Entretien. Ghita Mezzour : “Les procédures d’investissement vont être réduites de moitié”
Ghita Mezzour, ministre de la Transition numérique et de la réforme de l’administration, se prête à un entretien avec Médias24. Elle y aborde la Stratégie nationale de la transition digitale, la réforme de l’administration, l’offshoring, la tension sur les talents IT et les startups.
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Yahya Benabdellah
Le 3 novembre 2022 à 11h44
Modifié 10 novembre 2022 à 9h08Ghita Mezzour, ministre de la Transition numérique et de la réforme de l’administration, se prête à un entretien avec Médias24. Elle y aborde la Stratégie nationale de la transition digitale, la réforme de l’administration, l’offshoring, la tension sur les talents IT et les startups.
- Le projet de loi de finances 2023 a consacré un milliard de dirhams à la transition digitale.
- Des conventions ont été signées pour 595 millions de dirhams d’investissement dans l’offshoring, créant 14.500 emplois.
- Le Maroc ne doit plus se positionner en tant que pays à bas coût en matière d’offshoring.
Médias24 a rencontré la ministre de la Transition numérique et de la réforme de l'administration, en marge de la rencontre régionale Afrique et Moyen-Orient du partenariat du gouvernement ouvert, qui se tient du 1er au 3 novembre à Marrakech.
Ghita Mezzour est présente à Marrakech également pour mener la troisième étape des consultations régionales sur la Stratégie nationale de la transition digitale.
Médias24 : Pourquoi cette tournée dans les régions ?
Ghita Mezzour : Elle s’inscrit dans le cadre de l’élaboration de la Stratégie nationale de la transition digitale. Pour qu’elle soit réussie, elle doit refléter les attentes et les besoins des citoyens, afin qu’elle apporte réellement des solutions à leurs problèmes. C’est en tout cas ce que l’on pense. On veut les rencontrer et les écouter, pas simplement à Casablanca et à Rabat, mais dans toutes les régions du Royaume. C’est pour cette raison que nous avons lancé ces rencontres de consultations régionales. Nous avons commencé avec la région Souss-Massa, puis Béni Mellal-Khénifra, et arrivons désormais à Marrakech-Safi.
On y retrouve des acteurs en tous genres : des citoyens, des startups, des coopératives, des administrations... Ils partagent avec nous leurs attentes concernant le digital, les difficultés qu’ils rencontrent... Nous avons choisi cette démarche parce que nous voulons que cette stratégie soit avant tout centrée sur le citoyen. Il doit en être le premier bénéficiaire.
En plus des ces rencontres régionales, nous avons réalisé plus de 30 autres rencontres avec les acteurs publics et privés. Nous avons rencontré les secrétaires généraux des administrations, les fédérations professionnelles, les représentants de la société civile, les investisseurs, les grandes entreprises...
Le Maroc a déjà des acquis, mais nous avons le potentiel de faire beaucoup plus
- Pouvez-vous nous parler de cette stratégie qui se prépare ? Comment la présenteriez-vous ?
- Elle se compose de trois grands axes. Le premier concerne l’aspect e-gov. Il consiste à offrir aux citoyens et aux entreprises des services publics digitalisés et simples à utiliser. C’est un sujet qui est au centre de l’intérêt des citoyens afin de faciliter leurs relations avec l’administration. Le Nouveau Modèle de développement y a également accordé une grande importance.
Le deuxième axe consiste à faire du Maroc un pays producteur de technologies numériques, pour ses besoins intérieurs certes mais aussi pour les marchés internationaux.
Enfin, le troisième axe est celui de l’inclusion. Il faut que cette transition digitale puisse profiter à toutes les régions, à toutes les couches sociales, à tous les Marocains et Marocaines.
Le Maroc a déjà des acquis, mais nous avons le potentiel de faire beaucoup plus. Le but de cette stratégie est de renforcer ce mouvement et de l’accélérer. Pour espérer réussir, nous avons besoin de talents. Nous avons aujourd’hui des jeunes qui sont productifs et créatifs. Nous devons en former davantage. Il faudra pour cela revoir quelques textes réglementaires. Nous avons besoin également de renforcer et d’améliorer notre infrastructure numérique.
Voilà les grands axes de la stratégie. Grâce à ces rencontres, nous sommes en train de détailler et de préciser, pour chacun de ces axes, les projets que nous allons inclure.
- On se souvient de l’une de vos premières interventions au Parlement, où vous aviez évoqué le concept du “jouj men lhaja”. Ça avait suscité un buzz plutôt positif, permettant d’espérer que la complexité administrative allait enfin prendre fin. L’administration est effectivement de plus en plus digitalisée, mais il y a tout de même encore des étapes ou des documents qui, eux, ne le sont pas et font perdre beaucoup de temps...
