Réduction de la durée de formation en médecine : ce qu’en pensent les spécialistes

Une mobilisation nationale a été lancée pour mener à terme le projet de révision de la durée de formation en médecine. Considérée par les professionnels du secteur comme une opportunité et un pas décisif vers la refonte du système de santé, une telle réforme n’est envisageable qu’à certaines conditions.

Réduction de la durée de formation en médecine : ce qu’en pensent les spécialistes

Le 21 février 2022 à 14h20

Modifié 21 février 2022 à 16h31

Une mobilisation nationale a été lancée pour mener à terme le projet de révision de la durée de formation en médecine. Considérée par les professionnels du secteur comme une opportunité et un pas décisif vers la refonte du système de santé, une telle réforme n’est envisageable qu’à certaines conditions.

Dans une note interne envoyée aux présidents des universités publiques, le ministre de l’Enseignement supérieur, Abdellatif Miraoui, a évoqué la possibilité de réduire la durée de formation en médecine de sept ans à six ans.

"C’est un projet sur lequel on travaille en collaboration avec le ministère de la Santé et le chef du gouvernement," nous a indiqué une source autorisée au sein du ministère de l’Enseignement supérieur. Et d’ajouter : "Le réseau des doyens des facultés de médecine, de médecine dentaire et de pharmacie, étudie également ce projet de révision. Leurs rapports et recommandations sont indispensables à sa réussite."

D’après la note interne, le ministère de la Santé mise sur la réduction de la durée de formation en médecine pour combler le déficit en personnels de santé dans le pays. "Les études médicales durent huit ans et non pas sept. Ce n’est qu’à la fin de la 7e année que l’étudiant prépare sa thèse. Et en général, les soutenance ne se déroulent qu’à la 8e année", précise le Pr Ismaili Nadia, enseignante à la faculté de médecine et de pharmacie de Rabat et vice-présidente du Conseil national de l’ordre des médecins du Maroc (CNOM).

Et de poursuivre : "Réduire la durée de la formation serait très intéressant car la soutenance se passera à la fin de la 6e année et au début de la 7e, le lauréat sera déjà médecin. Et une année supplémentaire, c’est une promotion de plus pour chaque faculté. Cela peut nous aider à atteindre un ratio de médecin par habitant acceptable et qui répond aux normes de l’OMS."

Si l’on se fie au chiffre de 2019, l’Organisation mondiale de la santé recommande un minimum de 23 professionnels de santé pour 10.000 habitants. Au Maroc, il y a 16 professionnels pour 10.000 hab. Une pénurie de ressources humaines estimée par le ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, à 32.000 médecins et 65.000 infirmiers.  En même temps, les universités n'en forment que 1.900 par an. En décalage avec la stratégie adoptée en 2007 visant la formation de 3.300 médecins annuellement, un objectif qui n'a jamais été atteint.

Former plus d'enseignants

Pour le Pr Ahmed Rhassane El Adib, enseignant en médecine et coordinateur de la commission pédagogique à la Faculté de médecine et de pharmacie de Marrakech, le projet de révision de la durée des études en médecine "est une opportunité comme tout changement. Il y a plusieurs enseignants et doyens qui sont favorables à ce projet, comme c’est le cas dans la plupart des pays européens (France, Belgique, Italie, Allemagne)," souligne-t-il. Mais les écueils sont multiples et les mesures d'accompagnement indispensables.

Ainsi, l’augmentation du nombre d’étudiants en médecine doit être précédée d’une hausse du nombre d'enseignants. "Ce projet de révision pourrait permettre de refondre le programme pédagogique en fonction des besoins, en passant à une approche par compétences. Mais aussi d’accélérer la formation des cadres avec de nouvelles normes", assure le Pr Adib.

En effet, "le premier challenge est d'augmenter le nombre d'enseignants, car on a énormément de départs à la retraite et de départ volontaire. Il y a aussi beaucoup de démissions à cause des conditions et des contraintes universitaires, et celles de la fonction publique qui n’ont pas évolué", complète le Pr Nadia Ismaili, exprimant un avis d’expert. Un avis qui n’engage pas le Conseil national de l’ordre des médecins marocains. Contacté, le CNOM n’a pas souhaité faire de commentaire.

La formation d’enseignants compétents, à même de former des générations de médecins, dure plusieurs années. C'est pourquoi le Pr Ismaili préconise "d’ouvrir, dans l’immédiat, de nouveaux postes pour des professeurs assistants. Car pour devenir enseignant en médecine, il faut d’abord passer le concours de professorat d’assistanat, puis un certain nombres d’années d'exercice avant de devenir professeur agrégé et expert dans sa discipline".

