Crise de la filière laitière : les mesures d'urgence du ministère de l'Agriculture

Pour stopper l'hémorragie dans la filière laitière, le ministère de l'Agriculture a annoncé un ensemble de mesures, dont les plus importantes sont l'interdiction de l'abattage des génisses productrices âgées de moins de 5 ans et la subvention d'un quota de 20.000 génisses importées. Explications.

Crise de la filière laitière : les mesures d'urgence du ministère de l'Agriculture

Le 25 octobre 2022 à 19h08

Modifié 26 octobre 2022 à 7h27

Pour stopper l'hémorragie dans la filière laitière, le ministère de l'Agriculture a annoncé un ensemble de mesures, dont les plus importantes sont l'interdiction de l'abattage des génisses productrices âgées de moins de 5 ans et la subvention d'un quota de 20.000 génisses importées. Explications.

  • La baisse du cheptel national est estimée à un peu plus de 8% par le ministère.
  • Subvention d'un quota de 20.000 génisses importées.
  • Subvention des génisses produites localement, à raison de 4.000 DH par tête.
  • Organisation de l'activité d'insémination artificielle.

La filière laitière souffre depuis quelque temps de plusieurs maux ; à leur tête, l’informel et la baisse du cheptel. Médias24 a déjà alerté sur ces problématiques dans des articles précédents.

Abattage du cheptel national : une baisse estimée à environ 8%

En ce qui concerne le cheptel, jusqu’à aujourd’hui, on n’arrivait pas à estimer la baisse au niveau national. On ne disposait que de moyennes régionales, notamment celle de Doukkala, où la baisse du nombre de têtes est estimée à 40% par les opérateurs.

Contacté par Médias24, le ministère de l’Agriculture, de la pêche maritime, du développement rural et des eaux et forêts évalue cette baisse à environ 8,3%. "Avant la mise en place du contrat programme lait, le cheptel bovin laitier était de 1,6 million de femelles reproductrices. Depuis 2008, ce nombre a connu un accroissement important pour se stabiliser autour de 1,8 million de têtes depuis 2015". Sur ce totaln ce sont donc 150.000 têtes qui ont été perdues.

"Le nombre de têtes est reparti à la baisse depuis début 2021. Si la situation actuelle se poursuit, nous estimons qu’à fin 2022, nous serons à 1,650 million de femelles reproductrices", nous confie notre interlocuteur au sein du ministère, ajoutant qu'après "cinq années de production de lait, ces génisses deviennent des vaches de réforme, avec une faible production en lait, qui pourraient partir à l'abattage".

Le Royaume va donc revenir au niveau antérieur à l’établissement du contrat-programme de la filière laitière, perdant ainsi une douzaine d'années de travail acharné.

Baisse de 30% de la quantité de lait collectée par les usines

Interpellée au sujet de la baisse du cheptel, une source autorisée ayant assisté à la réunion tenue le lundi 24 octobre entre le ministère de l’Agriculture et la Fédération interprofessionnelle du secteur laitier "Maroc Lait", confirme cette différence entre les chiffres avancés par les opérateurs et ceux du ministère de tutelle. "Le chiffre qui nous a été communiqué par le ministère de l'Agriculture hier est inférieure aux estimations professionnelles", nous indique notre source.

Et de poursuivre : "Bien entendu, le ministère explique cette différence par l’augmentation de la quantité de lait qui passe par le circuit informel, et qui a connu un développement sans précédent, ce qui constitue d’ailleurs un réel danger pour le consommateur. Le ministère estime ainsi que la part de lait ayant disparu du circuit formel a été compensée par une augmentation dans l’informel, qui malheureusement prend de l’ampleur."

"En revanche, les chiffres dont dispose Maroc Lait montrent plutôt une baisse de 30% de la quantité de lait collectée qui passe par les usines durant le premier semestre 2022, par rapport à la même période de l’année passée. Ce sont des chiffres réels, enregistrés sur le terrain."

Une crise qui se poursuit depuis le Covid

Pour expliquer l’origine de cette crise, le ministère de l'Agriculture évoque la crise sanitaire du Covid-19. "La situation a commencé à se détériorer depuis l'apparition de la pandémie. La baisse du pouvoir d’achat a conduit à une baisse de la consommation et, par conséquent, à une baisse de la quantité de lait collectée par les industriels. Ne trouvant pas de débouché à leur production, les éleveurs ont été contraints de sacrifier une partie de leurs vaches laitières."

