REPORTAGE. Taroudant, la capitale historique du Souss, en quête de reconnaissance

Malgré ses nombreux atouts, la ville de Taroudant, ancienne capitale du Souss, cède à l'engourdissement. Son patrimoine historique tend aujourd’hui à disparaître alors que son activité dépend en grande partie de l’agro-industrie, menacée par les changements climatiques et la concurrence de ses voisines, Agadir et Marrakech.

Les remparts de Taroudant aux abords de la porte de la Kasbah.

REPORTAGE. Taroudant, la capitale historique du Souss, en quête de reconnaissance

Le 14 novembre 2022 à 14h56

Modifié 14 novembre 2022 à 18h30

Malgré ses nombreux atouts, la ville de Taroudant, ancienne capitale du Souss, cède à l'engourdissement. Son patrimoine historique tend aujourd’hui à disparaître alors que son activité dépend en grande partie de l’agro-industrie, menacée par les changements climatiques et la concurrence de ses voisines, Agadir et Marrakech.

Quand on lit le prospectus touristique de Taroudant, cette ville millénaire au pied du Haut et de l’Anti-Atlas, considérée comme la capitale du Sud par plusieurs dynasties du Maroc musulman, pique d'emblée notre curiosité.

La première capitale des Saâdiens a même été la source de leur richesse à travers l’exportation du sucre, produit localement et acheminé par voie fluviale sur plus de 80 km jusqu’à la baie d’Agadir. Une histoire qui reste aujourd’hui très peu connue du grand public, qui ignore le potentiel touristique de la cité. Sa marginalisation est de ce fait remarquable, surtout quand on la compare à d’autre villes marocaines ayant joué un rôle historique moindre.

Les remparts de Taroudant aux abords de la porte de la Kasbah.

Une histoire riche et tumultueuse

Certains font remonter la naissance de Taroudant à plus de 2.600 ans, du temps des comptoirs phéniciens et carthaginois, comme nous l’apprend l’historien et spécialiste de la ville et ses environs, Noureddine Sadek. “Il y a des traces de la ville dans les écrits d'Hérodote, qui parlait de commerce d’or silencieux entre les marchands carthaginois et les tribus amazighes en 420 avant Jésus-Christ. En recoupant avec des textes moins anciens comme ceux de Al Bakri, Ibn Khaldoun et Léon l’Africain, on peut supposer que ces marchands venaient de la ville par voie fluviale. Au contact des Phéniciens, la ville serait devenue la capitale des confédérations tribales du Souss, dominée par des ‘Iguiliden’, les chefs de ces confédérations.”

D’autres évoquent un passé romain. Toutefois, en l’absence de fouilles archéologiques, et par la nature même des constructions en terre crue de la région, il est difficile de dater précisément les prémices de la cité.

Ce qui est sûr en revanche, c’est que les Idrissides en firent la capitale du Souss après une farouche résistance. Par la suite, plusieurs dynasties ont préservé cette tradition. Grâce au commerce caravanier, elle était une place commerciale importante et un point de passage obligé pour certaines routes transsahariennes.

Les larges murailles actuelles de la ville, constituées de trois couches distinctes visibles à l’œil nu, ont été édifiées à l’époque almoravide, après avoir écrasé la résistance de la population largement chiite à l’époque. Les murailles ont été reconstruites par les Almohades qui ont fait de la ville leur base arrière pour la conquête du nord du Maroc. Finalement, les Saâdiens ont renforcé ces deux murailles avec un mélange terre-chaux, en ajoutant une dalle horizontale pour cimenter les murs et mieux résister aux boulets de canon. Un mélange qui leur confère leur couleur fauve caractéristique.

La kasbah, elle, a été reconstruite par les Mérinides pour mieux lutter contre les incursions portugaises via l’oued Souss, après sa destruction par des années de dissidence et de guerre. “La ville était riche et prospère. Elle était aussi frondeuse, ce qui en faisait un enjeu stratégique pour les gouvernants du Maroc, afin de stabiliser la région sud du pays et maîtriser le commerce transsaharien”, analyse Noureddine Sadek.

Plusieurs couches de muraille sont visibles à l'œil nu.