- Pour beaucoup de papiers administratifs, il s’agit d’un parcours où interviennent plusieurs administrations, chacune séparément de l’autre. Dans le cadre de la nouvelle stratégie, nous travaillons sur ces parcours afin de les harmoniser et de les faciliter pour le citoyen.
Le concept du “jouj men lhaja” est un problème de procédures. La loi n° 55-19 relative à la simplification des procédures et des formalités administratives interdit par exemple à l’administration de demander au citoyen deux copies d’un seul document, ou un document qui existe dans une autre administration. Tout cela est contenu dans la loi, mais n’est pas encore tout à fait appliqué dans la pratique.
Nous avons travaillé dernièrement sur l’investissement car c’est un levier de développement et de création d’emplois. Sa Majesté le Roi, a insisté sur la simplification et la digitalisation des procédures pour les investisseurs.
Nous avons pris ce problème à bras-le-corps avec les centres régionaux de l’investissement en nous concentrant sur les 22 procédures les plus demandées par les investisseurs. Nous les avons décortiquées en cherchant s’il n’y avait pas de documents demandés qui n’étaient pas nécessaires ou que l’administration pouvait se procurer par elle-même. À l’issue d’un travail acharné, nous avons conclu que les procédures pouvaient être allégées de 45% en moyenne en termes de documents demandés pour les investisseurs.
Nous avons ensuite travaillé sur la plateforme “CRI-Invest” pour refléter ces changements. Avant son lancement en 2023, nous avions mené une campagne d’information auprès des fonctionnaires au niveau des territoires afin de les sensibiliser à ces nouvelles procédures simplifiées.
Offshoring: le Maroc ne veut plus se positionner en tant que pays low cost
- L’offshoring se porte bien ; des groupes marocains sont en train de grandir et de s’internationaliser, et la destination Maroc continue à attirer des investisseurs. Que pouvez-vous nous dire sur le développement de ce secteur, surtout après votre visite en Inde, pays qui en est le leader mondial ?
- Le Maroc est l’une des trois grandes destinations africaines dans l’offshoring. Ces derniers mois, nous avons signé des mémorandums d’entente et soutenu des projets pour la création de 14.500 emplois, notamment pour les jeunes, représentant un investissement de 595 millions de dirhams dans différentes régions du Royaume.
Lors de notre visite en Inde, nous avions constaté que même dans ce pays, il y a une pression sur les talents. Leurs opérateurs cherchent à venir s’installer chez nous ; ils ne se perçoivent plus seulement en tant que concurrents. Le Maroc les intéresse car nous avons des talents qui parlent des langues que les leurs ne parlent pas et parce que nous avons le même fuseau horaire que l’Europe de l’Ouest.
Nous sommes aujourd’hui conscients que le Maroc ne peut pas axer son offre uniquement sur la concurrence et les bas salaires. On ne veut plus se positionner en tant que pays low cost. La guerre sur les salaires est de toute façon perdue d’avance. Nous considérons que les jeunes Marocains méritent des emplois de qualité. Il y a désormais l’opportunité de générer plus de valeur ajoutée, par exemple à travers le développement informatique. Même si l’on continue à faire de la relation-client, il faut qu’il y ait plus de valeur ajoutée.
- Justement, concernant la relation-client, on voit que même les groupes marocains investissent beaucoup dans d’autres pays d’Afrique, à la recherche de bas salaires. N’y a-t-il pas une menace sur les emplois marocains dans ce secteur ?
- Il y a deux risques dans la relation-client. D’abord, les bas salaires. Avec l’amélioration de la connectivité en Afrique, plusieurs pays ont intégré ce marché. Ces pays-là ont des salaires bien plus bas que ceux qui sont pratiqués au Maroc. Je refuse que l’on cherche à faire baisser les salaires des jeunes Marocains qui y travaillent pour les concurrencer. Ensuite, l’autre risque, c’est de rester sur des métiers trop simples. On est aujourd’hui à l’ère des chatbots et de l’intelligence artificielle. Le Maroc devra intégrer plus de valeur ajoutée et d’expertise dans la relation client. Dans tous les nouveaux projets que nous soutenons, nous insistons pour monter en valeur dans ce métier.
- Pour avoir des emplois de qualité dans l’offshoring, il faut des talents. Les professionnels font état d’une forte tension sur le recrutement et la rétention des talents dans le digital. Que comptez-vous faire ?
- Cette tension est mondiale. L’Inde, un pays d’un milliard d’habitants, qui forme beaucoup dans le digital, connaît aussi ce problème. Ce secteur a en effet connu une forte croissance et continue de croître partout dans le monde. La principale ressource du digital, ce sont les talents.
