REPORTAGE. Figuig, une ville délaissée (2/2)
En l’absence de politiques spécifiques pour le maintien des oasis, la ville de Figuig risque de se désertifier. Reportage.
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Ghassan Wail El Karmouni
Le 4 octobre 2022 à 13h59
Modifié 4 octobre 2022 à 17h28En l’absence de politiques spécifiques pour le maintien des oasis, la ville de Figuig risque de se désertifier. Reportage.
À l’ombre des palmiers, au matin, il fait frais à Figuig. Pour une ville en plein désert, le mois de septembre est particulièrement doux. Il fait entre 20° le matin et 28° au zénith. Profitant de la fraîcheur, les ouvriers agricoles s’affairent dans les champs dès le petit matin et jusqu’à 14 heures pour cueillir les premières variétés de dattes à mûrir comme le Boufekkous, des petites dattes mi-sèches très sucrées.
La grosse saison de la variété locale, la fameuse Aziza, qui fait la réputation de Figuig, n’a pas encore débuté. Toutefois, les espoirs d’une bonne récolte sont minces pour la plupart des habitants. “Nous n’avons pas eu de pluies depuis trois ans. Et sans pluie, la qualité des dattes n'est pas bonne”, témoigne Tayeb, un habitant de la ville. Ici, la ville et la palmeraie ne font qu’un. La possession de vergers et de droits d’eau va quasiment de pair avec l’identité des Faguig (habitants de Figuig).
Dépeuplement
C’était du moins le cas il y a quelques années, avant plusieurs vagues successives de migration depuis le début des années 70 qui ont abouti à un dépeuplement progressif de la ville. C’était aussi le cas avant que plusieurs familles de nomades de la région ne décident de se sédentariser à la suite de la sècheresse chronique depuis le début des années 90.
La balance de la population est d’ailleurs toujours négative. Selon les recensements successifs du HCP, la population de la ville diminue rapidement, passant de près de 13.000 habitants en 2004 pour à peine plus de 10.000 en 2014. Dans ses projections, le HCP table sur une baisse supplémentaire de 1,5% de la population de la ville entre 2020 et 2030, contrairement à la majorité des autres centres urbains de la région orientale.
Une tendance inexorable qui modifie profondément les modes de vie de l’oasis et de ses habitants. La ville est, en effet, construite en lien avec son oasis. Le travail des jardins est ainsi concomitant avec le mode de vie traditionnel et la survie de l’oasis. Ils forment un écosystème.
“Comme vous voyez, il y a beaucoup de parcelles blanches et beaucoup de palmiers abandonnés”, se désole Mustapha, agriculteur et ancien fonctionnaire de la ville, aujourd’hui retraité. Plusieurs jardins aux murs effondrés sont ainsi laissés à l’abandon et les régimes de dattes accrochés aux palmiers se dessèchent au soleil, faute de main-d’œuvre pour les récolter.
Une irrigation ingénieuse
Ici, les jardins appartiennent aux familles de Figuig. Ils ont des superficies qui ne dépassent pas les 200 à 300 m² et sont pour la plupart emmurés, contribuant aussi bien à leur sécurisation qu’au maintien du microclimat relativement humide et frais de la palmeraie nichée dans le désert. Chaque parcelle est reliée à un savant système d’irrigation communautaire. Les tours d’eau sont rigoureusement ordonnés par des Asseraf, des gardiens de l’eau, qui connaissent les droits acquis par chacune des familles des Ksour à qui ils appartiennent, à la minute près.
Historiquement, l’eau vient d’un ensemble de sources souterraines drainées par gravitation de l’amont par des Khettara ou Foggara (canaux souterrains), jusqu’à la palmeraie en aval. Les tours d’eau de 45 min (kharouba) sont les unités de base de calcul de ces droits. La kharouba correspond à une certaine quantité d’eau qui est stockée dans des bassins de retenue (plus de 380 sont actifs stockant entre 800 et 3.000 m³ d’eau) qui sont ensuite ouverts sur des Seguias qui se déversent dans les parcelles. L’entretien de cet ingénieux système se paie par une journée entière de droit d’eau tous les 15 jours, le Tantawt. Un droit partagé par les diverses familles originaires de la ville. Le droit d’eau est ainsi vendu, permettant de financer l’entretien du complexe système d’adduction.
