Ce qu’apporte la nouvelle Charte de l’investissement : entretien avec Ali Seddiki, le patron de l’AMDIE

Agence d’exécution de la nouvelle Charte de l’investissement, l’AMDIE sera appelée à travailler sur un sujet stratégique pour le Maroc de demain. Son directeur général nous parle des apports de cette charte, de la faisabilité des objectifs fixés à l’investissement privé et de la capacité du Maroc à tirer profit des bouleversements que connaît le monde.

Ali Seddiki, patron de l’Agence marocaine de développement des investissements et des exportations.

Ce qu’apporte la nouvelle Charte de l’investissement : entretien avec Ali Seddiki, le patron de l’AMDIE

Le 25 octobre 2022 à 15h07

Modifié 25 octobre 2022 à 17h01

Agence d’exécution de la nouvelle Charte de l’investissement, l’AMDIE sera appelée à travailler sur un sujet stratégique pour le Maroc de demain. Son directeur général nous parle des apports de cette charte, de la faisabilité des objectifs fixés à l’investissement privé et de la capacité du Maroc à tirer profit des bouleversements que connaît le monde.

Passée sous la tutelle du ministre délégué chargé de l'Investissement, de la convergence et de l'évaluation des politiques publiques, l’Agence marocaine de développement des investissements et des exportations (AMDIE) sera le bras exécutif de la nouvelle Charte de l’investissement. En cours de promulgation au Parlement, ce texte de loi, qui entrera en vigueur dès son adoption par les deux chambres, promet de donner un coup de fouet à l’investissement, quelles que soient sa nature, son origine ou sa taille. Avec comme objectif : faire passer aux deux tiers la part de l’investissement privé dans l’investissement global dans le pays, contre un tiers actuellement.

Patron de l’AMDIE, Ali Seddiki évoque dans cette interview ce challenge, ainsi que l’objectif fixé récemment par le Roi de générer 550 milliards de dirhams d’investissement privé d’ici 2026. Il nous parle également de l’avancement de ce projet de charte, de ce qu’elle apporte comme cadre incitatif, ainsi que du degré de faisabilité des objectifs fixés.

Médias24 : Le projet de la nouvelle Charte de l’investissement est discuté actuellement au Parlement. Comment avancent les choses ?

Ali Seddiki : Le projet de loi a été adopté par la Chambre des représentants à la majorité de 159 voix ; avec l’abstention de deux parlementaires. Au moment où l'on parle, elle est en cours d’adoption à la Chambre des conseillers. Le process a été accéléré, on a senti l’engagement du Parlement sur ce dossier. La charte est toujours donc au stade de projet de loi, mais le process de sa promulgation est avancé.

- Qu’est-ce que ce projet apporte en termes de nouveauté pour une meilleure attractivité du Maroc à l’investissement ?

- Plusieurs choses. Mais il est d’abord une sorte de mise à jour de ce qui était jusque-là en vigueur comme dispositif d’incitation. Il faut rappeler que la précédente charte date de 1995. Elle répondait aux enjeux du Maroc des années 1990 et du début des années 2000. Quand on regarde l’ensemble du dispositif de soutien dans cette charte-là, il y a beaucoup de rubriques et de postes qui sont aujourd’hui moins pertinents au regard des nouveaux défis de l’économie du Royaume.

Cette nouvelle charte vient répondre aux défis du Maroc du futur

- Vous avez des exemples qui illustrent ce décalage entre ces deux époques, ces deux dispositifs ?

- Oui, les exemples ne manquent pas. Le Royaume s’est transformé ces vingt dernières années sous la conduite du Souverain. Et je peux vous donner l’exemple de l’importance que prenait tout ce qui est soutien public au "Hors Site" dans la précédente charte.

A l’époque, ce soutien public était nécessaire, voire impératif. Mais les choses se sont développées depuis, avec la création de plusieurs zones industrielles et de terrains aménagés pour les activités économiques. Bien sûr, il faut continuer de développer le foncier industriel, et la nouvelle charte traite ce sujet. Mais la question est moins prégnante qu'en 1995. Un énorme travail a été fait depuis sur les infrastructures, le Maroc est classé aujourd’hui parmi les premiers pays du continent pour la qualité de ses infrastructures.

