Le métier de banquier d’affaires expliqué par Ali Youssoufi

INTERVIEW. Après 10 années d’expérience dans de grandes structures, Ali Youssoufi a créé sa propre banque d’affaires indépendante, Y Partners. Il nous explique ici en quoi consiste le métier de banquier d’affaires, un métier qui fait rêver mais qui reste peu connu du grand public.

Le métier de banquier d’affaires expliqué par Ali Youssoufi

Le 17 juin 2021 à 15h00

Modifié 17 juin 2021 à 22h49

INTERVIEW. Après 10 années d’expérience dans de grandes structures, Ali Youssoufi a créé sa propre banque d’affaires indépendante, Y Partners. Il nous explique ici en quoi consiste le métier de banquier d’affaires, un métier qui fait rêver mais qui reste peu connu du grand public.

Après plus de 10 ans dans le corporate finance dans de grandes institutions comme PWC, CDG Capital, Burj Finance ou RED MED, Ali Youssoufi s’est mis il y a deux ans à son propre compte, en créant Y Partners, une banque d’affaires indépendante qui accompagne ses clients dans des opérations de haut de bilan : financements, cessions, rachats…

Il nous explique ici en quoi consiste le métier de banquier d’affaires, ses spécificités au Maroc, et les nouvelles évolutions et tendances de la profession.

 

Médias24: M. Youssoufi, à quoi sert un banquier d’affaires ?

Ali Youssoufi: La première réponse qui me vient à l’esprit, c’est qu’il sert à créer de la valeur ajoutée.

-Dans quel sens ?

-Dans le sens où la plupart du temps, le métier consiste en des opérations de haut du bilan. Des opérations qui comportent soit des financements bancaires, soit des financements en capitaux propres. Des financements en somme qui permettront à l’entreprise d‘investir, de créer plus de valeur, soit pour développer de nouveaux produits, soit en allant vers de nouvelles zones géographiques…

La partie la plus importante de notre métier, c’est d’ailleurs de monter des business plans. Si aujourd’hui l’entreprise gagne 100, personne n’investira si elle continue de gagner 100. Un investissement doit donc entraîner un rendement, avec comme indicateur de base le taux de rendement interne (TRI).

-Mais les banquiers d’affaires n’interviennent pas que pour des financements, mais aussi pour des cessions d’entreprises…

-On exerce aussi notre métier dans le cas de cessions, de transmissions ou de sorties d’un investisseur du capital d’une entreprise. Mais l’idée de créer de la valeur, de rentabiliser un investissement reste toujours valable. S’il y a un nouvel acheteur ou un nouvel investisseur qui entre au tour de table, il faut que son investissement soit également rentable.

Par conséquent, l’idée de création de valeur ajoutée est toujours présente. C’est pour moi, le fondement même de notre métier : trouver de la valeur ajoutée là où elle se trouve.

-On dit souvent qu’un banquier d’affaires est quelqu’un qui gère des égos. C’est vrai cela ?

-En effet. Il faut trouver le juste équilibre entre les égos. Si l’acheteur a une idée sur le prix, et le vendeur a une autre idée, il faut trouver le juste équilibre, ramener les gens à une base de négociation, à un point de convergence…

-Et là tout dépend de la valorisation que le banquier d’affaires réalise…

-C’est en effet le banquier d’affaires qui fait la valorisation. Et c’est à lui de l’argumenter. Chaque personne qui fait une chose sait très bien ce que ça vaut. Mais chaque valorisation a besoin d’être argumentée. Et cela fait partie de notre métier.

J’ai été approché dernièrement par un client qui avait identifié une cible pour la racheter. Et avait une idée précise sur le prix. Mon métier a été de le conforter dans cette valorisation. Et surtout, de trouver par la suite les synergies qu’il peut développer, à travers cette opération et les marges qu’il peut aller chercher.