"La crise s’est poursuivie avec la hausse des prix des aliments composés à partir de début 2020 ; d’autant que la majorité des matières premières entrant dans la composition de ces aliments est importée. Ces matières ont atteint jusqu’à 50% de hausse", souligne notre interlocuteur.

"Lorsque l’activité a repris, la production avait déjà baissé, et les quantités de lait collectées par les usines étaient faibles, laissant place au colportage." En effet, selon nos informations, les éleveurs en crise préfèrent vendre le lait produit au secteur informel à un dirham de plus, soit 5,5 DH/l, contre 4,5 DH/l proposés par les usines de transformation.

Deux mesures phares

Le ministère de l’Agriculture nous a détaillé les mesures prises pour faire face à cette situation catastrophique et maintenir l’équilibre de la filière laitière, dont les plus importantes sont l’interdiction de l’abattage des génisses productrices de moins de cinq ans, ainsi que la subvention de l’importation de 20.000 génisses.

"Le phénomène d’abattage du cheptel s’est accentué suite au renchérissement du coût des aliments composés. Pour mettre fin à ce fléau, une décision conjointe entre les ministères de l’Agriculture et de l’Intérieur interdira l’abattage des génisses laitières qui sont toujours en production, et qui sont généralement âgées de moins de 5 ans. La circulaire est en cours de signature", nous fait savoir notre source.

En ce qui concerne l’importation des génisses, "un quota de 20.000 têtes sera subventionné par l’Etat. Cette subvention variera entre 2.500 DH et 5.000 DH par tête, en fonction du nombre de têtes importées" ajoute notre interlocuteur, détaillant cette mesure comme suit :

- une subvention de 3.000 DH par tête pour les trois premières génisses importées ;

- une subvention de 5.000 DH par tête entre la 4e et la 10e génisse importée ;

- une subvention de 2.500 DH par tête au-delà de la 11e génisse importée.

Le ministère de l’Agriculture a également pris les mesures suivantes :

- La subvention des aliments composés pour les vaches laitières. "Ce programme a été lancé depuis le mois de mars dernier. 1,6 million de quintaux ont été subventionnés à raison de 2,5 DH le kg, pour un prix de vente de 4,50 DH/kg. Les éleveurs achetaient donc le kg à 2 DH. Il va se poursuivre, vu que la situation ne s’est pas améliorée et que les prix des aliments composés sont toujours à un niveau élevé. Nous allons donc lancer un autre programme de 500.000 quintaux subventionnés, dont la distribution démarre bientôt. Un troisième programme d'un million de quintaux suivra vers le mois de novembre ou décembre, si la situation ne s’améliore pas."

- La subvention de la production des génisses locales, "à raison de 4.000 DH par génisse produite localement".

- L’organisation de l’insémination artificielle, "une activité qui va un peu dans tous les sens dans le secteur, dans la mesure où certains éleveurs inséminent des vaches laitières en production. Un texte est en cours d’élaboration, qui permettra uniquement aux techniciens avec une formation de s’adonner à cette activité".

Par ailleurs, d’autres mesures liées au développement de la filière sont prises dans le cadre du nouveau contrat-programme lait prévu dans la stratégie Génération Green 2020-2030, en commun accord avec les professionnels. Il comporte plusieurs dispositions, notamment des aides et subventions de l’Etat à l’investissement dans la filière et la valorisation.

"Cela fait environ une année que nous suivons la situation de près et que nous veillons à ce que la crise ne s’amplifie pas, mais, actuellement, nous avons atteint un point assez critique, parce que les prix des intrants pour la production et la transformation du lait ne cessent d’augmenter sur le marché international, en plus des autres problèmes liés à la sécheresse", déplore notre source. Elle précise que "la filière lait a déjà été impactée par la sécheresse l’an passé, notamment suite à la rareté des fourrages".

"La réunion d’hier [lundi 24 octobre] est donc venu mettre en place des mesures d’urgence pour sauvegarder ce qu’il y a encore à sauvegarder et maintenir le bon développement de la filière lait. Il s’agit d’une filière extrêmement sensible et importante."

