Affaire Pegasus : Une semaine agitée pour le Maroc

ROUND UP. Salve médiatique contre le Maroc, accusé puis accusateur dans "l'affaire Pegasus". Un conseil de défense et une enquête judiciaire en France. D'anciens espions qui minimisent ou relativisent la portée des révélations.

Affaire Pegasus : Une semaine agitée pour le Maroc

Le 25 juillet 2021 à 18h33

Modifié 26 juillet 2021 à 10h26

ROUND UP. Salve médiatique contre le Maroc, accusé puis accusateur dans "l'affaire Pegasus". Un conseil de défense et une enquête judiciaire en France. D'anciens espions qui minimisent ou relativisent la portée des révélations.

L'accalmie de ce week-end tranche avec la tempête médiatique accompagnant, tout au long de la semaine, la série de révélations liées au "Projet Pegasus". C'est le nom d'une enquête journalistique coordonné par Amnesty International et Forbidden Stories. Un consortium de 17 médias internationaux (Washington post, The Guardian, Le Monde etc.) affirme avoir accès à des milliers de numéros de téléphones potentiellement ciblés ou piratés par Pegasus, logiciel espion développé par NSO, entreprise israélienne de cybersécurité.

Pegasus est un outil qui permet d'accéder et d'extraire, à distance, les données d'un smartphone, tablette et autres mobiles. Créée pour contrer le terrorisme et le crime organisé, cette « arme numérique » a été utilisée par des États « contre des journalistes, des avocats, des militants et des responsables politiques de nombreux pays, dont la France », nous dit Le Monde, membre du consortium. Le journal évoque un « outil de surveillance de masse », des  « violations répétées des droits de l’homme » et « un système mondial d’espionnage ».

Au cœur de ce système, une dizaine d’États, dont le Maroc, sont identifiés comme des clients de NSO et utilisateurs de son logiciel.

Le cas du Royaume semble accaparer l’attention de la presse française, à commencer par Le Monde. Depuis le 18 juillet, on compte pas moins de 17 articles titrés sur le Maroc, ou le citant avec plus ou moins d’insistance, dans "le quotidien français de référence".

Avec une dizaine de publications, certaines particulièrement virulentes, Mediapart n’est pas en reste. Deux de ses journalistes, dont le fondateur Edwy Plenel, sont présentés comme ayant été visés par les services marocains.

50.000 numéros ciblés, 10.000 par les services marocains ?

Au total, le consortium énumère plus de 50.000 numéros « sans qu’on sache quelle part a effectivement été pénétrée », note le journal Le Monde.

La liste des numéros n’a pas été rendue publique. A ce stade, seuls des noms de certains titulaires ont été dévoilés. Il s’agit principalement de personnalités de la sphère politique ou médiatique.

Sur les 50.000 numéros recensés, Forbiden Stories attribue 10.000 au listing marocain, dont 6.000 numéros localisés en Algérie qui serait « très surveillée par le Maroc ».

Selon différents articles du consortium que nous avons compilés, ces 50.000 numéros figurent sur une liste communiquée par un lanceur d'alerte dont l'identité n'a pas été révélée. Sur les 50.000 numéros, un millier de numéros ont été authentifiés par le consortium comme appartenant bien à telle ou telle personne. 67 smartphones ont été examinés physiquement; 37 d'entre eux se sont avérés avoir été ciblés et 23 ont effectivement été infectés selon les mêmes sources.

Sur ce site, l’ONG dresse les noms de 33 personnalités dont les smartphones ont, selon elle, été espionnés, ou, du moins,  ont intéressé les autorités marocaines. A rappeler que des noms publiés en début de semaine ont été supprimés. Le consortium n’a pas donné d’explications à ce sujet.