Donc la première chose qu’apporte cette nouvelle charte, c’est répondre au mieux aux enjeux actuels et futurs de l’économie marocaine. Le Nouveau Modèle de développement a fixé des objectifs ambitieux à l’horizon 2035, il fallait aussi que le cadre législatif s’adapte aux nouveaux défis. Cette nouvelle charte vient répondre aux défis du Maroc du futur.

- Le premier handicap qui est soulevé par les entrepreneurs dans l’acte d’investir, c’est la complexité des procédures administratives. La nouvelle charte traite-t-elle cette problématique ? Comment ?

- Effectivement, c’est un sujet qui est abordé par le projet de charte, on parle de la simplification des procédures, de la simplification de l’acte d’investir pour libérer les énergies et l’investissement. Le travail sur la charte s’est inspiré, il faut le rappeler, des remontées de terrain, des difficultés que rencontrent les entrepreneurs. Et souvent, on remarque qu’il y a une communauté de point de vue sur les freins liés à l’investissement entre les TPME et la grande entreprise. La simplification et la facilitation de l’acte d’investir font partie des points soulevés. Et la charte y répond.

Comment ? C’est justement le rôle que doit jouer l’AMDIE. Nous avons lancé une consultation pour préparer un manuel de procédures qui sera l’outil de déploiement de cette charte. On l’a fait à l'avance pour être prêt, pour qu’il n’y ait pas de décalage entre le moment où la charte sera promulguée et l’accompagnement qui pourrait être fait, non seulement par l’AMDIE, mais par l’ensemble des parties prenantes.

Ce manuel de procédures va aller chercher l’efficacité dans la mise en œuvre de cette charte. Ce sera vraiment un livre de bonnes pratiques pour pouvoir faire bénéficier les investisseurs des dispositifs de soutien prévus dans cette nouvelle charte.

Avec le manuel de procédures simplifiées qui est en cours d'élaboration, tout investisseur saura où il va, comment y aller, et de quel dispositif il peut bénéficier

- C’est un manuel qui détaillera les procédures pour bénéficier du soutien public, c’est bien cela ?

- En effet. Il comportera toutes les procédures d’accompagnement qu’offre cette charte. C’est le rôle que joue l’AMDIE aujourd’hui. On accompagne les investisseurs dans la réalisation de leur investissement, et on fait le "go between" avec d’autres administrations pour faciliter l’acte d'investissement.

Dans cette nouvelle charte, ce qui est prévu, c’est d’aller directement à la procédure simplifiée, d’encourager le travail qui est fait dans le chantier structurant de la régionalisation avec les CRI qui sont des guichets uniques au niveau de chaque région.

Ce sera donc un manuel avec des procédures simplifiées, qui vont faire en sorte que l’accès au dispositif de soutien de l’Etat soit le plus aisé possible. Et le plus accessible possible.

Il y un autre point important à soulever, c’est la transparence qui est actée dans la charte. La transparence veut dire lisibilité. Souvent, ce qui peut freiner un investisseur, c’est l’opacité, quand il ne sait pas à quoi il peut avoir droit ou par où passer. Le travail mené conjointement par le ministère de tutelle et l’AMDIE, c’est de penser un dispositif clair, lisible, transparent et mettre en place un manuel de procédures pour pouvoir activer ces mécanismes de manière simple et transparente. Avec ce manuel, tout investisseur saura où il va, comment y aller, et de quel dispositif il peut bénéficier. C’est un message fort à l’adresse des investisseurs.

- Un constat est partagé par tous les acteurs : le Maroc ne pèche pas par manque d’investissement, puisqu'il a un des meilleurs taux d’investissement par rapport au PIB dans le monde ; le problème se situe plutôt dans le faible rendement produit par cet investissement. Est-ce que la charte apporte des mécanismes pour orienter l’investissement vers des secteurs plus créateurs de valeur et d’emploi ?  

- Le taux moyen d’investissement au Maroc est de 30%, c’est supérieur à la moyenne de l’OCDE qui est de 25%. A l’analyse de ce taux, on réalise que les deux tiers de l’investissement sont portés par le public, et le tiers par le privé. La manière de rendre l’investissement plus performant, plus créateur d’emploi, c’est de faire porter la part du privé à un niveau qui est au-dessus de celui de l’investissement public, surtout que le Maroc entre aujourd’hui dans une nouvelle phase.