Notre métier est de conforter les parties prenantes dans la valorisation. Et ça peut être à la hausse comme à la baisse. J’ai travaillé récemment sur un deal dans le IT. La personne avait une idée très forte sur sa valorisation. Il fallait lui expliquer que ce n’était pas possible, ou bien trouver des arrangements via des clauses juridiques d’ajustement pour pouvoir le convaincre. La valorisation d’ailleurs n’est pas vraiment le sujet, mais les clauses d’ajustement…

-Un banquier d’affaires qui ne maîtrise pas le droit n’est pas vraiment un banquier d’affaires. C’est bien cela ?

*Exactement. Vous pouvez maîtriser très bien l’ingénierie financière, mais si vous ne maîtrisez pas les clauses juridiques existantes, votre travail tombe à zéro. C’est pour cela que j’ai fait récemment un master de droit des affaires à l’ISCAE.

-Mais un banquier d’affaires est souvent accompagné d’un avocat d’affaires, n’est-ce pas ?

-On travaille en effet avec des avocats d’affaires, car chacun a son métier. Mais c’est à vous de leur dire ce que vous voulez faire. C’est à vous de présenter à votre client les différentes clauses qui existent et qui peuvent servir le deal.

Aujourd’hui, il y a des modes de financement qu’on n’a pas encore au Maroc, comme les SAFE par exemple. Ce sont des contrats qui ont vu le jour aux Etats Unis et qui permettent le financement de startup.

Vous avez développé une idée, mais cette idée n’a pas encore généré de revenus. Mais vous avez identifié un besoin de 1 million de dirhams pour démarrer. Il est compliqué dans ce cas de valoriser votre entreprise.

Ce genre de contrat juridique permet de vous donner le million de dirhams, et de vous dire que la valorisation se fera le moment d’un événement déclencheur. On valorisera par exemple l’entreprise quand elle atteindra le million de clients.

Autre exemple : vous voulez créer un journal, vous avez une superbe idée, et vous avez besoin d’un million de dirhams pour démarrer, faire face aux charges d’exploitation. Mais à partir de quand ce million de dirhams va-t-il avoir une valeur ? Pour un journal, on peut avoir comme élément déclencheur le fait d’atteindre un million de vues, ou tant de chiffre d’affaires publicitaire. A partir de ce moment, l’entreprise peut être valorisée justement. Voilà ce que peut offrir le droit comme possibilités.

On peut aussi faire des clauses d’earn out. Demain par exemple, je souhaite acheter une entreprise. Mais je ne veux pas acheter tout de suite 100% du capital, parce que je veux laisser les actionnaires historiques avec moi un certain temps. Cette clause permet de fixer dès aujourd’hui un terme pour le rachat des autres actions, avec un multiple prédéfini, de deux fois le chiffre d’affaires par exemple.

Les montages juridiques sont très importants dans notre métier. Et aujourd’hui, face à de nouvelles niches en très grande croissance, telles que les technologies, le droit a une grande valeur.

-Pour vous donc, la valorisation n’est pas tout…

-Au Maroc, on attache en effet beaucoup d’importance à la valorisation, alors que c’est un faux sujet. Ce qui est important, c’est quelle valeur ajoutée on va créer ensemble. La valorisation ne peut marcher qu’avec des métiers historiques : l’industrie, l’immobilier… des activités où il y a déjà un actif, et où il y a surtout de la récurrence avec des perspectives claires. Là, les méthodes traditionnelles fonctionnent.

Je suis banquier d’affaires depuis 10 ans. On valorisait beaucoup avec la méthode DCF (l’actualisation des cash flows futurs). Mais depuis 3 ou 4 ans, la DCF n’est plus utilisée. Parce qu’il y a beaucoup trop de paramètres qui ne sont pas tangibles, beaucoup d’imprévus. Les gens préfèrent aujourd’hui valoriser sur des multiples…

-Mais pour cela, il faut des comparables boursiers ou de transactions. Ce qui n’est pas très courant chez nous…

-Au Maroc, il n’y a pas beaucoup de comparables en effet. Mais on commence à en avoir de plus en plus. Il y a deux secteurs par exemple où on commence à avoir des comparables : l’éducation et la santé. Il y a eu ces dernières années beaucoup de transactions, des rachats et une course effrénée pour créer des plateformes, des acteurs intégrés… Dans ces deux métiers, on a commencé à avoir plus de comparables au Maroc.