Des mesures critiquées par les éleveurs

"Certaines de ces mesures n’auront pas l’efficacité escomptée", jugent pour leur part deux grands éleveurs joints par nos soins, dont le premier, installé à Casablanca, produit environ 3.000 litres de lait par jour, tandis que le second, installé à Had Soualem, dispose d’une centaine de vaches laitières.

La première est relative à la subvention des aliments composés. Nos deux sources accusent: "les aliments subventionnés par l’Etat sont de  qualité insuffisante. Nous n’en voulons pas. Nous avons déjà vécu une mauvaise expérience lors du premier programme lancé en mars dernier. La production de nos vaches a par la suite baissé d’environ 50%".

"Ce sont des vaches domestiques, très vulnérables et très sensibles, qui ont besoin d’aliments de très bonne qualité, comportant de beaucoup de vitamines et de protéines. De plus, l’animal a une durée de vie limitée, et une faible immunité", ajoute l’un de nos interlocuteurs, indiquant que "lorsque le ministère lance des appels d’offres, il retient le moins-disant. Forcément, la qualité de l’aliment n’est pas bonne et impacte le rendement de nos vaches".

Et de poursuivre : "Je dis toujours que tout secteur subventionné est un secteur sinistré de manière chronique. Au lieu de subventionner un aliment de mauvaise qualité, nous préférons avoir une subvention destinée directement aux agriculteurs."

Notre seconde source estime, quant à elle, que "le ministère aurait pu prendre notre avis sur ce point. On lui aurait conseillé les aliments de bonne qualité dont notre cheptel a besoin. Le ministère aurait pu par exemple baisser sa subvention à 1,60 DH/kg, et l’éleveur payer 0,20 DH ou 0,30 DH de plus, contre un aliment qui permet d'améliorer la production".

Interpellé sur ce point, le ministère de l'Agriculture nous indique que, certes, "nous prenons le moins-disant, mais l'offre retenue doit impérativement répondre aux critères du cahier des prescriptions spéciales (CPS) du marché, notamment en termes de qualité. Les aliments composés subventionnés par l'Etat sont donc de bonne qualité. Ce ne sont pas des produits standards. Ils sont destinés aux vaches laitières, qui ont besoin notamment d'un taux élevé de protéines".

L'autre mesure critiquée par les éleveurs concerne la subvention des génisses produites localement. Nos deux sources pointent un manque de suivi par le ministère. "Certaines génisses sont actuellement malades, et d’autres ont été abattues par leurs éleveurs pour rester à flot. C’est une mesure qui ne servira à rien."

Hausse du prix du lait, la solution ultime à la crise ?

Ces deux éleveurs estiment que la solution ultime à cette crise est la hausse de 1 DH du prix de vente du lait aux usines de transformation, avec contractualisation, et indexation des prix. "En dix mois, j’ai perdu 2.000 DH par jour. Il s’agit de la différence entre le coût de production et le prix de vente aux usines de transformation", déplore l'un d'eux.

Selon une simulation, réalisée dans ce sens par les professionnels du secteur, le prix de vente aux usines devrait connaître une hausse allant de 1,10 DH à 1,40 DH par litre, selon la performance du lait au niveau local.

Une source à Maroc Lait, contactée par Médias24, nous explique que "malgré l’envolée des prix des intrants, notamment le fourrage, le transport et autres, consommés par toute la chaîne de valeur de la filière de transformation du lait, celle-ci n’a pas été répercutée sur le prix à la production".

"Nous avons toutefois réalisé une simulation de l’incidence de l’augmentation des prix des intrants, dont le principal dans la production laitière est l’aliment de bétail. Celle-ci a démontré que l'augmentation allant de 1,10 DH/l à 1,40 DH/l du coût de production pourrait être bénéfique aux éleveurs. Cette hausse doit cependant se faire selon le niveau de performance du lait au niveau local, calculé sur la base de la quantité de lait produite par vache soit par jour, soit par site de production." Cette réflexion pourrait faire l'objet d'une étude plus approfondie par l'interprofession par la suite.

Rappelons que la filière laitière constitue une source importante d’emplois, avec près de 49 millions de journées de travail par an, et génère un chiffre d’affaires de 13 milliards de DH et une valeur ajoutée de 6 milliards de DH.

La production laitière est concentrée dans les périmètres irrigués, avec plus de 90% dans les cinq régions suivantes : Casablanca-Settat, Marrakech-Safi, Rabat-Salé-Kénitra, Souss-Massa et Béni Mellal-Khénifra.

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