Maryam Touzani: “Tous mes films s’inspirent d’une réalité intimiste”

ENTRETIEN. Après que son 2ème long-métrage "Le bleu du caftan" ait été sélectionné dans la catégorie « Un certain regard » du festival de Cannes, la réalisatrice marocaine Maryam Touzani est revenue pour Médias24 sur la genèse de son dernier film qui reste tout aussi engagé que ses précédentes réalisations.

Maryam Touzani: “Tous mes films s’inspirent d’une réalité intimiste”

Le 21 mai 2022 à 17h09

Modifié 23 mai 2022 à 8h28

ENTRETIEN. Après que son 2ème long-métrage "Le bleu du caftan" ait été sélectionné dans la catégorie « Un certain regard » du festival de Cannes, la réalisatrice marocaine Maryam Touzani est revenue pour Médias24 sur la genèse de son dernier film qui reste tout aussi engagé que ses précédentes réalisations.

Médias24 : Comment passe-t-on du journalisme à la réalisation de fictions ?

Maryam Touzani : De manière assez naturelle, car ce qui m’a donné envie de devenir journaliste était avant tout ma passion pour l’humain. Observer et écouter d’autres vécus, pouvoir donner une voix d’expression à leurs histoires, à travers des mots. À un moment de ma vie, j'ai senti le désir de ‘raconter’ autrement. J’ai ressenti que j’avais besoin de l’image pour aller au bout de ce que je ressentais.

-Tous les deux sont basés sur l’observation de faits et de réalités ?

-Le quotidien est ma plus grande source d’inspiration. La vie est faite de rencontres inopinées avec des êtres, des lieux, qui peuvent sembler anodines mais qui sont loin de l’être. Le réel a toujours été source d’inspiration pour moi. Avant de faire des films de fiction, j’ai fait du documentaire.

-Justement, c’était un tour de chauffe, une répétition avant de passer du documentaire à la fiction ?

-Pas du tout, je n’ai jamais imaginé que j’allais devenir réalisatrice de fiction. Je suis passée du journalisme à la réalisation de documentaires de manière assez naturelle, car je ressentais que c’était en quelque sorte une autre manière de faire ce que j’aimais. Mais il y a eu un moment dans ma vie ou j’ai ressenti le besoin de raconter mes propres histoires.

-Dans votre précédent film Adam, vous êtes assez engagée sur la question de la femme mais en lisant le pitch du Bleu du caftan qui parle de transmission, on a l’impression que vous revendiquez moins et que vous êtes passée à autre chose, doit-on le prendre comme un virage ?

- Le Bleu du caftan est un film qui reste dans la lignée de ce qui me passionne dans la vie, l’humain. Et cet humain je cherche à en parler à travers des personnages qui me touchent, qui charrient une histoire, un vécu, qui évoluent dans un certain contexte. Des êtres que parfois on choisit de ne pas montrer, de ne pas voir, et auxquels moi j’ai envie de pouvoir donner une voix dans mes films, un visage.

Mes films ont ça en commun. Dans Le Bleu du Caftan, je parle de choses qui me hantent, qui me font réagir, que je ne peux pas taire et ne veux pas taire. Si le film parle de transmission d’un art centenaire à travers le travail d’un maalem de caftans, c’est aussi l’histoire d’un couple, Halim et Mina, qui vit avec le secret de l’homosexualité du mari depuis 25 ans, qui a appris à vivre avec ce non-dit qui fait partie intégrante de leur existence. Jusqu’au jour où la vie décide de bousculer tout ça.

Et oui, dans ce film, il est effectivement question de transmission d’un magnifique métier qui est en train de disparaître et auquel j’ai voulu rendre hommage. Mais aussi d’amour, dans le sens le plus large du terme, de tout ce que nous sommes prêts à faire pour l’être aimé.

-Votre film ne risque-t-il pas de provoquer une nouvelle polémique à l’image de Zin Li Fik ?