Un passé de place forte régionale

La “petite Marrakech”, comme surnommée dans les guides touristiques français, a même été le modèle pour la construction des remparts de la palmeraie de sa grande sœur, indique Nourredine Sadek. “Quand les Almoravides sont allés fonder Marrakech, après la conquête de Taroudant, une étape déjà importante du commerce caravanier, ils ont emporté avec eux ses artisans ainsi que son modèle urbain”, relate l’historien. “La musique deqqa ainsi que la tangia, plat typique de la ville ocre, proviennent en fait de Taroudant et sont témoins de ce legs.”

Une version de l’histoire qui fait grincer des dents à Marrakech, jalouse de son patrimoine immatériel. L’âge d’or de la cité multiséculaire se situe à l’époque saâdienne. Elle fut la première capitale de l’empire, mais surtout la principale source de sa richesse. “La culture de la canne à sucre et le raffinage du sucre blanc étaient la source principale de l’or des Saâdiens. La reine d’Angleterre, Elisabeth Ire, par exemple, payait trois ans à l’avance sa consommation annuelle de sucre”, affirme Sadek. Les sultans saâdiens avaient “nationalisé” cette industrie pour garantir les revenus de l’État et le paiement des troupes indépendamment de la levée de l’impôt.

Jusqu’à présent, les vestiges des raffineries de sucre et de l’ingénieux système d’irrigation et de transformation de la canne sont éparpillés dans les environs de la ville, témoins silencieux et décrépits de cette histoire. Grâce à ses traits typiques et ses paysages aux portes de l’Atlas, dominant la vallée du Souss, Taroudant a abrité le tournage de films internationaux ou de publicités de marques de voiture notamment. Depuis les années 1980, elle attire stars et hommes d’État. L’ancien président français Jacques Chirac fut l'un de ses hôtes les plus célèbres. Avec son épouse, Bernadette, il séjournait deux à trois fois par an à La Gazelle d’Or, hôtel mythique de la ville. A Noël, le couple aimait se recueillir dans la petite église de la médina, non loin du palais Dar El Baroud.

La ville a accueilli, dans son sillage, une partie de la classe d’affaires et politique française. La femme du Shah d’Iran, l’ex-impératrice Farah Diba, y détenait deux propriétés où elle élisait domicile une partie de l’année, en partage avec Paris et Washington.

Le peintre chilien et maître de l’hyperréalisme Claudio Bravo s'y est installé en 2003 avant d'y être enterré en 2011. La ferme qu’il avait construite sur le modèle d'un riad traditionnel, à quelques encablures de la vieille médina, a été transformée en musée et maison d’hôte.

Taroudant a attiré de nombreuses autres célébrités de la jet-set internationale, comme le pépiniériste et auteur à succès Henri Delbard, et bien d’autres qui ont acheté et rénové des riads ou construit des résidences luxueuses aux abords de la ville.

Une destination à l'abandon

La destination people des années 1990-2000 n’est aujourd’hui que l’ombre d’elle-même. Elle ne compte d’ailleurs plus de capacité litière classée après la fermeture coup sur coup du célèbre établissement La Gazelle d’Or, de l’hôtel Palais Salam et de l’hôtel Saâdien. “Il y a 400 lits dans toute la province de Taroudant et ses 89 communes. Dans la ville, ce sont essentiellement des petits riads dotés de 5 à 12 chambres, aménagés par les habitants ou quelques étrangers. Ils ne sont pas classés au vu des complications administratives imposées par le ministère du Tourisme”, explique Aziz Niama, président du Conseil provincial du tourisme (CPT) de Taroudant.

L’essentiel du développement urbain s’est fait à l’intérieur de la médina.

Pour lui, le principal obstacle au développement touristique de la ville est la faiblesse de son infrastructure. “Il n’y a effectivement pas beaucoup d’infrastructures, que ce soient des infrastructures d’accueil, de restauration ou d’animation. Par ailleurs, elle est très mal raccordée à son arrière-pays”, estime Niama. Et d’illustrer : “Alors que le mont Toubkal et le lac Ifni, par exemple, font partie de la province de Taroudant, l’essentiel de leurs circuits passent par Marrakech, pourtant plus lointaine mais beaucoup mieux desservie en termes d’infrastructures.”

Pire ! Selon notre interlocuteur, la destination n’est tout simplement plus commercialisée par l’ONMT depuis quelques années. “Nous sommes très en retard par rapport à d’autres villes comme Chefchaouen par exemple. Il n’y a aucune complémentarité entre les élus et les professionnels. Il n’y a pas de budget de promotion. On parle de potentiel touristique de la province, mais aucune politique n’est présentée pour aller dans ce sens”, déplore Aziz Niama. “Jadis, Taroudant offrait une dimension historique et authentique à la destination Agadir… Désormais, le déclin de l’attractivité touristique de la ville, dû à l’absence d’infrastructures touristiques, laisse la région sans âme.”