Combler le déficit de stages

"En supposant que le nombre d'étudiants double ou triple d’ici à 2035, les amphithéâtres seront assez grands pour les accueillir, contrairement aux parterres de stages qui ne vont pas du tout changer. Ils risquent même d'être réduits puisque, dans les schémas des nouveaux CHU, il y a une réduction du nombre de lits, et les services seront compactés, notamment au CHU de Rabat", s'inquiète la vice-présidente du CNOM.

Étendre les stages aux hôpitaux périphériques est une possibilité. Mais mettre à contribution les compétences disponibles dans les différents hôpitaux régionaux et les centres de santé implique des formations d’accompagnement. "Avec tout mon respect pour les collègues qui sont certainement très compétents, peu ont le sens de la pédagogie", souligne notre interlocutrice.

Elle insiste également sur une formation qualitative, avec des normes strictes afin de maintenir la qualité des médecins marocains, reconnus de par le monde ; "la preuve en est que 700 à 1.000 médecins quittent le Maroc chaque année pour aller en Allemagne et dans d’autres pays".

Motiver les enseignants et les jeunes

L'adhésion et l’implication de tous les acteurs dans cette réforme est essentielle. En premier lieu, les enseignants en médecine. Recherche scientifique, soins et transmission du savoir sont autant de tâches qui leur incombent simultanément. D’où l'intérêt de les motiver financièrement. "Surtout que leurs salaires sont gelés et n’ont pas augmenté depuis 2010 ou 2011", regrette le Pr Ismaili.

En augmentant l’effectif des étudiants, et donc la charge de travail, il y a le risque de voir un nombre important d’enseignants intégrer le secteur libéral. Mais, pour cela, encore faut-il que le cursus en médecine garde son pouvoir d’attraction.

Outre les motivations d’ordre scientifique, ou celles liées à l’épanouissement et à la valorisation morale, le côté pécuniaire n’est pas moins essentiel ; "on n’aura pas de médecins qui accepteront d'être payés à 7.000 ou 8.000 DH par mois après six ou sept ans de métier", alerte le Pr Nadia Ismaili.

La réduction de la durée de formation en médecine est également source d'inquiétude. La communauté médicale marocaine s’interroge sur la valeur du doctorat. Une problématique d’actualité, car les doctorants en médecine éprouvent de nos jours un sentiment d’injustice.

"Le doctorat en médecine a moins de poids côté fonction publique, en comparaison d'un doctorat en droit ou en science. C’est une aberration si l’on compare les années d’études qui sont supérieures dans le cadre d’un doctorat en médecine" signale le Pr Nadia Ismaili.

Impliquer les facultés de médecine privée

En s’abstenant de citer les facultés privées de médecine dans ladite note interne, le ministère de l’Enseignement supérieur s’est privé de ressources essentielles, d'après les professionnels du secteur de la santé.

D’abord, pour former plus d'étudiants en médecine. Puis pour disposer d'un réel vivier de stages. “Il faut absolument qu’il y ait des passerelles entre les facultés publiques et privées dans le sens des stages. On forme tous un médecin marocain. Une réflexion dans le sens de l'homogénéité doit être entamée, et qu’il n’y ait pas une différence de formation d’une faculté à une autre. La seule différence entre nos facultés devrait être les pôles d’excellence”, espère le Pr Nadia Ismaili.

Dans un sens plus large, le Pr Ahmed Rhassane El Adib estime que la révision de la durée du cursus de formation en médecine offrirait la possibilité d’avoir des universités des sciences de la santé avec des troncs communs. "Aujourd’hui, les infirmiers, les kinésithérapeutes et les médecins étudient chacun dans son coin et, du jour au lendemain, ils se retrouvent dans un système où ils doivent collaborer. Alors que le moule n’est pas uniforme et homogène."

Un souci d'homogénéité primordial, au même titre que celui d’éviter de tomber dans le piège "d’une réforme qui n'en est pas une. C'est-à -dire du colmatage de brèche avec des décisions hâtives. Il vaut mieux prendre son temps pour trouver des solutions pérennes plutôt que d’aller vers des idées qui pourraient être très bonnes, mais mal exécutées" insiste le Pr Nadia Ismaili. Et de conclure : "C'est maintenant aux politiques de nous offrir les garanties et les conditions nécessaires pour le succès de cette réforme qui doit être pensée à moyen et long terme."

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