L’importance de l’investissement public ces dernières années était justifiée, car il fallait préparer le Maroc d’aujourd’hui. On a eu vingt ans d’investissements massifs dans l’infrastructure. Cette phase a été réussie, et l’infrastructure actuelle du Maroc est un des gros leviers d’attractivité du pays. Le public devait soutenir les conditions de création de l’émergence. Maintenant, le secteur privé doit prendre le relais. Et en prenant ce relais, on va faire de manière automatique un investissement créateur d’emploi pérenne.

Le texte identifie clairement cette question de création d’emploi pérenne et de création de valeur ajoutée. Ce sont des cibles. Et donc forcément, l'accompagnement de l’infrastructure, ce n’est pas l’investissement prioritaire aujourd’hui, ce qui ne veut pas dire que le public ne va pas continuer d’investir ou de soutenir la croissance du pays. En revanche, il faut que la croissance du secteur privé aille plus vite. Le dispositif doit donc soutenir le secteur privé et dans des secteurs générateurs d’emploi pérenne et de valeur. Car l’objectif en bout de course de tout ce travail, c’est l’inclusion économique, le développement.

- Le focus sera donc fait sur les secteurs productifs ?

- Bien sûr, à l’exclusion du secteur agricole qui a déjà un cadre incitatif à part entière…

- Et l’immobilier ?

-Oui, idem pour l’immobilier qui a un dispositif porté par son ministère de tutelle.

La charte considère en réalité l’ensemble du spectre de l’industrie créatrice d’emploi et de valeur. C’est ce dont a besoin aujourd’hui l’économie marocaine.

Je l'appelle ‘le moment Maroc’

- Comment se sont passées les discussions au niveau du Parlement ? Avez-vous senti un engagement politique en faveur de ce projet ?

- Son adoption à la première chambre par une majorité de 159 députés, et une abstention de 2 députés, donne déjà le cadre du dialogue mené par notre ministère de tutelle avec les députés de la nation. La loi est portée par le ministère de tutelle, qui est le plus à même de vous décrire l’ambiance dans laquelle se sont déroulés les échanges avec les parlementaires. L’AMDIE est l’agence de déploiement de la stratégie. Mais ce que je peux vous dire, c’est que cette charte est un projet national. Il faut rappeler le contexte où se place ce projet. Je l’appelle “le moment Maroc”…

- Justement, il y a aujourd’hui comme une conviction à tous les niveaux que le Maroc a une fenêtre de tir extraordinaire pour pouvoir tirer profit des évolutions que connaît le monde. Quels sont les éléments qui appuient cette conviction ?

- Je l’appelle “le moment Maroc”… Nous sommes en effet convaincus que c’est le moment pour le Maroc. C’est un moment de bouleversement. On l’a vu dans les discours royaux qui mettent l’accent sur l’investissement, comme levier pour financer la politique sociale, à un moment géostratégique très singulier. On arrive à l’issue d’une crise du Covid qui a bouleversé les chaînes de valeur, le rapport à la dépendance aux grands bassins de production, et on vit avec la guerre en Ukraine une remise en cause des rapports de forces au niveau de l’énergie. Tout cela crée un chamboulement, les cartes sont en train de se redistribuer, et il faut impérativement qu’on ait le cadre pour aller tirer toutes les opportunités qui sont offertes.

Quand vous regardez les marchés développés, il y a des phénomènes de fond combinés à des phénomènes de conjoncture extrêmement lourds : crise Covid, crise énergétique, démographie vieillissante avec une pénurie de main-d’œuvre, de techniciens, d’ingénieurs, de compétences ; défiance vis-à-vis d’autres bassins géographiques… Il faut donc trouver d’autres partenaires, il y a une expression qui est aujourd’hui utilisée pour exprimer cela, le "friend-shoring".

