Transport par bus : un marché dominé par deux acteurs (Conseil de la concurrence)

Niveau d'encadrement réglementaire élevé, cadre juridique inachevé, un marché avec un niveau élevé de concentration, dominance d'un opérateur leader du marché... Voici l'avis du Conseil de la concurrence sur le fonctionnement concurrentiel de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus au Maroc.

Transport par bus : un marché dominé par deux acteurs (Conseil de la concurrence)

Le 12 juillet 2022 à 17h38

Modifié 12 juillet 2022 à 17h38

Niveau d'encadrement réglementaire élevé, cadre juridique inachevé, un marché avec un niveau élevé de concentration, dominance d'un opérateur leader du marché... Voici l'avis du Conseil de la concurrence sur le fonctionnement concurrentiel de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus au Maroc.

Motivé, d’une part, par les différentes saisines (14) concernant les conditions de sélection et d’attribution des contrats de gestion déléguée de ce secteur et, d’autre part, par l’existence d’éventuelles barrières à l’entrée lors des appels d'offres, relatées par la presse nationale, le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office pour analyser ce marché.

En effet, le marché de Casablanca, remporté en 2019 par Alsa, et celui, convoité, de Marrakech ont fait l'objet de contestations. Il leur a été reproché, entre autres, de favoriser des opérateurs étrangers.

Un cadre juridique inachevé

L’analyse concurrentielle du fonctionnement du marché a permis de constater le niveau élevé de son encadrement, régi par un arsenal de textes juridiques divers et variés, rapporte le Conseil de la concurrence dans son avis.

Toutefois, il a été relevé que ce cadre juridique était resté inachevé, ce qui a conduit les autorités délégantes à s’appuyer sur les dispositions réglementaires régissant les marchés publics pour lancer leurs appels d’offres et sélectionner le concurrent adjudicataire.

Le Conseil estime que "la création de sociétés de développement local (SDL), non contrôlées directement par l’autorité délégante pour réguler le transport, n’a pas permis de mettre fin à la multiplicité des acteurs dans ce modèle de régulation. Bien au contraire, ce modèle a amplifié l’asymétrie d’informations et a créé des problèmes de coordination, de gouvernance entre les acteurs, tout en diluant les responsabilités et en entraînant des coûts de fonctionnement alourdissant les coûts d’exploitation".

Dominance d'Alsa sur le marché

En ce qui concerne l'intensité de la concurrence dans le marché de la gestion déléguée du transport public par autobus, le Conseil conclut que ce marché se caractérise par un niveau élevé de concentration.

Les deux premières sociétés Alsa et City bus ont une part de marché cumulée se situant entre 80% et 90% durant la période 2018-2020, avec une dominance nette de la société Alsa qui a vu sa part de marché passer de 50% à 70%.

Selon le Conseil, la dominance de l’opérateur leader du marché (Alsa, ndlr) s'est accélérée ces dernières années puisque sa part de marché a augmenté de 22 points durant la période 2018-2020. "Ceci pourrait s’expliquer également par les avantages de position acquise par les succès passés du leader dans un certain nombre de grands centres urbains (Marrakech, Agadir et Tanger), qui ont influencé de manière positive ces succès et qui ont récemment concerné les marchés de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus de grandes agglomérations de notre pays (Casablanca et Rabat)", note le rapport du Conseil de la concurrence.

"En effet, il semblerait que dans le cas d’espèce, les effets d’expérience et de signalement, ainsi que les effets de vitrine ont joué pleinement en faveur de la société leader du marché. Or, ces effets sont autant de barrières dissuasives à l’entrée au marché de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus pour les nouveaux concurrents", poursuit le Conseil.

Ci-dessous une carte faite, précédemment, par Médias24 :

Ce niveau élevé de concentration semble être dû à la combinaison de trois facteurs essentiels, à savoir :

- Des barrières à l’entrée très élevées, édictant des conditions techniques et financières d’accès qui favorisent les grandes entreprises, empêchent l’arrivée de nouveaux entrants et excluent totalement l’innovation, la créativité comme critères de sélection.

- Un nombre réduit d’appels d’offres, portant sur des contrats de gestion de longue durée se situant entre 10 et 15 ans, qui sont généralement prolongés par avenant en faveur de l’opérateur exploitant.

- Un faible taux de participation des opérateurs aux appels d’offres des grands centres urbains en raison de leurs capacités techniques et financières limitées. De même, le coût de réponse aux appels d’offres contraint les opérateurs de taille moyenne à ne participer qu’à un nombre limité de ces appels d’offres, du fait de leurs coûts irrécupérables.

Ce qu'il faut faire pour améliorer le fonctionnement concurrentiel

Le Conseil de la concurrence recommande ce qui suit : ™

- Mode de régulation de la gestion déléguée : revoir le statut et le cadre juridique régissant les SDL, en vue de professionnaliser ces entités et de leur donner les moyens juridiques et matériels pour jouer pleinement leur rôle de régulateur de ce marché.

Cette révision doit, en outre, permettre de renforcer les capacités des collectivités territoriales et leurs émanations, en tant qu’autorités compétentes, de maîtriser le processus de la gestion déléguée allant de l’identification des besoins au suivi des contrats en passant par l’appel à la concurrence, la négociation, la contractualisation et la mise en œuvre. Ceci permettra aux délégants de bénéficier d’un transfert de savoir-faire et de la pérennisation de l’actif immatériel de connaissances et des systèmes de gestion, afin de leur assurer une autonomie managériale durable pour la continuité du service public après l’expiration du contrat.

- Régionaliser la Stratégie nationale de la mobilité urbaine : accorder plus de pouvoirs aux autorités délégantes dans la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain en termes de planification, de contrôle et de financement.