Il s’agit d’un « petit échantillon des numéros marocains sélectionnés pour le ciblage », lit-on dans la note introductive. « Apparaître sur la liste n'indique pas que cette personne a été définitivement piratée, mais au minimum, cela suggère qu'elle présentait un intérêt pour le client du groupe NSO – selon toute vraisemblance, le gouvernement marocain », insistent ses auteurs.

Parmi les noms publiés, on retrouve essentiellement des journalistes marocains, français ou espagnols. Mais aussi, surtout, des Chefs d’Etat comme le Roi Mohammed VI. Des articles parus sur France Info ou Le Monde suggèrent, sans l’affirmer, qu’il ait pu être surveillé par ses propres services. NSO a démenti cette information.

Conseil de défense, enquête du parquet de Paris

Le numéro de téléphone du président français fait également partie du lot. Le consortium cite Emmanuel Macron comme cible potentielle du logiciel Espion. Ce dernier a réuni, ce 22 juillet, un conseil de défense exceptionnel. Il s’agissait de faire « un point d’étape » sur les investigations lancées dès la publication de l’information deux jours plus tôt.

Pour l’heure, les faits n’ont pas été avérés. En attendant, des mesures de précaution ont été prises (changement du numéro et du portable du président, nouveau protocole de sécurité etc.).

Le 20 juillet, le Procureur de la République (parquet du tribunal judiciaire de Paris) a annoncé l’ouverture d’une enquête suite à la saisine des deux journalistes de Mediapart, se disant victimes d’espionnage. Si dans de nombreux articles, le site d’investigation cite nommément les services marocains comme responsables, la plainte a été déposée contre X.

Le parquet devra élucider les faits « d’accès et maintien frauduleux dans un système automatisé de données », « d’atteinte à l’intimité de la vie privée » ou encore  « d’installation d’appareil permettant de réaliser des interceptions de correspondances » etc.

La contre-offensive pénale du Maroc

“La justice est là précisément pour vérifier les accusations à l’aune des preuves matérielles et tangibles. Certaines personnes ont choisi cette voie. Elles y feront valoir les preuves qu’elles ont, ou n’ont pas”, a réagi le ministre marocain des affaires étrangères Nasser Bourita, interviewé par le magazine Jeune Afrique (le 22 juillet).

Le Maroc dément catégoriquement l’usage de Pegasus ainsi que tout rapport avec NSO. Et estime faire l’objet d’une campagne de diffamation organisée et à l’échelle internationale.

Le Royaume n’en est pas resté au démenti. A Rabat, le procureur général du Roi a ouvert une enquête sur "les allégations et fausses accusations" visant "des institutions nationales".

Via son avocat Olivier Baratelli, deux citations directes ont été déposées contre Forbidden Stories et Amnesty International au tribunal correctionnel de Paris.

« 17 approximations ne font pas une certitude », a lancé l’avocat sur le plateau de BFMTV, mettant en doute l’enquête du consortium. Le Maroc « est en mesure d’affirmer clairement » qu’il « n’a jamais eu de liens contractuels ou commerciaux » avec NSO. Il « n’a jamais fait appel » à cette société « et n’a jamais utilisé le logiciel Pegasus », assène le juriste.

Invité de Médi1 TV, l’avocat détaille davantage la teneur de la procédure judiciaire. Les deux ONG sont  « à l’origine de cette supercherie internationale (…)  Leurs représentants devront répondre de cette infraction pénale [diffamation] le 8 octobre prochain », explique Me Baratelli.

« A partir du moment où on délivre une citation en correctionnelle à l’égard de quelqu’un, celui-ci dispose d’un délai de dix jours pour apporter les preuves qui lui auraient permis d’affirmer ce qu’il affirme », poursuit l’avocat du Maroc.

« Nous demanderons un euro symbolique à titre de réparation », annonce le même interlocuteur.

Questionné sur la recevabilité d’une telle démarche, l’avocat est affirmatif : « Cette plainte est tout à fait recevable ».

