Tsunami financier sur le marché des bons du Trésor 

| Le 9/1/2023 à 17:40
Les taux obligataires ont connu une hausse brutale à l’entame de l’année 2023, avec des évolutions dépassant 100 points de base en moins d’une semaine sur les maturités moyennes et longues. La séance d’adjudication du Trésor ce mardi 10 janvier risque, selon les acteurs du marché, de valider cette tendance et d'aggraver davantage les lourdes pertes des gestionnaires d’actifs et d’une bonne partie de l’épargne nationale. Les dessous d’un choc inédit sur la place marocaine.

"Tsunami", "tremblement de terre", "choc brutal"… Voici comment les opérateurs du marché obligataire qualifient ce qu’il se passe en ce début d’année sur le marché des taux. En cause : la hausse brutale et subite des taux des bons du Trésor vendredi dernier par rapport à la courbe du 30 décembre. Une hausse qui concerne toutes les maturités, avec des évolutions qui vont de 21 points de base pour le « 13 semaines » à 161 points de base pour « le 30 ans », comme le montre le tableau ci-dessous.

Des évolutions inédites, nous disent plusieurs gestionnaires d’actifs consultés par Médias24, et dont la valeur des fonds gérés a connu une forte baisse, d’une moyenne de 5% en une semaine seulement.

Pourquoi cette brutale hausse des taux ? Les opérateurs du marché sont unanimes : c’est la faute au Trésor.

Après avoir déserté le marché en 2022, en se contentant de lever ses besoins en financement sur les maturités courtes et en n’acceptant pas de suivre le marché sur les tendances haussières des taux, le Trésor, accusent des investisseurs, a créé une bombe à retardement, qui a fini par exploser en ce début d’année.

“Nous payons les frais du déni de la réalité économique de 2022 par le Trésor”

"Dès début 2022, la majorité des opérateurs du marché anticipaient une hausse des taux en raison de l’inflation. Mais le Trésor ne voulait pas voir cela et rejetait toutes les offres qui dépassaient un certain niveau de taux qui reflétait les anticipations du marché. L’argument du Trésor était que les fondamentaux du pays sont solides et qu’il n’y avait aucun besoin de valider ces hausses de taux. Le Trésor ne s’attendait même pas à la hausse du taux directeur et a été surpris de son ampleur (100 points de base en deux temps). Au lieu donc de laisser le marché faire, valider de petites hausses successives étalées sur plusieurs mois, il accepte aujourd’hui que toute la hausse qui devait se faire sur l’année 2022 se fasse en quelques jours", explique une source du marché à Média24.

Ce qui devait arriver arriva donc, et de manière brutale, et le Trésor qui voulait coûte que coûte éviter la hausse des taux des bons du Trésor en 2022, malgré les pressions inflationnistes et la hausse du loyer de l’argent, n’avait plus d’autre choix aujourd’hui que de se rendre à l’évidence et de cesser de nier la réalité.

Si la hausse du vendredi 6 janvier 2023 a été le résultat du changement de méthode de calcul de la courbe des taux, passée d’une méthode basée sur le prix des transactions à une valorisation par la cotation des banques qui reflète mieux la réalité de l’offre et de la demande, la séance d’adjudication du mardi 10 janvier viendra selon nos sources valider cette hausse, voire l’exacerber.

"Le Trésor a compris aujourd’hui, même si c’est un peu trop tard, qu’il ne peut pas imposer au marché ses conditions et nier la réalité de l’inflation et des demandes des investisseurs d’augmenter les rémunérations des bons du Trésor pour faire face à ce phénomène. La séance de mardi 10 janvier est donc très attendue. Le Trésor a d’énormes besoins, et il va fort probablement faire des levées sur l’ensemble des maturités. Cela va valider la hausse du vendredi et peut-être même marquer une nouvelle hausse. Tout dépend des offres qui seront reçues par le Trésor", souligne une autre source de la place.

Les conséquences de la hausse brutale de la courbe des taux 

Ce "déni" d’une réalité mondiale, marquée par l’inflation galopante et la hausse des taux, a donc eu plusieurs conséquences.

