Ce que l’on sait des effets de l'imminente suspension de l’intermédiation bancaire par l’UE

| Le 19/1/2023 à 9:46
Dans le sillage du Brexit, l’Union européenne prévoit d’interdire aux banques étrangères non établies sur son territoire de proposer des services bancaires du pays d’origine à leurs clients résidant dans un pays de l’Union. Comment cette décision impactera-t-elle les filiales des banques marocaines dans l’UE ? Quelles conséquences pour les Marocains du monde ? Eléments de réponse.

Le 12 janvier, lors du Forum de Rabat sur la réduction des coûts de transfert de fonds de la diaspora africaine, le wali de Bank Al-Maghrib (BAM) est revenu sur différents points entourant la communauté des Marocains du monde (MDM).

Il a notamment évoqué les durcissements des autorités européennes sur les transferts de MDM. "Plusieurs autorités bancaires de pays de l’Union ont décidé de suspendre l’activité d’intermédiation opérée par les filiales bancaires situées en Europe auprès de la diaspora, et pour le compte de leurs maisons mères marocaines", a-t-il expliqué.

Actuellement, un projet de directive européenne, relatif notamment aux succursales de pays tiers, pourrait fortement restreindre l’activité des succursales des banques marocaines dans certains pays de l’Union. "Ce projet, dont l’adoption est imminente, prévoit l’interdiction pour les banques étrangères non établies dans l’UE d’offrir des services bancaires du pays d’origine directement à leurs clients résidant dans un pays de l’Union", soulignait Abdellatif Jouahri.

Une décision qui intervient dans le sillage du Brexit

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ? Quels sont les impacts à venir pour les MDM et les banques marocaines détenant des filiales à l’étranger ?

On pourrait penser que la décision européenne, sur le point d’être concrétisée, a été pensée spécialement pour faire pression sur le Maroc, mais il n’en est rien. La mesure concerne toutes les banques étrangères opérant sur le sol européen.

Contacté sur le sujet, un expert du secteur bancaire nous explique les raisons de cette décision européenne et son origine. "Aujourd’hui, suite au Brexit, la Commission européenne donne un tour de vis aux banques étrangères et restreint, voire interdit, la vente de produits et services dans l’espace de l’Union européenne", explique notre source.

In fine, les conséquences bancaires suite au Brexit vont créer des dommages collatéraux auxquels le Maroc sera exposé. "Cette nouvelle réglementation va provoquer un dégât collatéral sur les banques marocaines. Elle découle des conséquences du Brexit. En France, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a déjà statué sur l’intervention, sur son territoire, des banques étrangères des pays éligibles à l’aide au développement au sens des critères de l’OCDE. Elle a créé pour cela un cadre réglementaire adéquat qui permet à ces banques de s’appuyer sur leurs filiales bancaires en France pour faire de l’intermédiation pour leur compte sur le territoire français. Je pense simplement que la Commission européenne n’est pas consciente des dégâts collatéraux qu’elle va provoquer", estime notre source.

Pour rappel, le gouverneur de la Banque centrale a appelé à une action diplomatique d’envergure pour protéger les acquis et maintenir les liens entre le Royaume et sa diaspora.

Ce projet de directive européenne, dont l’adoption est imminente, aura un impact sur l’ensemble du territoire européen. "Il s’agit d’une directive européenne que tous les pays de l’Union doivent appliquer. Certains pays, tels que les Pays-Bas, l’Italie et tout récemment la Belgique, estimant que l’activité d’intermédiation pour le compte d’une banque étrangère est illicite au sens de leurs propres lois bancaires, ont déjà interdit aux banques marocaines d’exercer ce type d’activité sur leur territoire", indique notre interlocuteur.

Cela aura des impacts auprès des banques marocaines opérant avec des filiales agréées comme établissement de crédit dans des pays européens, ainsi qu’auprès de ses clients MDM. Il s’agit principalement de la BCP et d’Attijariwafa bank. Mais concrètement, quels sont les reproches adressés à ces deux banques marocaines détenant des filiales dans l’Union européenne ?

"Ces filiales recrutent des clients pour les maisons-mères marocaines"

Les filiales des banques marocaines établies dans l’Union européenne jouent un rôle simple. Pour résumer, elles sont une sorte de front office commerciale détenues à 100% par la maison-mère au Maroc. C’est une vitrine d’acquisition client destinée à démarcher et à vendre des produits et services financiers.

Ces filiales sont des institutions de crédits et détiennent un agrément pour effectuer leurs activités au sein de pays européens. Mais il faut préciser qu’elles ne gèrent pas l’argent. Elles ne font pas de collecte. Elles agissent pour leur maison-mère, d’où la notion d’intermédiation. "Quand un MDM va voir l’une de ces filiales de BCP ou Attijariwafa bank par exemple, en France, en Allemagne ou ailleurs, la banque peut lui présenter l’offre de produits et services de la banque marocaine et l’assister pour effectuer une ouverture de compte sur les livres de la banque marocaine. Concrètement, ces filiales recrutent des clients pour les maisons-mères marocaines", explique notre expert.

En somme, un Marocain vivant en France peut s’adresser à une filiale à Paris qui va lui faciliter l’ouverture de compte au Maroc. La filiale va collecter ses informations, son dossier, et le transmettre à la maison-mère au Royaume sans qu’il soit obligé d’y venir. Le client MDM peut également effectuer des opérations bancaires et souscrire à des services financiers au sein des filiales des maisons-mères.

