Le Agadir culturel de Taha Balafrej
De la célèbre baie à l'incontournable kasbah, en passant par les ruelles plus confidentielles du quartier Talborjt, le fondateur du réseau Connect Institute offre mille et une versions de la capitale du Souss. Le récit de vie de notre guide se mêle intimement à la grande histoire de la ville.
Le Agadir culturel de Taha Balafrej
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Btissam Zejly et Mouad Jamali Idrissi
Le 14 avril 2022 à 11h18
Modifié 29 avril 2022 à 13h44De la célèbre baie à l'incontournable kasbah, en passant par les ruelles plus confidentielles du quartier Talborjt, le fondateur du réseau Connect Institute offre mille et une versions de la capitale du Souss. Le récit de vie de notre guide se mêle intimement à la grande histoire de la ville.
Quand Médias24 propose à Taha Balafrej de raconter sa ville à travers les lieux qui lui semblent les plus représentatifs, il accepte sans hésiter. Il nous confiera plus tard avoir trouvé « cette formule intéressante. Elle permet d’ouvrir des perspectives. Car il ne s’agit pas de présenter les lieux pour ce qu'ils sont, mais d’aller plus loin en abordant la relation avec ces lieux ». Et d'enchaîner : « Il y a deux choses dans la vie : tu exploites et/ou tu explores. Et quand non seulement tu exploites mais tu explores, tu exprimes et tu expliques aussi, cela devient plus cohérent. »
Taha Balafrej, qui s'y est établi définitivement après son départ à la retraite, revendique un Agadir authentique que l’on s’approprie, avec qui on fait corps, pas celui des « cartes postales » qui ne lui suffit pas. Natif de la station balnéaire, il estime nécessaire de trouver une utilité à « la carte postale ».
« Même la plage peut devenir un lieu de culture. Je sais, vous vous dites que je suis un Ayatollah de la culture », nous lance-t-il en souriant. Certes, la culture est son cheval de bataille, son dada, sa passion. Avec l'inauguration du Connect Institute il y a neuf ans, l’ancien professeur universitaire de mathématiques donne vie à un projet dont la phase de maturation a duré près de quarante ans. A 63 ans, il peut s’enorgueillir de l’avoir en partie réalisé. En évoquant l'institut, il estime modestement avoir obtenu « quelques résultats assez positifs. Ce n’est pas fini, nous n’avons pas encore atteint nos objectifs, mais nous y travaillons ». D’ailleurs, il nourrit de grandes ambitions, aussi bien pour le réseau de centres dédiés à l’accompagnement des jeunes par la culture que pour sa ville natale.
La région est aujourd’hui le théâtre de nombreux chantiers de développement, de réhabilitation et de remise à niveau, qui incluent des sites patrimoniaux telle la Kasbah ou culturels comme la Coupole. Des projets qui favoriseront à terme le renouveau de la ville en renforçant son attractivité. « C’est bien de restaurer des lieux, de les réhabiliter, de leur donner une seconde vie, mais il faut que ce soit fait en symbiose avec la population. Il ne faut pas qu’il y ait un fossé entre l’utilisateur et le lieu historique ou culturel », met-il en garde.
La visite d'Agadir avec Taha Balafrej commence là où il passe le plus clair de son temps, dans l'institut. Un centre qui se veut un lieu d’échange, de sociabilisation et de rencontre entre les jeunes de la région, autour de la culture et de l’éducation. De nombreux artistes et personnalités, intéressés par le projet, interviennent régulièrement auprès des jeunes sur des sujets ayant trait à l'art et à la création.
En suivant notre guide dans cette exploration de la ville, nous atteignons notre deuxième étape : la Coupole, célèbre bijou architectural de la période post-tremblement de terre de 1960. Un site qui fait le lien entre le passé et l’avenir puisque cet ancien marché de gros, en cours de réhabilitation, va devenir un centre culturel et gastronomique. On ne peut visiter la Coupole en travaux mais, grâce à la description passionnée qu'en fait Taha Balafrej, nous nous projetons aisément dans le futur.
Notre hôte nous conduit ensuite à la forteresse des Saâdiens, Agadir Oufella, un lieu incontournable. Au sommet de la colline et en tournant le dos à la forteresse (à plus de 230 mètres au-dessus du niveau de la mer), la vue est imprenable sur la baie et la marina.
