Chakib Alj : “La retenue à la source pour les personnes morales doit être supprimée”

ENTRETIEN. L'effet de seuil induit par la réforme de l'IS, la suppression de la retenue à la source pour les sociétés, l'encouragement de l'investissement, l'inquiétude des opérateurs économiques... autant de questions et de sujets sur lesquels s'exprime le patron de la CGEM sans langue de bois.

Chakib Alj : “La retenue à la source pour les personnes morales doit être supprimée”

Le 23 novembre 2022 à 19h37

Modifié 25 novembre 2022 à 8h43

ENTRETIEN. L'effet de seuil induit par la réforme de l'IS, la suppression de la retenue à la source pour les sociétés, l'encouragement de l'investissement, l'inquiétude des opérateurs économiques... autant de questions et de sujets sur lesquels s'exprime le patron de la CGEM sans langue de bois.

Le projet de loi de finances 2023 est particulier. Il intervient dans un contexte de totale incertitude, de flambée inflationniste persistante et de déploiement de réformes importantes pour le développement du pays.

Il est aussi particulier car il apporte des mesures fiscales clivantes : une refonte drastique de l'IS, l'instauration de la retenue à la source (RAS) pour certaines professions libérales, maintien ou ajout de taxes... Pas ou peu de changements sur l'IR. Ce qui fait dire à certains observateurs que ce PLF fait augmenter la pression fiscale au lieu de la baisser, comme le recommandent les Assises de la fiscalité.

A la Chambre des représentants, le projet de loi de finances a subi une première vague de modifications. Mais son passage à la Chambre des conseillers, où siègent les représentants du patronat et des syndicats, constituera un exercice important, où plusieurs sujets seront discutés plus en détail avec pour objectif de faire passer des amendements, notamment sur l'IS, la RAS ou encore certaines taxes, comme nous l'explique le président de la CGEM, Chakib Alj, dans cet entretien.

Le patronat estime qu'il faut apporter des changements au texte. Voici sa position.

Des ajustements sont à opérer pour corriger certains biais introduits par des dispositions de ce PLF et des mesures controversées introduites dans les lois de finances précédentes.

Médias24 : Lors de votre conférence de presse, deux jours avant le dépôt du PLF 2023, vous avez déclaré : "Le secteur privé attend beaucoup de cette loi de finances." Ce PLF répond-il finalement aux attentes du secteur privé ?

Chakib Alj : Les attentes des entreprises sont effectivement importantes pour cette loi de finances. Comme vous le savez, les opérateurs économiques vivent une véritable pression sur leur trésorerie en raison des crises sanitaire, géopolitique ou encore climatique, ce qui impacte considérablement leur capacité à se projeter, à fonctionner et à investir.

Des réformes cruciales n'ont pas été retenues dans ce PLF

En dehors de la réforme de l’IS, qui a du bon et du mauvais selon les catégories d’entreprises, des réformes cruciales pour la compétitivité, comme celles de la TVA ou de la fiscalité locale, n’ont pas été retenues dans ce PLF. Nous comprenons qu'une réforme globale doive s'opérer sur plusieurs années conformément à la loi-cadre sur la fiscalité. Entre-temps, des ajustements sont à opérer pour corriger certains biais introduits par des dispositions de ce PLF et des mesures controversées introduites dans les lois de finances précédentes.

Nous sommes parfaitement conscients que notre pays entreprend des chantiers stratégiques à caractère social, d’une importance capitale. Ces chantiers requièrent des besoins de financement considérables. Le gouvernement doit donc œuvrer à la mise en place rapide de dispositifs innovants et de mesures en faveur de l’intégration de l’informel et de l’élargissement de l’assiette.

- Parlons de la première mesure qui touche directement les entreprises, à savoir la réforme de l’impôt sur les sociétés. Avez-vous été informé ou consulté avant le dépôt du PLF au Parlement ? Comme jugez-vous la réforme de l’IS ? Son calendrier de déploiement ?