En Afrique, continent plus jeune démographiquement, quel est le pays qui est le plus proche du bassin européen qui est forcé de vivre sa transition énergétique, qui est forcé de diminuer sa dépendance industrielle ; quel est le pays qui est le plus à même de tirer profit de ce contexte ? Quand on se compare, on se dit qu’on a énormément de chance : on a une stabilité politique ; malgré les tensions inflationnistes, on a des agrégats macroéconomiques solides ; on a une Banque centrale crédible, indépendante, qui n’utilise pas la monnaie pour gagner en compétitivité ; les notes souveraines qui nous sont attribuées sont maintenues avec des perspectives stables, ce qui veut dire qu’il y a le pari de ces grandes agences sur le fait que le Maroc va continuer de croître, d’améliorer ses agrégats…

Il n’y a que trois corridors d’EnR dans le monde : l’Australie qui alimente l’Asie, le Chili qui alimente l’Amérique, et le Maroc pour l’Europe

- Il y a aussi le sujet de la décarbonation qui devient crucial pour l’Europe. Le Maroc vient justement d’être déclaré premier partenaire vert de l’UE. Qu’est-ce que ça signifie concrètement et qu'est-ce que ça peut apporter au Maroc ?

- C’est colossal. Parce que c’est la validation du point de vue de l’Union européenne, qui est notre partenaire commercial et économique, de notre capacité à offrir un espace de production et de croissance durable.

Par quoi cela va se traduire concrètement : aujourd’hui, on parle beaucoup de décarbonation. Mais en réalité, il faut d’abord s’entendre avec votre partenaire sur ce que veut dire décarbonation. Est-ce qu’on va reconnaître les certificats de décarbonation mutuelle ? Si on a signé aujourd’hui avec l’UE, cela veut dire qu’on va travailler ensemble sur la normalisation des certificats ; on va travailler sur des projets communs ; on va encourager la décarbonation des exportations marocaines ; et ça veut dire aussi accueillir des investissements dans le verdissement de l’économie.

On est le premier partenaire de l’UE dans ce pacte vert, à l’extérieur des frontières de l’Europe, mais avant ça, au niveau bilatéral, il y a l’Allemagne qui a lancé un partenariat avec le Maroc dans ce domaine, notamment dans sa grande stratégie d’hydrogène vert. Tout cela va consacrer des années d’efforts et d’investissements dans le verdissement de l’économie marocaine. On est aujourd’hui à un mix en énergies renouvelables (EnR) de 30%, on va atteindre 52% d’ici 2030 et peut-être même plus ; on respecte les engagements pris au niveau des différentes COP ; on a les EnR les plus compétitives dans la région et dans le monde, avec une combinaison de vent et de soleil.

Le ‘Morocco Now’, c’est plus qu’un slogan, c’est une réalité

Il faut savoir qu’il n’y a que trois corridors d’EnR dans le monde : l’Australie qui alimente l’Asie, le Chili qui alimente l’Amérique, et le Maroc pour l’Europe.

L’Europe, à travers ce pacte, dit haut et fort que le Maroc est le partenaire pour atteindre son objectif de décarbonation. C’est devenu un des meilleurs arguments de vente de la destination Maroc aux investisseurs étrangers, particulièrement aux Européens, un avantage comparatif monumental quand on le combine avec le reste : un capital humain disponible et de qualité, la proximité géographique, la qualité de l’infrastructure, la stabilité politique… Le “Morocco Now”, c'est plus qu’un slogan, c’est une réalité.

- On parle depuis le début des investisseurs étrangers. Mais pensez-vous que le capital marocain pourra relever le pari fixé par la charte de faire passer la part de l’investissement privé aux deux tiers de l’investissement global, contre un tiers actuellement ?

- Il y a déjà un objectif fixé par le Souverain d’ici 2026, pour générer 550 milliards de dirhams d’investissement privé. Le secteur privé local est engagé pour atteindre cet objectif, il y a de la volonté. Bien sûr, il y a des difficultés. Mais c’est justement au nouveau cadre de créer les conditions idoines pour accompagner l’investissement privé. Et cette nouvelle charte apporte un cadre très incitatif. Et ça concerne tout le spectre des entreprises, de la petite à la grande, avec l’objectif également de créer une nouvelle génération d’entrepreneurs.

Cette nouvelle charte encourage aussi les capitaux marocains à aller à l’étranger, pour donner à nos entrepreneurs du poids, c’est important ça aussi. Le capital marocain sent bien que c’est le moment d’agir. Avec le coup de boost que va donner la charte, je suis convaincu qu’on va avoir un entrepreneuriat marocain à la hauteur de la tâche.

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