La première, c’est la vague de rachats massifs accusée en 2022 sur les OPCVM obligataires. Nos sources du marché parlent d’un montant total de 60 milliards de dirhams. Un phénomène encore une fois inédit sur la place.

"D’habitude, le marché est nettement souscripteur. Mais avec le décalage entre les taux retenus par le Trésor et la réalité du marché, beaucoup d’investisseurs ont décidé de se retirer des fonds obligataires, car anticipant, contrairement au Trésor, une hausse des taux. Quand on sortait pour vendre nos titres en portefeuille pour honorer les rachats de nos clients, le marché était complètement en décalage avec la courbe des taux officielle, les acheteurs demandaient des taux plus élevés que ceux de la courbe. Et on vendait à des valorisations déconnectées du marché", relate un gestionnaire. Ce qui a créé selon lui deux courbes : une officielle, qui ne reflétait pas la réalité du marché, et une autre, officieuse, qui servait de base au dénouement des transactions. Une sorte de marché parallèle totalement déconnecté de la réalité imposée par le Trésor.

Cette vague de rachat massive a été, selon nos sources, accentuée par les financements innovants proposés par le ministère des Finances aux investisseurs, et qui rémunèrent à une moyenne de 6%. 20 milliards de dirhams ont été redirigés depuis les fonds obligataires vers ces mécanismes de financement.

"C’était une aberration. On avait l’impression que le Trésor et la Direction du Budget, deux départements du même ministère, se concurrençaient. Au ministère, on pensait que les 20 milliards allaient venir d’un argent qui n’est pas encore investi ailleurs. Or, les investisseurs ne faisaient que se retirer des fonds obligataires pour mettre leur argent dans les financements innovants qui rapportaient plus gros. Le ministère a ainsi redirigé le flux d’épargne, en maintenant un marché des bons du Trésor déconnecté de la réalité, et en offrant des produits à côté à 6%. On ne comprenait plus rien. Surtout que l’Etat a plus intérêt à lever de la dette à 30 ans à 3,5% plutôt que de lever de l’argent via les mécanismes innovants en payant des loyers de 6%. C’est le contribuable qui paie la facture à la fin…", décrypte un gestionnaire.

Deuxième conséquence de ce déni de réalité sur l’année 2022 : le crash des fonds obligataires. Car il faut le rappeler, quand les taux augmentent sur le marché, la valeur des fonds déjà investis en titres obligataires chute de manière mécanique. Et vice versa. La première semaine de 2023, les pertes ont atteint en moyenne 5%, selon nos sources. Une perte considérable qui pouvait être largement diluée sur toute l’année 2022, mais qui tombe aujourd’hui d’un seul coup. Le plus grand perdant, c’est l’épargnant.

"En plus des particuliers qui mettent leur épargne dans les OPCVM, le plus gros de l’argent géré sur le marché provient de caisses de retraites, des organismes de prévoyance, des compagnies d’assurance… C’est donc toute l’épargne nationale qui prend un coup avec cette hausse brutale des taux", ajoutent nos sources.

Troisième conséquence : la hausse brutale du coût du financement du Trésor. Face aux énormes besoins du Budget, le Trésor n’a aujourd’hui d’autre alternative que d’accepter le fait accompli et de se financer sur le marché local des bons du Trésor. S’il veut lever du 30 ans, il devra payer au moins un taux de 5,46%, selon la courbe du vendredi. Un taux qui est appelé à augmenter davantage dans les prochaines semaines.

"Au lieu d’accepter de lisser la hausse des taux sur 2022, le Trésor paie cash aujourd’hui son refus de suivre le marché. Et tout le monde est perdant dans l’affaire, épargnants, gestionnaires, finances publiques, contribuables… Il est vrai que les primo-entrants sur le marché vont bénéficier de taux intéressants, mais pour les fonds qui ont pignon sur rue et qui portent l’essentiel de l’épargne actuelle mise sur le marché obligataire, le coup sera dur, et on ne sait pas combien de temps il nous faudra pour résorber ces pertes", tonne une de nos sources. A suivre...

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