- Comme à chaque exercice d’élaboration de la loi de finances, nous avons émis nos propositions, au mois de juin dernier, au ministère de l’Économie et des finances. Parmi ces propositions figurait une baisse généralisée de la pression fiscale à travers la baisse de l’impôt sur les sociétés, pour s’établir à des taux communément admis de 20% au terme de la réforme introduite par la loi cadre 69-19. A la lecture du PLF 2023, la réforme de l’impôt sur les sociétés a été érigée en priorité, avec des modifications substantielles. Cette réforme a le mérite de donner de la visibilité aux opérateurs sur les quatre prochaines années, ce qui est une bonne chose.

De ce fait, nous saluons la baisse de l’IS, instituée pour atteindre un taux de 20% à horizon 2026 pour les sociétés générant moins de 100 millions de dirhams de bénéfice net fiscal, combinée à la baisse de la retenue à la source sur les dividendes.

Cependant, cette réforme doit être mise en œuvre de telle sorte à ce qu’elle ne pénalise pas les entreprises de plus grande taille, ayant opté pour le Maroc afin d’y localiser leurs activités et exporter leurs produits et services. Telles que proposées dans ce PLF, l’augmentation de la fiscalité applicable aux sociétés générant plus de 100 millions de dirhams de bénéfice net, ou encore la fin des régimes dérogatoires tels que CFC ou ZAI, remettent en question l’attractivité du Royaume en matière d’investissement, à l’aube de la promulgation de la Charte de l’Investissement. Nous ne pouvons pas nous permettre ce retour en arrière. Bien au contraire, la loi de finances se doit d’être un avantage compétitif pour le Maroc face aux pays concurrents.

Pourquoi sommes-nous l’un des seuls pays au monde à ne pas imposer un cadre fiscal aux particuliers mettant à la location des biens sur AirBnB ou Booking ?

- Vous estimez donc que la hausse de la fiscalité pour les entreprises générant plus de 100 MDH de bénéfices est pénalisante... Les entreprises regrettent que la mesure engendre un effet de seuil, est-ce de cela dont vous parlez ?

- Parlons chiffres : aujourd’hui, le Maroc compte près de 143 entreprises, qui génèrent plus de 100 millions de dirhams de bénéfice net fiscal. Bien que l’augmentation de 4% d’IS contribue aux équilibres budgétaires de l’Etat, compensant la baisse de l’IS pour d’autres catégories, nous estimons que d’autres mécanismes plus équitables peuvent être proposés.

L’informel représente près de 30% du PIB ; ce qui constitue un potentiel de recettes considérable pour l’Etat, qui est appelé à mettre en œuvre les mesures adéquates pour l’élargissement de l’assiette. Cela permettra aussi d’atténuer la concurrence déloyale dont souffrent les entreprises citoyennes.

Pourquoi sommes-nous l’un des seuls pays au monde à ne pas imposer un cadre fiscal adapté aux particuliers mettant à la location des biens sur AirBnB ou Booking, et échappant à toute contribution fiscale ? Pourquoi ne pas encourager l’activité des marchands de biens au Maroc, pouvant contribuer à la rénovation de nos quartiers historiques souffrant d’un grand manque d’entretien ? Ce sont là, par exemple, deux moyens parmi tant d’autres que l’Etat pourrait déployer pour générer différemment des recettes supplémentaires.

En instaurant cet effet de seuil, nous nivelons notre économie par le bas, au lieu d’instituer un principe d’équité pour tous.

J’aimerais, par ailleurs, revenir sur le sujet de l’effet de seuil imposé de fait, qui renvoie un message ambigu. Mettons-nous à la place d’un entrepreneur, qui génère 90 millions de dirhams de bénéfice net fiscal. Je ne l'imagine pas faire des efforts pour recruter 25% de salariés en plus, et générer 20 millions de dirhams de bénéfice supplémentaires, pour in fine dégager le même résultat après impôt. En instaurant cet effet de seuil, nous nivelons notre économie par le bas, au lieu d’instituer un principe d’équité pour tous.