-Très sincèrement, je pense que la polémique autour de Zin li Fik n’aurait jamais eu lieu si le public marocain avait eu la chance de voir le film et s’il n’avait pas été censuré de manière illégale et brutale par le ministre de la communication de l’époque. Zin Li Fik parle d’une réalité qui existe, tout le monde le sait, avec beaucoup de sincérité et d’authenticité. Et Nabil a fait ce film avec un véritable amour pour ces femmes et le Maroc. Beaucoup de gens s’en sont rendus compte depuis…

Je pense sincèrement que le Maroc a beaucoup évolué sur certaines choses, et que parfois on peut être très agréablement surpris, qu’il y a un désir de plus en plus grand de pouvoir débattre de sujets qui sont parfois sensibles. D’ailleurs, j’ai été très heureuse de découvrir il y a quelques semaines dans un journal marocain, un article sur un transsexuel marocain qui parlait ouvertement de sa transformation alors que ça n’aurait certainement pas été possible avant. Pour moi, les médias, comme les artistes, doivent aussi aider à faire avancer les choses… Et puis, nous avons un autre gouvernement avec un jeune Ministre de la Culture, qui veut changer les choses et aller de l’avant, notamment sur la question des libertés individuelles. En tous cas, je l’espère.

Quant à moi, je ne fais pas des films en pensant aux réactions négatives qu’il risque de susciter. Je raconte des histoires et des personnages qui me touchent, de la manière la plus sincère possible, et c’est tout ce qui compte. Je ne me pose tout simplement pas de questions quand j’écris. Je dis ce que j’ai à dire, je montre ce que je veux montrer. Derrière, on peut choisir de regarder ou pas. D’être confronté à certaines choses ou pas.

Oui, un des personnages est homosexuel, et à travers lui je parle d’une problématique qui me touche profondément aussi. Mais ce n’est pas un film sur l’homosexualité, c’est un film sur l’amour, tout court.

S’il faut parfois du temps, l’essentiel est d’être en mesure d’ouvrir un débat sur les questions qui dérangent, de pouvoir en parler de manière sereine, sans forcément être toujours d’accord les uns avec les autres. Le débat d’idées est indispensable dans une société saine. La tolérance en découle.

     -Est-ce que vos deux longs-métrages sont inspirés de faits réels ?

-Oui complètement. Adam m’a été inspiré par une rencontre réelle avec une jeune femme enceinte de 8 mois qui a tapé à notre porte et que mes parents avaient accueillie alors qu’elle n’avait pas où aller. Elle est restée chez nous jusqu’à son accouchement et au moment de ma grossesse, 17 ans plus tard, est née l’écriture du film Adam.

Idem pour le Bleu du Caftan, qui est né d’une rencontre avec un homme qui m’a beaucoup inspirée, par les non-dits que je ressentais très fort dans sa vie. Des non-dits qui faisaient appel à des choses que j’avais ressenties plus jeune sans savoir mettre les mots dessus.

-Est-ce que la commission du CCM qui distribue les avances sur recettes ne vous a pas demandé de revoir votre script ?

-Pas du tout.

-Sachant qu’elle était connue pour censurer certains scénarios, c’est donc une bonne nouvelle ?

-Je pense que cela montre à quel point nous sommes dans une société qui avance.

-Vous n’avez donc pas changé une seule ligne de votre histoire ?

-Un scénario n’est jamais terminé. Même pendant le tournage, il continue d’évoluer. Mais l’histoire est restée inchangée. Lors de mon audition, les membres de la commission m’ont posé des questions, ont cherché à comprendre pourquoi je voulais faire ce film, ce que je voulais raconter à travers cette histoire… Ils ne m’ont jamais demandé de changer quoi que ce soit. Moi-même, je n’aurais jamais été dans l’auto-censure.

-Y aura-t-il une interdiction aux spectateurs âgés de moins de 12 ans.

-Je ne sais pas. En tout cas, je trouve normal que des films soient parfois interdits en dessous d’un certain âge, que ce soit 13, 16 ou 18 ans, et il faut faire évoluer la législation là-dessus, car certaines histoires de films ne sont pas adaptées à un public très jeune ou familial. Ce que je trouve inacceptable, c’est qu’on empêche un film d’être vu.

-Si votre mari Nabil Ayouch est souvent présenté comme un cinéaste documentaliste de la société marocaine, comment décririez-vous votre propre travail ?

-Mon cinéma est un cinéma de l’intime ; c’est ce que j’aime le plus raconter. Que ce soit dans Adam ou le Bleu du Caftan, il y a peu de personnages et on plonge dans leur vie, dans leur intimité. Pour cela, j’aime me couper du monde et suivre leur l’évolution, l’évolution de leurs rapports, à travers des détails qui n’apparaissent pas forcément au premier abord.

     -Du cinéma d’auteur à la marocaine ?

-J’imagine que oui car ce n’est certainement pas un cinéma commercial.

-Pensez-vous que vos films sont systématiquement sélectionnés dans les festivals étrangers parce qu’ils évoquent des thèmes polémiques propres aux pays en développement ?