Mais le Maroc, lui, a ses atouts. Il y a dans notre pays un grand nombre de jeunes, éduqués, innovants et qui ont soif d’apprendre. Nous travaillons pour leur offrir des formations adéquates dans le digital. Dans la région Souss-Massa, nous avons organisé des formations intensives qui ont bénéficié à 2.000 jeunes. Le ministère de la Transition digitale, avec ses partenaires, finance ces formations de six mois. Les jeunes y ont accès gratuitement. En parallèle, quatre entreprises partenaires s’engagent à en employer au moins 80%, mais dans la réalité, ils en emploient plus. Ces entreprises ont participé au choix du contenu des formations selon leurs besoins.
Nous créons également des écoles de codage, à l’image de ce que nous avons fait dans l’Oriental avec “YouCode”. Ce genre d’école est accessible à tous les jeunes, même ceux non diplômés. À l’issue de la formation, qui dure environ deux ans, l’emploi est quasi garanti. Nous faisons en sorte de multiplier ce genre d’initiatives dans plusieurs régions marocaines.
- Combien de profils comptez-vous former ? Avez-vous un chiffre ?
- La Stratégie nationale de la transition digitale, une fois prête, comportera tous les éléments qui concernent ce volet. Nous sommes conscients de son importance.
- Que devient “Morocco Tech”, cette initiative qui voulait promouvoir le Maroc en tant que “Startup Nation”, dix mois après son lancement ?
- Son objectif était de communiquer sur les atouts du Maroc et de mobiliser les acteurs pour faire de notre pays un pôle régional du digital. Après son lancement, un grand nombre d’investisseurs et de partenaires nous ont contactés. Ils étaient intéressés par ce qu’entreprend le Maroc dans le digital. Dans celui de l’offshoring, comme je disais, ce sont 14.500 emplois créés.
- On peut donc dire que “Morocco Tech” a été une réussite en matière d’offshoring...
- Oui, “Morocco Tech” a contribué à attirer l’attention des investisseurs qui se sont installés au Maroc. Dans le cadre de la nouvelle stratégie, on travaille au renforcement du positionnement du Maroc. Le projet de loi de finances a consacré un budget inédit d'un milliard de dirhams en 2023. “Morocco Tech” a été le point de départ de tout cela.
- Sur la partie offshoring, on peut dire que “Morocco Tech” a été plutôt crédible. Mais c’est sur la question des startups que portent les interrogations... Pour l’heure, les résultats que l’on constate sur le terrain sont loin des attentes. Pensez-vous qu’il faille revoir les orientations de l’État dans ce domaine ?
- Comme je vous l’ai dit, le deuxième axe de la stratégie que nous préparons consiste à faire du Maroc un pays producteur dans l’économie numérique. Cela passe par l’attraction de grands investisseurs internationaux, mais aussi par la construction d’un écosystème de startups marocaines qui peuvent elles-mêmes s’internationaliser.
On a rencontré un grand nombre de startups, dans les technoparks et les incubateurs, à travers des focus groups et lors de rencontres régionales. Il y a des réalisations au Maroc, mais on sait qu’il reste encore beaucoup à faire ; on en est conscient. On est en train de travailler pour améliorer la situation.
- On parlait d’un contrat-programme qui se préparait entre la profession et l’État. Est-il toujours d’actualité ?
- Ce qui se prépare, c’est la Stratégie nationale de la transition digitale, que l’on est en train de mettre en place avec tous les acteurs de l’écosystème, y compris les fédérations professionnelles.
- On peut donc dire que la stratégie comprendra aussi des actions concernant les startups ?
- Exactement.
- On dit souvent que pour créer des startups qui réussissent véritablement, il faut tout un écosystème. Qu’est-ce qui fait défaut aujourd’hui à l’écosystème marocain des startups pour éclore ?
- Certains points reviennent souvent lors de nos rencontres avec des dirigeants de startups. En tête, l’accès au marché. Les jeunes pousses ont besoin de vendre ; il faudra donc faciliter le contact avec les clients potentiels au Maroc et à l’étranger. Car il faut penser international. Ensuite, il y a l’accès au financement. Les startups ont besoin de capital-risque car les crédits bancaires ne sont pas réellement adaptés. Il faut également travailler sur le cadre légal. Sur certains points, les lois marocaines ne sont pas adaptées aux startups. Il faudra y travailler pour apporter plus de flexibilité. Il faudra par ailleurs améliorer l’accompagnement. Nos incubateurs font de leur mieux, certes, mais l’écosystème de l’accompagnement au Maroc doit, lui aussi, être renforcé.
- Sur le plan quantitatif ou qualitatif ?
- Nous avons un grand nombre d’incubateurs. Il faudra donc plutôt travailler sur la qualité de l’accompagnement et des services qu’ils offrent.
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