"Le MDM peut faire des transferts d’argent directement sur son compte au Maroc, soit à travers la filiale bancaire, soit à travers le réseau des partenaires de la banque marocaine, car cette dernière dispose de dizaines, voire de centaines de partenaires dans le monde. Lorsqu’il aura constitué des avoirs qu’il juge suffisamment importants, il pourra vouloir faire les placer dans un dépôt à terme rémunéré, à titre d’exemple. Pour cela, il peut le faire à partir de la filiale qui va transmettre la demande et les documents signés à la maison-mère. Idem pour une demande de crédit", poursuit notre interlocuteur.

Désormais, les opérations précitées, à savoir l’ouverture de compte et le placement, seront prohibées. C’est cette interface que jouent les filiales, que les régulateurs appellent "intermédiation pour le compte des maisons-mères", qui ne va plus se faire. C’est d’ailleurs déjà le cas dans différents pays européens comme l’Italie, les Pays-Bas et la Belgique.

Mais pourquoi cette interdiction alors que les filiales ne touchent pas les comptes, ne gèrent pas les fonds, ne collectent pas l’épargne directement ? "En réalité, les activités de ses filiales sont interprétées par certains régulateurs comme étant de la collecte d’épargne dans un territoire sur lequel les maisons-mères marocaines que sont BCP et Attijariwafa Bank ne sont pas agréées. Ce sont leurs filiales qui sont agréées et non les maisons-mères", explique notre source.

En somme, les filiales sont agréées pour vendre leurs propres produits et non ceux de leurs maisons-mères. Pour simplifier, les régulateurs souhaiteraient que les filiales basées en Europe ne vendent pas de produits ou de services financiers marocains, mais européens. "Ce qui est souhaité, c’est que ces filiales vendent des produits financiers, en euros, dans leurs livres, qu’elles vendent des produits de placement en euros, dans leurs livres, et qu’elles fassent du crédit en euros qui figure dans leur bilan et non des produits marocains", ajoute notre interlocuteur.

Ce qui signifie qu’après l’adoption de ce projet, les filiales des banques marocaines au sein de l’Union européenne ne pourront plus faire d’acquisition client ou de vente de produits financiers marocains. "C’est la chose fondamentale qui va changer. Les filiales des banques marocaines ne vont plus faire ce travail de bancarisation", explique notre source. Cela veut dire que leur portefeuille client va stagner au mieux, sinon, régresser du fait de l’impossibilité de prospecter de nouveaux clients.

Les transferts ne seront pas impactés

En 2022, les transferts de MDM vont franchir la barre symbolique des 100 MMDH. Seront-ils impactés par ce changement de régulation ?

Pour notre source, il est important de rappeler que "fondamentalement, un client MDM a le droit d’envoyer son épargne où bon lui semble. Ce qui est reproché par les autorités européennes se situe en amont et non en aval. Le problème, c’est le fait d’avoir un commercial qui va démarcher les clients résidant sur le territoire européen pour leur vendre des produits et services financiers marocains (l’ouverture d’un compte, le produit de placement au Maroc...). Le reproche est là, pas dans les opérations de transfert. La lecture, c’est que les banques marocaines s’appuient sur leurs filiales à l’étranger pour placer des produits financiers marocains".

D’autant plus que la majorité des transferts effectués ne se font pas via les filiales des banques marocaines eu Europe, mais à travers les réseaux de partenaires. Ils passent donc par les partenaires de leurs banques dans leur pays de résidence pour déposer de l’argent sur leur compte au Maroc.

"Chaque filiale dispose de quelques agences qui ont de nombreux partenaires, ce qui permet notamment une réduction des coûts des opérations. Un MDM qui souhaite faire un transfert va utiliser un réseau bancaire, depuis sa banque dans son pays de résidence ou depuis un réseau bancaire partenaire à celui de la filiale marocaine établie dans son pays. Il effectue le transfert sur son compte au Maroc sans avoir à passer par la filiale. La seule chose que fera la filiale, c’est la documentation de l’opération", explique notre source.

En somme, les MDM pourront toujours envoyer de l’argent sur leurs comptes au Maroc via différents moyens.

Contacté sur le sujet, Hazim Sebbata, directeur général de CashPlus, nous explique que "vers 2015, les deux tiers des transferts étaient bancaires et le tiers était du 'cash to cash', à savoir des transferts instantanés qui passent par Money Transfer Operator (MTO) comme Moneygram ou Western Union. Aujourd’hui, ces flux instantanés représentent plus de la moitié des transferts. C’est-à-dire qu’il y a une tendance chez les MDM d’envoyer moins par les banques et davantage par des systèmes instantanés. Concrètement, un MDM préfère déposer 100 euros en cash chez un MTO pour que sa famille récupère l’argent en cash, ou dans une agence CashPlus dans la seconde qui suit".

Une autre tendance instantanée qui marque l’évolution des transferts est le numérique, qui facilite les dépôts et retraits d’argent. "L’autre scénario, c’est de ne pas aller dans une agence, mais dans l’application d’un MTO, d’y mettre sa carte bancaire et d’envoyer 100 euros pour que sa famille récupère l’argent ici en dirhams. Quelles que soient les restrictions appliquées, il n’y a pas qu’un seul canal de transferts d’argent que les MDM apprécient déjà", conclut Hazim Sebbata.

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