Le développement de notre économie doit passer par la promotion de champions nationaux, compétitifs sur le marché local et international. Nos sociétés exportatrices ont vu leur impôt sur les sociétés passer de 17,5% à 20% au cours des dernières années, avec une augmentation prévue dans ce PLF de 15% pour les sociétés réalisant plus de 100 millions DH. Ces sociétés jouent un rôle très important dans la promotion du made in Morocco à l'international, dans l'entrée des devises et la création d’emplois. Cette position sera défendue au travers de nos recommandations d’amendements.

Les dispositions de ce PLF 2023 inquiètent les opérateurs concernés, qui se posent de réelles questions de downsizing ou de relocalisation de leur activité.

- Vous évoquez justement les avantages accordés à la communauté CFC, qui ont subi plusieurs changements. Ce PLF apporte encore des modifications qui impactent ce statut. La CGEM pense-t-elle défendre les acquis de CFC ?

- La CGEM, dans son ADN, défend les intérêts des entreprises en faveur de la création de plus d’emplois et de valeur ajoutée. Ce PLF semble s’orienter vers la fin des régimes dérogatoires comme CFC ou les ZAI, qui ont connu plusieurs évolutions depuis leur mise en place.

Au Maroc, nous avons voulu accueillir des opérateurs internationaux, porteurs d’IDE stratégiques pour notre pays et contribuant à l’amélioration de notre balance commerciale ; ou encore encourager des secteurs à investir massivement dans le Royaume – et nous avons réussi à le faire car nous avons su déployer les moyens nécessaires pour démontrer, notamment, l’attractivité fiscale de notre pays.

Aujourd’hui, selon les remontées que nous avons, les dispositions de ce PLF 2023 inquiètent les opérateurs concernés, qui se posent de réelles questions de downsizing ou de relocalisation de leur activité. L’Etat doit garantir la stabilité du cadre fiscal et la visibilité qui en découle. Il est extrêmement délicat pour les opérateurs de se retrouver, du jour au lendemain, dépourvus des avantages dont ils ont bénéficié au moment de leur implantation, ou du cadre fiscal sur la base duquel ils se sont projetés. C’est aussi une question de confiance.

- L’autre sujet phare de ce PLF 2023 est la retenue à la source. La RAS pour les sociétés prestataires de services est passée de 20% à 10% après le passage à la première chambre. Est-ce satisfaisant pour la CGEM ou comptez-vous proposer des changements ?

- Notre position est claire. Cette RAS pour les personnes morales doit être supprimée pour plusieurs raisons.

D'abord, une RAS de 10%, calculée sur la base du chiffre d’affaires de sociétés prestataires de services soumises à l’IS, reviendrait à considérer que le bénéfice net fiscal de ces dernières représente 50% du CA, ce qui est une aberration. D’ailleurs, une analyse réalisée par la Fédération du commerce et services montre que 78 % des entreprises ayant pour activité la prestation de services réalisent un CA de moins de 5 millions de dirhams, ne pouvant même pas couvrir la retenue à la source prévue, du fait de marges bien inférieures à cette retenue.

Cette RAS impactera négativement la trésorerie et le BFR des entreprises courant l'année. L'administration fiscale dispose de tous les moyens de recoupement pour déceler les éventuels défauts de déclaration entre prestataires de services.

De surcroît, la retenue à la source est considérée comme une avance sur l’impôt, et fera donc double emploi avec les acomptes dont s’acquittent les personnes morales.

- Pour l’encouragement du made in Morocco, la CGEM défend plusieurs mesures dont la réforme de la fiscalité locale, la rationalisation de la taxation des intrants à l’import, la révision de la TIC sur les produits polluants… La réponse du PLF à vos propositions sur ce volet semble timide.

- Oui, le PLF 2023 apporte, je dirais, une réponse timide en matière d’encouragement du made in Morocco. Comme vous le savez, plusieurs éléments composent la compétitivité de la production nationale, particulièrement le coût des matières premières et la masse salariale.