Jardins abandonnés
Toutefois, avec les problèmes de morcellement dus à l’héritage, le dépeuplement qui entrave le travail collectif des terrain (Twizza) ainsi que la sécheresse endémique, le nombre de parcelles tend à diminuer tout comme les débits d’eau.
“Ici, nous avions l’habitude de cultiver en plus du palmier, des arbres fruitiers comme les figuiers, les pommiers, les grenadiers etc. et quand la pluie est plus abondante, on cultive aussi des légumes, le blé, l’orge, la luzerne pour le bétail, etc. Aujourd’hui avec le manque de précipitations, on priorise les palmiers pour qu’ils ne meurent pas. Les légumes viennent essentiellement d’Agadir ou de Berkane”, témoigne Mustapha.
Un système agricole intensif en trois étages (maraîcher, verger et palmier) aujourd’hui largement abandonné en faveur de la monoculture du palmier. Mais ce n’est pas seulement le manque de pluie qui fait la rareté de l’eau au sein de la palmeraie. C’est aussi le pompage qui baisse irrémédiablement le débit des khettara.
Certaines, plusieurs fois centenaires, se sont complètement asséchées alors que d’autres ont vu leur débit sérieusement baisser (de 40% à 60%). Aujourd’hui, essentiellement dédiée à l’agriculture, l’eau de ces khettara acheminait jadis l’eau dans les Ksour. Mais depuis quelques années, l’eau potable de la ville vient essentiellement d’eau souterraine profonde fournie par la municipalité à partir de puits creusés à une vingtaine de kilomètre de l’agglomération, alors qu’une partie de l’eau de l’oasis est, elle, acheminée depuis le barrage Sfisef, mais aussi des nombreux puits d’appoints creusés dans la palmeraie.
Les extensions agricoles qui ont été faites autour du périmètre oasien viennent, elles, quasi-exclusivement des puits équipés de pompes solaires largement subventionnées, contribuant à la rareté de l’eau de l’oasis et au déséquilibre de son écosystème.
Ville bétonisé
Plus haut dans la vallée, en contournement des jardins, les sept Ksour de l’oasis sont reliés par d’étroites ruelles, témoins du passé guerrier et des nombreuses rivalités entre les habitants de ces Ksour. Des rivalités historiquement en lien avec le partage des sources d’eau. Elles sont de temps en temps ravivées, même récemment, par les questions liées au partage des terres collectives. Entre les Ksour, s’est aussi développé de l’habitat moderne en brique et béton qui fait presque partie, aujourd’hui, de ce tissu ancien polycentrique, un monolithe.
Nous retrouvons aussi des constructions en béton à l’intérieur des Ksour eux-mêmes. Ceux-ci sont traditionnellement construits sur des fondations en pierres issues des montagnes environnantes et d’adobes (des briques de terre crue comprimée et séchée au soleil) enduites naturellement ou laissées brutes. Avec la recherche de confort moderne, voire d’une plus grande rapidité dans les constructions à moindre coût, les techniques traditionnelles sont de plus en plus abandonnées en faveur du béton.
C’est d’ailleurs le mode prédominant de construction de la ville nouvelle coloniale, réalisée plus en amont des Ksour sur la route nationale. Celle-ci est faite essentiellement de bâtiments de type marocain sur deux niveaux avec des emplacements pour des magasins au rez-de-chaussée, pour la plupart fermés, comme nous avons pu le constater de visu. “Ces magasins appartiennent à des gens qui sont pour la plupart à Casablanca, Rabat ou Oujda, voire en France. Ils restent fermés parce qu’il n’y a pas beaucoup d’activité ici”, témoigne Tayeb.
Tout comme de nombreuses régions désertiques, la ville de Figuig est de plus en plus laissée à l’abandon. Ses monuments et son statut patrimonial, aujourd’hui contesté, ne suffisent pas à en faire une destination touristique en l’absence d’une accessibilité garantie, après l’arrêt de l’aéroport de Bouarfa à 110 km, du train reliant Oujda à Bouarfa, ainsi que la fermeture de son accès vers le Sud-est avec l’Algérie.
Les nombreuses potentialités touristiques de cette ancienne étape importante du commerce transsaharien, qu’elles soient naturelles, historiques ou archéologiques, semblent condamnées à dépérir en l’absence d’un plan ambitieux qui prenne en compte ses spécificités.
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