et valeurs soient considérées comme universelles.

Preuve en est qu’aucun pays africain n’a voté contre la Russie aux Nations unies, y compris le Maroc. Il admet d’ailleurs que le Maroc n’y avait pas intérêt, en particulier parce que la Russie est membre permanent du Conseil de sécurité, qui vote chaque année une résolution sur le Sahara.

Les Lions de l’Atlas en Coupe du monde

Pascal Boniface, qui est aussi un spécialiste de la géopolitique du sport, reconnaît que le Maroc a marqué des points en termes de soft power à l’échelle mondiale. La plupart des Français ont soutenu le Maroc durant tout son parcours au Mondial, a-t-il rappelé... sauf lorsque les Lions ont affronté la France en demi-finale.

"Il est certain que cet extraordinaire parcours en Coupe du monde a renforcé le prestige du Maroc en Afrique et dans le monde arabe. On dira éternellement que le Maroc a été la première nation arabe et africaine à être parvenue au stade des demi-finales", déclare-t-il.

L’excès d’orgueil de Poutine

Pascal Boniface, qui était de ceux qui pensaient que Poutine n’irait pas jusqu’à envahir l’Ukraine, reconnaît s’être trompé. S’il n’y a pas cru, c’est, dit-il, parce qu’il pensait que Poutine n’y avait pas intérêt. Sur ce point, le temps lui a donné raison, puisque l’invasion russe s’est avérée être tout sauf une réussite.

Il explique comment Poutine a perdu en quelques mois ce qu’il a mis des années à construire. Sa légitimité s'est établie sur la restauration du prestige de la Russie sur la scène internationale. Sa crédibilité est fortement mise en cause, notamment auprès de son peuple dont une partie se retrouve désormais à fuir le pays.

Comme beaucoup d’autres leaders, c’est un excès d’orgueil qui lui a fait croire qu’il pouvait réussir là où tous les autres avaient échoué avant lui. Les invasions de pays, même faibles, par les grandes puissances, ont toutes échoué : les Etats-Unis au Vietnam, en Irak et en Afghanistan, l’URSS en Afghanistan, et la présence militaire française au Mali, qui n’a pas duré.

Mais tous ces rappels de l’Histoire n’ont visiblement pas suffi à convaincre Poutine de ne pas déclarer la guerre à l’Ukraine. Pendant la guerre d’Afghanistan, les Soviétiques ont perdu 15.000 hommes en dix ans. En moins d’un an en Ukraine, les pertes russes ont déjà dépassé ce nombre, selon Pascal Boniface.

L’issue de la guerre

Il n’y a aucun risque que l’Ukraine finisse par être envahie maintenant qu’elle est fortement soutenue par les Occidentaux, estime l’expert. Avec les chars qu’elle commence à recevoir, l’Ukraine a la possibilité de faire plus de percées. Et Volodymyr Zelensky, son président, réclame toujours plus d’armement à ses alliés. La différence de moyens entre l’Occident et la Russie est éloquente : l’Otan a un PIB 30 fois supérieur à celui de la Russie.

L’Ukraine réussit donc à tenir ses positions, mais cela ne signifie pas non plus qu’elle aura la capacité d’aller plus loin ; l’affrontement devra rester circonscrit au Donbass. Quant à la Crimée, elle semble être une ligne rouge, surtout pour les Etats-Unis, afin de ne pas donner à Poutine l’occasion d’utiliser l’arme nucléaire. Sans compter que la situation de cette péninsule est délicate, car même si elle a été annexée illégalement, ses habitants se sentent russes, signale Pascal Boniface.

Les objectifs de ce conflit, de part et d’autre, ne sont plus très clairs, et une sortie de guerre paraît de plus en plus complexe. Les Occidentaux mènent une guerre par procuration à la Russie, et le scénario d’une guerre qui dure paraît de plus en plus probable.

La Turquie, grande gagnante ?

Il est loin le temps où l’Otan était considérée en situation de mort cérébrale. Cette alliance n’a jamais été aussi active qu’aujourd’hui... pour le plus grand bonheur des Etats-Unis. Les Européens se jettent en effet dans les bras des Américains et leur achètent des armes à tour de bras.

"Ce n’est pas très rationnel comme décision, car la Russie, à travers son échec en Ukraine, a prouvé qu’elle était incapable de mener une guerre à grande échelle", relève Pascal Boniface. Entre-temps, le projet de l’Europe de la défense ne paraît plus d’actualité.

Mais au-delà de l’Otan, le reste du monde ne semble plus très concerné par la position occidentale, ce qui représente un tournant majeur et une caractéristique de la recomposition géopolitique mondiale, dans le sens où cette forme d’indifférence est synonyme, quelque part, d’une isolation de l’Occident. Les Occidentaux, qui ont l’habitude de considérer que leurs causes sont universelles, ne parviennent toujours pas à accepter que les autres pays puissent agir selon leurs propres intérêts.

Enfin, la Turquie s’annonce comme la grande gagnante de cette guerre. Elle s’est muée en une puissance incontournable ; la seule pouvant traiter et avec l’Ukraine et avec la Russie. En tant que membre de l’Otan, elle dispose d’une sorte de passe-droit sur la question des sanctions contre la Russie.

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