-Sachant que les festivals reçoivent des milliers de films, sur des sujets parfois très sensibles, avant d’en sélectionner quelques-uns, ce n’est certainement pas parce que leur contenu est polémique qu’ils seront retenus. C’est mal connaître les sélectionneurs que de penser ça.

La polémique n’est jamais un sujet, et la sélection dans un grand festival se fait uniquement sur les qualités artistiques d’un film.

-Comment définir votre association avec votre réalisateur de mari sachant que vous participez de plus en plus à l’écriture de ses scénarios et vice-versa ?

-C’est en effet très rare dans une vie de pouvoir partager sa passion avec la personne qu’on aime, et c’est un bonheur. On fait les choses ensemble de manière naturelle, sans obligation, parce qu’on aime ça. Et sur le chemin de cette écriture, j’ai eu la chance d’avoir le regard de Nabil à nouveau. Dans son regard, toujours bienveillant, acéré, et sensible, j’ai pu être confronté à moi-même, accompagnée dans l’évolution de mes personnages et de mon histoire, poussée dans mes retranchements…

-Quel est votre regard sur l’état du cinéma marocain caractérisé par des productions commerciales ?

-Je ne pense pas que ce soit propre au Maroc car partout dans le monde, ce ne sont pas les films d’auteur qui marchent le plus, mais un cinéma plus commercial. Si on parle en nombre d’entrées, évidement. Le Maroc ne fait pas l’exception. Il n’y a pas un seul cinéma qui devrait être légitime. Je pense que chaque type de spectateurs doit trouver son bonheur.

-Avez-vous des difficultés à produire vos films ?

-Non car j’ai la chance d’avoir Nabil comme producteur. Il a l’expérience, le professionnalisme, et le savoir-faire pour faire en sorte qu’un film puisse exister. Et ça commence par l’exigence au moment de l’écriture, avant même d’aller chercher les financements. À travers Ali n’ Productions, et Amine Benjelloun, le directeur-général de la boite et coproducteur du film, cela est devenu possible. Moi, de mon côté, je n’ai eu qu’à me soucier de l’artistique. Et ça c’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à un cinéaste.

-Est-ce qu’ils sont "bankables" à l’étranger ?

-Adam a en effet été vendu dans une trentaine de pays dont certains comme le Japon ou l’Australie, où aucun film marocain n’avait jamais été distribué avant… Il a eu une belle vie et a très bien marché dans beaucoup de territoires. Pour moi, ce que cela veut dire, c’est qu’il a pu être vu, rencontrer un public. Le mot ‘bankable’ ne me parle pas vraiment…

-Le fait d’être la première marocaine à avoir été nominée aux oscars américains vous a aidée ?

- J’imagine que c’est le cas, mais en réalité la plupart des ventes d’Adam ont été faites avant… Mais il est évident que les Oscars sont une très belle vitrine et ça permet à mon film d’exister et de voyager…

-Etant une des rares réalisatrices marocaines, comment se passe la cohabitation avec un monde assez patriarcal ?

-Très honnêtement, je n’ai jamais eu la moindre difficulté à faire mes films au Maroc. Il serait peut-être plus facile de dire que c’est bien plus difficile qu’aux Etats-Unis ou ailleurs, mais ça ne serait pas la vérité. Je trouve que le Maroc a fait un vrai progrès sur la question des femmes ces dernières années, et ça continue.

-Avez-vous une idée du prochain film que vous allez tourner ?

-C’est très difficile pour moi de parler d’un projet en gestation. Je ne me pose pas de questions en écrivant, j’aime laisser les choses prendre forme par elles-mêmes, être à l’écoute de ce que je ressens en écrivant. Ce sont toujours des personnages et des histoires qui s’imposent à moi,  jamais le contraire. En ce moment, c’est là où j’en suis. En parler à un stade précoce devient trop concret…

     -Combien de temps prend le processus d’écriture ?

-Cela dépend, environ 18 mois pour Adam et un peu plus pour Le Bleu du Caftan.

     -Peut-on imaginer une coréalisation Touzani-Ayouch ?

-On ne s’est jamais posé la question, mais qui sait, peut-être un jour… Si on en ressent le désir.

     -Quand pourra-t-on visionner Le bleu du caftan dans les salles marocaines ?

-Comme il doit d’abord vivre un peu dans des festivals, ce sera pour fin 2022 ou au plus tard début 2023…

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