La suspension des exportations de tomates révèle les défaillances de la distribution intérieure

Face à la hausse du prix de la tomate sur le marché national, le gouvernement a limité les exportations marocaines. Une décision critiquée par les producteurs, pour lesquels les exportations subventionnent le consommateur marocain en temps normal.

La suspension des exportations de tomates révèle les défaillances de la distribution intérieure

Le 15 mars 2022 à 16h48

Modifié 15 mars 2022 à 17h45

Face à la hausse du prix de la tomate sur le marché national, le gouvernement a limité les exportations marocaines. Une décision critiquée par les producteurs, pour lesquels les exportations subventionnent le consommateur marocain en temps normal.

La hausse du prix de la tomate a levé le voile sur l’un des secteurs agricoles les plus performants à l’export. Le citoyen marocain, habitué à une tomate bon marché, dont le prix varie de 3 DH à 7 DH d'ordinaire, s’est retrouvé à devoir payer 13 DH le kilo. La décision de limiter l’exportation a fait réagir les exportateurs, qui rappellent que sans les marchés extérieurs le citoyen payerait bien plus cher.

L’un des producteurs de la région d’Agadir, qui a accepté de nous parler sous couvert d’anonymat, nous explique que le coût "sortie de ferme" pour le producteur le plus performant est de 3 DH/kg au minimum ; alors que la moyenne du prix de vente au marché de gros d’Inezgane, pour les cinq dernières années, était de 1,50 DH/kg. Le producteur vend donc à perte sur le marché national.

Comment les producteurs font-ils pour s'en sortir ? C’est précisément parce qu’une partie de la production est exportée vers des marchés plus rémunérateurs. L'export ne peut donc être pénalisé, puisque ce sont ces marchés qui subventionnent indirectement le prix au Maroc. "D’autant plus qu’il s’agit de relations de confiance entre importateurs et exportateurs ;  il est donc dangereux de rompre du jour au lendemain ces relations, de façon aussi imprévisible", s’offusque notre interlocuteur. De plus, la décision de limiter l'exportation fait apparaître les producteurs comme étant responsables de la hausse du prix de la tomate, alors qu'il n'en est rien selon lui.

La tomate sous serre nécessite des investissements importants

Selon lui, il faut distinguer entre les producteurs du Nord qui cultivent la tomate de saison en plein champ, de ceux qui la cultivent sous serre dans le Sud. Ces derniers produisent une tomate primeur, plantée vers les mois de juillet et août, et qui commence à produire dès octobre jusqu’au mois d’avril.

Ce genre de culture nécessite des investissements très lourds, selon notre source. Les serres canariennes en bois coûtent environ 500.000 DH l’hectare, sachant que l’agriculteur doit encore investir dans d’autres installations comme le puits, le bassin, la station d’irrigation, la station de traitement, les installations d'hygiène pour les ouvriers, etc. On ne peut pas investir dans de tels équipements pour de petites surfaces. C’est ce qui tire également le prix de revient vers le haut.

Le spéculation des intermédiaires fait flamber les prix

Cette semaine, les prix sur les marchés marocains varient entre 10 DH et 13 DH. Sur le marché de gros de Casablanca, à la date du 9 mars, les prix variaient entre 6 DH et 8,5 DH. Tandis que l’agriculteur vend sur le marché de gros d’Inezgane entre 4 DH et 6 DH, comme nous le confie notre source.

La cause de cette hausse résulte d'une offre insuffisante. Cela permet à l’agriculteur de réaliser, exceptionnellement, des profits sur le marché marocain. Mais entre le prix de vente sur le marché de gros et le prix de la tomate dans le panier de la ménagère, la différence est considérable.

D’après lui, c’est la multitude des intermédiaires sur le circuit de la distribution des fruits et légumes qui est en cause. Avec la pression constatée sur l’offre, les intermédiaires en ont profité pour spéculer, ce qui a conduit à cette hausse des prix.

L’offre se réduit pour des causes conjoncturelles, mais aussi plus structurelles

Notre interlocuteur ne comprend pas comment on peut pénaliser l’agriculteur sur ses exportations, alors que c’est le circuit de distribution qui est en cause. Même s’il admet que les prix à l’export en Europe sont très intéressants, il ne pense pas que ce soit le véritable motif de la rareté de l’offre. Preuve en est que les exportations ont augmenté de 25% en janvier dernier, sans que cela n’impacte les prix qui sont restés en dessous de 1,50 DH sur le marché de gros d’Inezgane.

Il ne pense pas non plus que la cause soit une hausse de la demande liée au mois de ramadan, car d’habitude celle-ci ne se ressent qu’une semaine avant le début du mois sacré, quand la ménagère commence ses préparatifs.

Pour lui, c’est une baisse de l’offre. Elle a, d’une part, un caractère conjoncturel car elle est liée à une régression de la productivité. Et elle est, d’autre part, structurelle, car face à la forte concurrence sur le marché européen et à la pression sur le calendrier, plusieurs producteurs ont commencé à se reconvertir dans d’autres cultures, comme les tomates segmentées (cerise, cocktail, divette, etc.) ou encore les fruits rouges.

Un circuit de distribution à réformer

Pour ce producteur, il faut que le Maroc se dote d’une bourse des primeurs, afin de faciliter l’accès à l’information et d'établir plus de transparence sur les prix. Il recommande également plus de régulation dans les circuits de distribution au niveau des différents intermédiaires.

Pour lui, il faudrait aussi œuvrer à la normalisation et à la standardisation, car le consommateur marocain gagnerait à connaître ce qu’il achète en termes de qualité, de calibrage, etc. En effet, tout ce qui peut réduire l'incertitude liée au manque d'information sur le marché est à même de contribuer à sa structuration et de résoudre ce genre de problèmes auxquels on est confronté aujourd’hui.

D’ailleurs, un avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) publié en février dernier, pointe les nombreux dysfonctionnements du circuit de commercialisation des produits agricoles au Maroc.

Ce rapport insiste sur les effets négatifs de la multiplicité des niveaux d’intermédiaires dans ce secteur. En effet, il existe des ramasseurs, collecteurs, courtiers, grossistes, demi-grossistes, organismes de stockage frigorifique, organismes coopératifs, détaillants, grandes surfaces, etc. 

Le CESE propose, dans ses recommandations, de miser sur la digitalisation, notamment en développant de nouveaux modèles de circuits courts, et de réformer les espaces de commercialisation de façon à éviter la spéculation et la multiplication des intermédiaires.

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