La ville, simple étape de passage, attire encore quelques touristes, attestant de sa vocation. Une demi-douzaine de cars s’arrêtent quotidiennement à Assarag, sur la place centrale de la médina, et repartent après une petite visite du souk ou des tanneries. Certains touristes, surtout individuels ou en couple, s’installent le temps d’une nuitée, comme nous avons pu le constater, avant de poursuivre leur périple dans l’Atlas. Lors de notre séjour pendant la période de la Toussaint, les riads affichaient quasiment complets, et plusieurs groupes de touristes ont été aperçus dans la cité. Ainsi, malgré le délabrement de la médina, la ville jouit d'une certaine renommée, notamment auprès des touristes français.

Victime de la déstructuration urbaine

Les remparts de près de 8 km, véritable carte postale de la ville, sont relativement bien entretenus en façade mais s’érodent de l’intérieur. Tout comme certaines portes historiques de la médina. La vieille cité a perdu de sa superbe depuis quelques années déjà à cause du retard des plans d’aménagement et de l’absence d'un plan de sauvegarde.

“La muraille a été introduite au patrimoine national en 1932. Pourtant, aucune des obligations que ce classement implique n'est respectée”, se désole Noureddine Sadek. Il cite par exemple l’interdiction de construire à moins de 100 m de la muraille. “Cette interdiction n’a même pas été respectée par l’agence urbaine pour la construction de son siège provincial”, souligne le chercheur. Plusieurs bâtiments, et même des quartiers, sont en effet adossés à des parties de l’enceinte.

Par ailleurs, explique le chercheur, “jusque dans les années 1960, la médina était constituée à plus des deux tiers de vergers, de jardins et de maraîchage. La ville était peu densifiée, lui permettant de soutenir de longs sièges, au vu de son passé militaire. Mais en l’absence de documents d’urbanisme, le développement du tissu urbain s’est fait tout d’abord à l’intérieur de la médina, ce qui l’a complétement déstructurée. La ville s’est ensuite développée durant les années 1990 vers le sud sur l’unique oliveraie qui la ceinturait, malgré le développement relatif du noyau urbain moderne mis en place par la colonisation, puis par les autorités nationales, du côté nord, vers le Haut Atlas”.

Aujourd’hui, il ne reste plus que quelques oliviers complétement desséchés de ce qui fut à l’époque un écrin de verdure, sur le modèle d’une palmeraie, protégeant la ville des vents chauds venus du sud, et offrant une promenade et un lieu de villégiature aux riverains, non loin de l’oued Souss.

La ceinture verte de la ville a complètement disparu.

La mort annoncée de l'artisanat

Avec la perte des caractéristiques urbaines de la médina, c’est un ensemble de problèmes qui se pose aujourd’hui, notamment en termes de transport urbain, d’adduction d’eau potable et d’assainissement. Un septième des logements de la ville dépendent encore de fosses septiques selon le dernier recensement du HCP, alors que l’essentiel des déplacements de la population se font en deux-roues ou en calèche, rendant la circulation chaotique.

Mais c’est surtout la détérioration des zones d’activités traditionnelles qui a fait perdre son cachet à la cité. “Une des principales victimes de ces transformation urbaines est l’artisanat”, témoigne Noureddine Sadek, auteur de plusieurs ouvrages et coordinateurs de beaux livres sur la ville.

La perte de l’organisation traditionnelle des quartiers de la médina par corps de métier, en sus de plusieurs vagues de migration, en particulier des jeunes, ont fini par venir à bout des savoir-faire ancestraux. “À part les tanneurs, tous les corps de métier ont disparu”, résume Sadek. “Il y avait la bijouterie et l’orfèvrerie typique, qui étaient essentiellement pratiquées par les juifs de la ville, la tapisserie, la poterie, le fer forgé et la coutellerie ; même le tissage d’étoffes de laine et la babouche Ziouani ont complètement disparue.”

Les tanneries sont quasiment désertes.