L’après-midi, nous déambulons dans le dédale des ruelles du quartier Talborjt pour atteindre 'a must visit' aux yeux de Taha Balafrej : Moul Sfenj. C’est là où, "depuis trente ans au moins", il déguste les célèbres beignets accompagnés d'un verre de thé à la menthe. La virée gadirie se termine en beauté sur la célèbre corniche d’Agadir. Pour admirer l’étiolement du jour dans la ligne de fuite dessinée par l’Atlantique, c’est l’emblématique Café Jour et Nuit qui nous accueille le temps d’un dernier 'noss-noss'… et de quelques confidences.
Connect Institute, la villa magique
« A partir de l'institut à Agadir, nous avons développé des centres dans sept villes différentes. Les jeunes de cette ville profitent de ce lieu pour apprendre et développer diverses compétences. Ils se déplacent pour échanger avec leurs camarades d'ailleurs, et ceux des autres villes viennent aussi pour échanger et créer une communauté basée sur la connaissance, la culture, les valeurs et surtout l’amour de ce pays. Nous avons ici même, dans la villa, plusieurs espaces dédiés à la création, l’apprentissage et l’échange (une salle de projection, de montage et de musique ; un atelier de création artistique équipé d’une imprimante 3D ; différents espaces dédiés aux ateliers de lecture et d’écriture, agrémentés de plusieurs bibliothèques ; une grande salle où ont lieu les rencontres avec les intervenants du centre [artistes, auteurs, écrivains, universitaires…]. L’art y est partout : installations, sculptures, tableaux, artisanat ethno-chic, objets de curiosité… ndlr). (Voir aussi vidéo : Taha Balafrej, "Pourquoi je me suis installé à Agadir")
"Ce pays a besoin de cette jeunesse et vice-versa. Nous créons ici les conditions pour que cet endroit soit un lieu de changement et de liberté. Nous essayons de donner les clés aux jeunes pour aimer ce pays et y trouver leur place, et développer des compétences utiles à eux-mêmes et à leur pays.
"A la fin de ma carrière, j’ai créé ce lieu où ce que je souhaite partager peut être partageable. Quand on a envie de faire les choses, et qu’on le fait sérieusement, cela marche. Il n’y a pas de mystère. Cet endroit est un message d’espoir et de preuve par la réalité qu’un changement est possible à travers la culture et une méthodologie alternative d’apprentissage, pour qu’on puisse sortir enfin du défaitisme, de l’obscurantisme et du repli. Les jeunes viennent ici pour acquérir des outils qui, demain, les aideront dans les choix qu’ils feront au cours de leur vie.
"Quand les intervenants et les jeunes des autres centres viennent ici et voient cet endroit, ils ont toujours du mal à repartir. Et vous allez voir, cela va être votre cas aussi… »
La Coupole, un « retour vers le futur »
« La Coupole (située dans l’ancien quartier industriel et construite de 1964 à 1965, ndlr) est un lieu emblématique de la ville d’Agadir qui fait le lien entre le passé, le présent et le futur. C’était la halle des fruits et légumes. Il y avait les étals, il y avait aussi des boutiques pour emmagasiner la marchandise. Mais comme on peut le voir, c’est trop petit pour une ville qui n’arrêtait pas de croître après le tremblement de terre.
"Après la catastrophe, il y a eu tout une dynamique impulsée par de grandes signatures de l’architecture venues du monde entier, surtout de France et de Suisse. A cette époque, chacun a contribué bénévolement à offrir des bâtisses architecturales. Parmi ces objets architecturaux, il y avait le marché de gros qui contenait cette Coupole (un bijou architectural qui repose sur trois points seulement, imaginé par les deux architectes Pierre Coldefy et Claude Verdugo, et l’ingénieur-conseil Stéphane Duchateau, ndlr).
"Ce bâtiment, y compris la Coupole, est resté pendant des années sans usage particulier. Une partie du bâtiment avait servi à abriter quelques associations, le conservatoire de musique... Mais les jardins et tous les autres espaces ont été délaissés.
"Quand j’habitais à Agadir du temps où j’étais professeur à l’université, je venais ici pour attendre ma fille qui prenait des leçons de solfège et de piano. C’était entre 1990 et 1993. Et je me disais que c’était quand même dommage que cet espace ne soit pas exploité autrement. J’avais même écrit un article (paru en 1995) dans la revue d’une association que j’avais créée pour proposer de transformer ce lieu en espace culturel, à l’image de ce qui se fait en Europe.