Un précédent relativise ce propos. En 2019, une action similaire du Royaume avait été jugée irrecevable par la Cour de cassation française, la loi ne permettant pas à un État, qui ne peut pas être assimilé à un particulier au sens de ce texte, d’engager une poursuite en diffamation.  (Arrêt n°644 du 10 mai 2019 (17-84.509) -Cour de cassation – Assemblée plénière). Cette affaire opposait le Maroc à l’encontre de Zakaria Moumni.

                     Lire aussi :

Maroc vs Amnesty International: une action en diffamation est-elle viable? 

"Une tempête dans un verre d'eau"

Ancien responsable du renseignement intérieur en France, Bernard Squarcini émet des réserves sur les accusations portées à l'encontre du Maroc. Il n’y croit « pas trop », confie l’ex patron de la DCRI (aujourd’hui DGSI). Il s’exprimait face au micro d’Europe 1.

« Le Maroc est un partenaire. Il est adossé à d’autres grands pays, d’autres grandes puissances avec lesquelles il coopère », ajoute-t-il, précisant que " c'est trop facile" d'accuser le Royaume.

Plus généralement, « il faut bien distinguer la bibliothèque sur laquelle on peut se reposer, des tentatives réelles d’intrusion ou de l’infection véritable ». M. Squartcini  « ne pense pas que sur les 50.000 abonnés, tout le monde ait pu être écouté ».

En France, le sujet fait parler l’opinion publique, sans pour autant créer le séisme escompté ou attendu. Actuellement, l’affiche est dominée par le débat autour de la loi relative au « pass sanitaire ».

Interrogé par RFI, un ex maitre-espion minimise l’impact du « Projet Pegasus. «  Ça, c’est une tempête dans un verre d’eau. Dans 15 jours, plus personne n’en parlera », prévoit Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE.

NSO dit "ça suffit"

Dans un communiqué publié le 21 juillet , NSO affirme que « la liste n’est pas une liste des cibles actuelles ou potentielles de Pegasus. Les numéros figurant sur la liste ne sont pas liés au groupe NSO. Toute affirmation selon laquelle un nom figurant sur la liste est nécessairement lié à une cible ou à une cible potentielle de Pegasus est erronée et fausse ».

Dans ce communiqué intitulé "ça suffit", le groupe israélien s'engage à examiner « minutieusement toute preuve crédible d’utilisation abusive de ses technologies » et même à arrêter le système « si nécessaire. »

Le Monde campe sur ses positions

« Face aux dénégations de NSO Group et du Maroc, « Le Monde » maintient ses informations », titrait le quotidien français dans un article paru le 22 juillet. C’est une réponse aux appels, formulé par le Royaume, à fournir des « preuves tangibles ».

Le « Projet Pegasus » a accumulé de multiples éléments, tant techniques que concernant l’identité des cibles, qui montrent très clairement que le Maroc est client de NSO et opère des surveillances électroniques par le biais de Pegasus », affirme le journal.

« Les preuves matérielles sont toutes publiques : elles ont été mises en ligne dès ce dimanche [18 juillet 2021] par le Security Lab d’Amnesty International. La méthodologie de ce rapport a été validée de manière indépendante par le Citizen Lab de Toronto. » Ce centre de recherche, un des plus importants au monde, avait, dès 2018, identifié le Maroc comme un très probable client de NSO, en se basant sur une analyse des infrastructures utilisées par le logiciel espion », ajoute le quotidien.

« Le Security Lab d’Amnesty International a retrouvé des traces de Pegasus, portant la signature technique distinctive d’un même client, sur les téléphones utilisés par le journaliste Edwy Plenel ou l’ancien ministre François de Rugy, tout comme sur les téléphones de la militante Claude Mangin et du journaliste marocain Omar Radi – deux personnes qui intéressent au plus haut point les services de renseignement marocains. »

Voici donc un round up qui résume l'affaire. Chacun se fera sa propre opinion. Et on attendra avec intérêt le round judiciaire prévu à Paris dans quelques jours.

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