Dans la tannerie, reconstruite dans les années 1990 à la faveur d’une coopération décentralisée avec la ville de Romans-sur-Isère, moins d’une vingtaine d’artisans fréquentent encore les lieux, aux côtés de nombreux rabatteurs et faux guides. Quelques boutiques de souvenirs ont remplacé les ateliers, et les artisans, quant à eux, se sont peu à peu transformés en marchands de souvenirs importés d’autres villes marocaines comme Marrakech, Fès ou Tiznit.

“Ici à Taroudant, on ne produit quasiment plus rien. Seules les sandales typiques de la région ont survécu. Les jeunes ne veulent plus de ce métier, et nous ne trouvons plus d’artisans pour coudre le cuir”, se désole Ahmed, un tanneur rencontré sur place. “Avant, les tanneries n’arrêtaient pas. Il y avait plein d’apprentis et de maîtres artisans. Aujourd’hui, il n’y a plus personne pour prendre la relève.” Dans la pénombre de son atelier, il nous montre ses créations : des poufs, des descentes de lit ou des tapis, faits en patchwork de fourrure de chèvres, de mouton ou de veau, cousus essentiellement à la machine.

Les peaux proviennent de l’abattoir de la ville, adjacent à la tannerie. Elles sont ensuite enduites de sel puis d’alun pour les désinfecter et les assouplir. Elles sont séchées, grattées et trempées dans les cuves contenant de l’eau et du tan (acheminé depuis les forêts de chêne-liège du Gharb) pour éliminer leurs poils. Sinon, elles sont conservées et vendues le plus souvent en l’état, en guise de fourrures.

Travail d’artisanat du cuir.

Perspectives en question

“J’ai dû apprendre à coudre à la machine alors que je suis tanneur. Le Covid a fini par faire changer de métier les derniers artisans de la ville, quand ils n’ont tout simplement pas rejoint leur Créateur”, déplore Ahmed. Pour survivre suite au coup dur qu’a porté le Covid à l’activité, il a pu bénéficier comme d’autres des aides publiques. “Même si c’est peu, ça nous a permis avec ma famille, Dieu merci, de survivre, alors que toutes les activités étaient à l’arrêt. Aujourd’hui, certains artisans bénéficient du programme Awrach.”

Vers midi, un mouvement se fait sentir dans la tannerie léthargique. Quelques quinquagénaires pour la plupart, portant des gilets orange, le visage émacié et bruni au soleil, s’affairent à balayer pendant une dizaine de minutes les abords des vases en béton où sont trempées les peaux. Ils se mettent ensuite en groupe pour se photographier, tout sourire, pour prouver aux responsables du projet l’accomplissement du travail du jour. Contre cette tâche, ils bénéficient d’un petit revenu mensuel…

La COPAG reste le premier employeur de la ville.

Aujourd’hui, le commerce et le tourisme, mais surtout l’agro-industrie, à travers la Coopérative agricole marocaine (COPAG), sont les principales activités de cette ville de 80.000 habitants. La coopérative emploie près du tiers de la population active de la ville. Créée en 1986, elle a pu amortir le chômage dans la population locale, dont 52% a moins de 40 ans.

Son modèle, aujourd’hui vulnérable à cause de la pénurie de l’eau dans la région, fait craindre le pire à nos interlocuteurs. “L’histoire de la ville est riche comme en attestent ses murailles. Elle pourrait être un formidable atout pour le développement, mais cette histoire ne coïncide pas forcément avec le récit national. Taroudant, comme Ouazzane, ou d’autres villes au passé tumultueux, sont délaissées dans l’effort national de sauvegarde du patrimoine et du développement. On se concentre sur les villes impériales et les monuments qui servent le récit national”, explique ainsi l’un d’eux.

Pour lui, “maintenant, il ne reste plus ici que la COPAG comme moteur de croissance, dont le modèle économique subit de plein fouet l’impact du changement climatique”. Un discours sceptique sur l’avenir que l’on rencontre souvent dans les anciennes cités du Maroc à l’identité forte, mais qui restent encore en quête de reconnaissance et de développement. Pourtant, la ville a donné naissance à de nombreuses personnalités aussi bien dans les affaires et la politique (Brahim Roudani, les familles Demnati, Sajid, Kayouh, Bellahcen…), que dans le sport (père Jégo, Brahim Chicha…), l’art et la culture (Amouri Mbarek, Ahmed Soultane, Sanaa Akroud...).

La ville a donné naissance à nombre de personnalités historiques du Maroc moderne.
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