Aussi, le renforcement du transfert des compétences de la SDL et des délégataires aux collectivités territoriales et leurs émanations (ECI et GCT) ne peut que renforcer la gouvernance régionale de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain. ™

Par ailleurs, le Conseil de la concurrence propose des suggestions pour assurer une concurrence libre et loyale dans le marché. Il s’agit principalement de :

- Etablir une grille d’évaluation actualisée des offres, basée sur des critères objectifs focalisés davantage sur le business plan des soumissionnaires au lieu de la grille d’évaluation notée essentiellement sur les tarifs qui ne seraient plus les seuls éléments de compétition.

- Il est essentiel également de changer la nature des contrats de gestion déléguée, en passant de contrats à logique de « flux financiers » à des contrats orientés objectifs (qualité de service, taux couverture du territoire, etc.), où un score de qualité des services des opérateurs est inclus comme critère d’attribution de l’appel d’offres. La planification des objectifs dans le temps et les facteurs financiers doivent être des critères ajustables pour atteindre les objectifs précités.

- Introduire et attribuer un scoring significatif à l’expertise et l’expérience cumulées des managers comme critères de sélection des candidats aux appels à la concurrence des marchés de la gestion déléguée du transport public urbain et interurbain par autobus, et ce, pour valoriser l’entrepreneuriat national dans le secteur.

- Préciser au préalable à tout appel à la concurrence le degré de partage des risques industriels et commerciaux, et du coût de l’investissement global entre le délégant et le délégataire. A cette fin, il est opportun de faire une analyse approfondie de ces risques liés à la gestion déléguée et de définir clairement cette répartition.

- Prévoir un schéma clair et connu à l’avance par l’ensemble des soumissionnaires des subventions qui seront octroyées lors de l’exploitation des contrats, et ce, pour pouvoir créer une dynamique concurrentielle entre les opérateurs afin de limiter la part de la subvention.

- Préserver les mécanismes de maintien de l’équilibre financier du contrat de gestion déléguée, en tenant compte des impératifs de service public et de la juste rémunération du délégataire. En effet, les parties prenantes au contrat gagneraient à préciser les modalités de préservation de cet équilibre, en définissant au moment même de l’élaboration du contrat les fondements de cet équilibre, mais aussi en mettant en place les jalons permettant de réviser et/ou de renégocier ces modalités, sur la base d’une grille préétablie. Par ailleurs, le délégant doit s’assurer dans le cadre du contrôle du contrat, que le délégataire réalise des marges raisonnables.

- Revoir et préciser les conditions de revoyeur des contrats de gestion déléguée quinquennal en y introduisant l’obligation d’une évaluation de la gestion déléguée par une consultation publique des usagers. Les modalités et les formes de cette consultation et la suite à lui réserver doivent être précisées par ledit contrat.

- Veiller à ce que les tarifs restent accessibles pour tous les citoyens et ce, à travers la maitrise des coûts d’investissement et d’exploitation, ainsi que l’encadrement des marges générées par la gestion déléguée. A l’instar du modèle du RoyaumeUni et d’Israël qui ont permis des réductions de coûts tout en cherchant à améliorer constamment la qualité de service.

- Prévoir, dans les contrats de gestion déléguée du transport urbain et interurbain par autobus, un système de calcul des subventions basé sur le principe « malus-bonus » lié à des objectifs de performance et de qualité du service public prédéfinis, tout en veillant à communiquer ce mode de calcul à l’avance aux opérateurs.

- En raison du niveau de concentration élevé de ce marché, et de la difficulté pour de nouveaux entrants d’accéder et de se faire une place sur ce dernier, les autorités délégantes doivent revoir les conditions d’accès à ce marché, dans le sens d’un assouplissement des conditions qui permettra une compétition plus animée du marché et l’accès d’un plus grand nombre de concurrents, garant d’un service de transport urbain de meilleure qualité et à un prix accessible, en adoptant un calendrier échelonné des appels à la concurrence, pour renforcer la dynamique concurrentielle sur ces marchés et augmenter la pression concurrentielle sur les prix. ™

Enfin, le Conseil de la concurrence suggère les mesures d’accompagnement suivantes :

- L’implémentation systématique dans les contrats de la gestion déléguée du transport urbain et interurbain par autobus du principe de transparence et de liberté d’accès à l’information par les acteurs du marché. Cette information doit être disponible et mise à la disposition des concurrents à toutes les étapes du processus de l’appel à la concurrence.

- L’ouverture d’un débat public sur une éventuelle réforme d’envergure du mode de régulation au niveau de l’État et en collaboration avec les autorités locales, en vue d’amender la loi organique relative aux collectivités territoriales, pour mieux définir le rôle et les compétences des SDL dédiées à la gestion du transport public urbain.

- La mise en place et le développement des mécanismes pour accroître la dynamique concurrentielle entre les différents acteurs du marché des services du transport public urbain et interurbain par autobus par l’adoption d’un cadre contractuel qui clarifie les objectifs et les responsabilités entre les différents intervenants.

- Prévoir dans les futurs contrats entre les autorités délégantes et les opérateurs privés des clauses qui permettent à la société délégataire, comme prévu dans l’article 25 de la loi n° 54.05 relative à la gestion déléguée des services publics, d’investir à l’étranger, dans le but d’acquérir de l’expertise technique dans ce marché à l’échelle internationale.

- Prévoir un cadre juridique adéquat en vue d’intégrer l’intermodalité entre les différents mode de transport public en commun (bus-tramways..), et promouvoir la multimodalité et l’intégration tarifaire entre les différents modes de transport.

- Prévoir, dans les clauses des contrats, que l’entreprise délégataire peut soumissionner aux appels d’offres internationaux en tant qu’entité indépendante disposant de ses propres références techniques et financières.

 

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