"Le temps est passé, j’ai quitté la ville, j’ai travaillé au ministère de l’Environnement, à OCP, etc. Et à la fin de ma carrière, quand je suis revenu à Agadir, j’ai remis le sujet sur la table, surtout auprès du wali (Ahmed Hajji, ndlr) qui venait d’être désigné, et qui a beaucoup aimé l’idée. Il s’est engagé et a inclus la Coupole dans les programmes de rénovation et de développement urbain de la ville. Cela fait partie des projets pour lesquels un budget et des financements ont été mis en place. C’est parti à l’origine d’un vœu personnel qui a fini par se réaliser. Il y a le hasard, la persévérance, la chance, les rencontres qui font que les projets aboutissent.
"Le projet est programmé pour fin mai 2022. Mais il y a, comme pour tous les projets de bâtiment, une petite marge d’incertitude.
"Ce lieu va donc être reconverti en un lieu de culture et d’art culinaire. C’est un endroit où tous les jeunes talentueux trouveront un espace pour s’exprimer et participer à l’animation de la ville. Et on est en train de les préparer pour que le jour de l’ouverture de la Coupole, ils en prennent possession. C’est une expérience unique au Maroc. »
La Kasbah, citadelle sentinelle
« Quand j’étais jeune, je montais la pente d’Agadir Oufella (Oufella en amazigh veut dire 'en haut', ndlr) à bicyclette (aujourd’hui le trajet se fait en voiture, ndlr). Et dans certains virages difficiles, j’étais parfois tenté de rebrousser chemin. S’engageait alors un dialogue intérieur pour décider si je continuais la montée ou si je devais plutôt redescendre. Et là il fallait faire preuve d'une certaine volonté de se dépasser pour continuer sur sa lancée.
"L’attachement que j’ai pour cette cité est d’abord familial. Bien que je sois né dans le quartier L’batoir, mes parents ont vécu dans le quartier d’Agadir Oufella. C’était donc un lieu de vie. Il a été complétement détruit. Normalement, on ne reconstruit pas dans les zones qui ont connu des secousses, comme ce fut le cas en 1960. La partie non construite de la colline est celle détruite par le tremblement de terre.
"Mais si on veut aborder la grande histoire de la Kasbah, on peut rappeler que c’est une forteresse construite du temps des invasions portugaises à répétition, lorsque ces derniers cherchaient à s’installer dans les ports et les lieux maritimes comme Asilah, Mazagan, Essaouira, et bien entendu Agadir.
"La Kasbah avait jadis cette fonction de protection contre les envahisseurs et, au lendemain du tremblement de terre, elle a été complètement abandonnée. Il n’y avait plus de vie... que des gens qui venaient visiter les vestiges. Et il y a deux ans, dans le cadre du programme de développement urbain, on a assisté à une prise de conscience quant à l’importance de l’histoire, de l’archéologie et du patrimoine.
"Les vestiges des remparts qui entouraient la cité sont aujourd’hui en cours de réhabilitation. Des fouilles y sont menées, et des découvertes ont été faites récemment (le portail de la Kasbah qui date de l'époque des Saâdiens au XVI siècle, ndlr).
"Et à l’avenir, un téléphérique, dont les travaux sont déjà lancés, amènera les visiteurs du port. Agadir Oufella n’est pas un quartier comme les autres. C’est le plus ancien d’Agadir puisqu’il date du XVe siècle. Sans parler de sa position privilégiée, puisqu'il offre une vue sur la mer et sur l’ensemble de la ville. Et quand il fait beau, on a une visibilité qui s’étend jusqu’à l’embouchure de l'oued Souss. »
Chez Moul Sfenj, la madeleine de Taha Balafrej
« Avant d’arriver à notre destination, on rejoint l’esplanade de la mosquée Mohammed V du quartier Talborjt (entre l'avenue du président Kennedy et celle du 29-Février, ndlr). C’est dans le quartier Talborjt ('petite tour' en amazigh) que sont venus se loger les gens après le tremblement de terre. C'est un dédale de petites ruelles perpendiculaires. J’aime bien venir marcher ici. J’ai pour habitude d'emprunter plusieurs petites rues et de déambuler. Il n’y a rien de spécial ici, mais je m’y sens bien. Ce sont des ruelles sans prétention. Parfois, il faut s’inventer son propre patrimoine. J’aime beaucoup explorer ces petits labyrinthes. Il faut rappeler que c’est un quartier qui a fait la ville d’Agadir, comme celui de L’batoir.