La taxation des intrants à l’import, notamment en matière de semi-produits industriels et de produits finis, doit être revue à la lumière des nouveaux enjeux liés au contexte économique mondial. Elle doit contribuer, d’une part, à trouver un équilibre plus juste entre la protection de fournisseurs locaux - sans aller dans la surprotection - et la compétitivité de notre industrie transformative et, d’autre part, à protéger le pouvoir d’achat des ménages. Pour ce faire, nous pensons important d’établir des différentiels de droits de douane capés à un certain taux pour les semi-produits et les produits finis. Les nomenclatures d’application devront être accordées, bien évidemment, avec les représentants des opérateurs de chaque secteur et devront se faire par étapes, avec des secteurs pilotes.

Par ailleurs, une réforme paramétrique du barème de l’IR, en vue d’alléger la pression sur les salaires des cadres moyens, doit être entamée. Certaines exonérations d’IR, qui avaient fait beaucoup de bien en faveur de l’insertion professionnelle de primo-accédants à l’emploi ou encouragé l’employabilité au sein de TPE, sont à maintenir de manière permanente.

Nous sommes conscients que ce PLF 2023 ne peut pas traiter tous les points, mais nous espérons que ces sujets seront abordés l’année prochaine.

- La TIC sur les produits polluants, introduite dans la LF 2022, est fortement décriée par certains opérateurs. Quel impact après une première année d’application ? Que comptez-vous proposer dans ce sens ?

- Le gouvernement a instauré, dans la loi de finance 2022, une série de TIC pour encourager la production propre et dissuader les entreprises et les consommateurs à l’utilisation ou à la fabrication de produits polluants.

Dès son adoption, nous avions été interpellés par un ensemble d'opérateurs, contestant la méthodologie de calcul de cette TIC, basée sur un taux forfaitaire. Ce taux forfaitaire, décorrélé du prix de vente des produits d’application, crée des distorsions pouvant impacter jusqu’à 12% le prix de vente de certains produits concernés. Plus interpellant encore, les opérateurs impactés sont parmi les premiers à s’être engagés en faveur du recyclage de déchets, avec des investissements massifs dans ce sens…

Il conviendrait donc que le calcul de la TIC sur les produits polluants soit revu sur la base du principe du pollueur-payeur, en appliquant la règle de proportionnalité à la valeur du produit. Par ailleurs, nous considérons que les recettes de ces taxes devraient être, en grande partie, affectées à des fonds spéciaux pour l’accompagnement d’entreprises agréées, chargées de la collecte et du recyclage de ces produits, contrairement à la pratique actuelle.

- Le système des sanctions fiscales est l’un des dossiers sur lesquels la CGEM espère une réforme pour introduire une modulation en fonction de la gravité de l’infraction. Avez-vous des mesures concrètes que vous comptez défendre à la deuxième chambre ?

- Nous ne demandons, comme vous le dites, qu’une modulation du système de sanctions pour les déclarations et paiements tardifs, en fonction de la gravité de l’infraction. Lorsqu’un contribuable omet de déclarer son paiement de TVA ou d’IR au bout de 30 jours, l’Administration lui impose des pénalités à hauteur de 50% de la valeur de la contribution due au premier jour, soit 30% pour défaut de déclaration et 20% pour défaut de paiement.

Il nous paraît tout à fait normal de dissocier l’obligation de déclaration de TVA de son paiement, et d’alléger le niveau des sanctions pour les retards de déclaration et rectification de base, ainsi que les paiements tardifs, sauf en cas de fraudes avérées, où la sanction peut être renforcée. Ainsi, dans le cas des erreurs de bonne foi et en l’absence de récidive, les taux de pénalités ne devraient pas excéder le taux de financement de l’État, majoré de 10%. En cas de récidive, le taux pourrait atteindre 15%.

Pour les majorations de retard, un taux à 2% pour le premier mois de retard et de 0,75% pour chacun des mois suivants semblent appropriés, eu égard à la pratique internationale et à l’évolution des taux sur le marché financier.

Par ailleurs, une refonte du dispositif de l’ATD est nécessaire pour instaurer la confiance dans la relation contribuables-Administration.

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