"Ici, il y a un cinéma (Sahara, ndlr) qui est en cours de réaménagement, dans le cadre du même programme de développement urbain que celui de la Coupole. Il était tombé en ruine et, aujourd’hui, il est en train d’être refait.
"Le sfenj, au-delà du lieu qui le sert, est unique. Il y a évidemment les churros espagnols, les beignets français, les donuts américains, etc. Mais sfenj, c’est totalement autre chose. D’ailleurs, on sent l’odeur du sfenj avant même d’y arriver, vous l’avez remarqué ? Le lieu est populaire. Cela fait au moins trente ans, sinon plus, que je viens ici. Zeroual, qui prépare sfenj depuis plus de dix ans ici, est le troisième à prendre le relais de la poêle à frire. Il s’est spécialisé, il ne fait que ça et il le fait très bien. Quant à Abderrahmane, qui prépare le thé à la menthe, il est là depuis… toujours. Avant le Covid, cette salle de service était tout le temps pleine de touristes, de locaux aussi. Et l’après-midi, il y a souvent la queue devant.
"Ce que je trouve aussi intéressant dans un lieu comme Moul Sfenj, c’est qu’on ne peut pas le trouver en faisant une simple recherche sur Google comme pour les autres endroits connus d’Agadir (a contrario, les taxis de la ville d’Agadir, eux, connaissent très bien cette adresse, ndlr). »
« La plus belle baie du monde »
« Cette baie est à mon avis la plus belle du monde. J’ai déjà été à l’île Maurice, en Afrique du Sud, à Hawaï, Tokyo, Dubaï, Abou Dhabi… et à chaque fois, je comparais avec la baie d’Agadir. Eh bien, je trouve que celle d’Agadir est la plus belle. C’est mon droit.
"D’abord, elle s’étend sur cinq kilomètres à partir de la Marina, et elle est bien dessinée. C’est idéal pour la promenade et le sport. Sur la plage, il y a un sable fin incomparable. L’autre particularité de cette baie est qu’il n’y a pas de voitures qui passent. Donc, l’air n’est pas pollué, il n’y a pas de bruit de voitures et de la circulation. Les baigneurs et les marcheurs en profitent en toute tranquillité, contrairement à d’autres corniches. Il y a une séparation entre la route en haut, et tout ce qui est plage et passage piéton en bas. C’est particulièrement bien conçu.
"A Agadir, on trouve cette relation entre la mer et la montagne, ce face à face ou ce dialogue. D’un côté, on trouve la plage et, de l’autre, les collines qui la surplombent. On peut dire que la plage regarde la forteresse (la Kasbah), et vice-versa. C’est comme à Barcelone où il y a le Montjuïc et, en bas, le port et la plage. A Cap Town aussi, on trouve ces mêmes paysages, entre montagne et mer : the Table Mountain (la montagne de la table, ndlr) et la plage. A Hawaï, il y a le Diamond Head (tête de diamant, ndlr), en dessous il y a la plage. A Agadir, nous avons tout cela aussi. »
Savourer le coucher de soleil au café Jour et Nuit
« Sur la corniche se trouve ce qui est historique. Son premier propriétaire possédait le café du même nom à Rabat. J’aime bien m’installer ici de temps à autre pour admirer le coucher de soleil devant un verre de thé ou une tasse de café, tout en profitant de la magnifique vue sur la plage. Aujourd’hui, le ciel est nuageux, on ne voit pas vraiment le soleil qui se couche, mais c’est tout aussi beau. C’est différent. Je trouve que c’est même plus intéressant. Quand on est dans ce café, on n’est pas perturbé par le bruit de la ville et de la circulation. Et c’est encore mieux tôt le matin, quand il y a peu de monde sur la corniche. C’est idéal pour prendre son café en toute tranquillité et s'accorder un temps de réflexion. »
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Btissam Zejly et Mouad Jamali Idrissi
Le 14 avril 2022 à 11h18
Modifié 29 avril 2022 à 13h44