Il y aura de nouveaux secteurs qui vont apparaître bientôt, dans le digital notamment. Et les comparables vont venir au fur et à mesure.

-Si on se base sur les comparables, il n’y a donc plus besoin de faire des business plans pour valoriser une entreprise ?

-Pour une école par exemple, on ne va pas faire un business plan pour valoriser.  Si on le fait, c’est surtout pour identifier les besoins de financements.

Mais le business plan reste dans tous les cas essentiel. Le banquier d’affaires, c’est quelqu’un qui monte des « equity story ». Et un business plan, c’est une histoire qu’on raconte. Et cette histoire doit être plausible.

-Un banquier d’affaires, c’est lui qui va à la chasse des clients ou ce sont plutôt les entreprises qui viennent vers lui ?

-Les deux cas de figure existent. On peut être « pull » comme être « push ».

Il y a des banquiers d’affaires, du fait de leur renommée et de leur expérience dans certains secteurs qui sont « pull ». Ils maîtrisent les secteurs, ils connaissent le marché, ont accès à des investisseurs et comprennent très rapidement les enjeux… À partir de là, ils deviennent recherchés. Et ce sont les clients qui viennent vers eux. C’est différent de l’approche « push », où le banquier va aller pitcher des clients.

-Et comment peut-on identifier le besoin d’un client ?

-On utilise pour cela certaines bases de données marocaines ou les journaux. Ce sont des canaux qui permettent de faire apparaître des entreprises dans les radars…

Cela dit, il y a beaucoup d’intuitu personae dans ce métier. Les gens aiment bien travailler avec leur réseau.

-Dans les grandes places financières, le métier est exercé souvent par des boutiques indépendantes qui ne sont pas affiliées à des banques classiques. Est-ce le cas aussi au Maroc ?

-Au Maroc, le métier est exercé de plus en plus par des banques d’affaires indépendantes, en dehors bien sûr de tout ce qui est levées obligataires. Les banques classiques n’ont plus le monopole sur le marché, elles sont même changées par les indépendants. 80% du marché est fait aujourd’hui par des indépendants. L’intuitu personae au Maroc est très forte.

-Comment un banquier d’affaires gagne-t-il sa vie ?

-On est payé de deux manières : un retainer et des succès fees. Un retainer, c’est un paiement à l’avance qui permet de sécuriser l’engagement du client. Le success fee est encaissé après le closing du deal. C’est du 20/80 : 20% au début et 80% au succès.

-Et les commissions tournent autour de combien ?

-Ça dépend de la taille du deal. Plus l’opération est importante, plus le pourcentage approche le 1% du montant du deal. Et plus la taille est faible, plus le pourcentage approchera les 3 ou les 4%.

-Les TPME ont-elles conscience de l’importance du métier au Maroc ?

-Oui, de plus en plus. Un client est venu me voir récemment pour l’accompagner sur la vente d’un garage automobile qui fait 10 millions de chiffre d’affaires.

Des clients qui avaient l'habitude de faire des opérations kamikazes, en les gérant seuls, nous approchent de plus en plus également. Les gens sont beaucoup plus ouverts à l’accompagnement par des banques d’affaires.

-Y a-t-il des barrières à l’entrée pour l 'exercice du métier au Maroc ?

-Il n’y a pour l’instant aucune barrière à l’entrée. Ce qui fait qu’il y a beaucoup de gens qui font le métier sans forcément le comprendre. Mais l’AMMC va peut-être instaurer, à terme, comme ce qui se fait en France, une accréditation pour exercer.

De toutes les façons, le marché se régule par lui-même. C’est un métier qui demande beaucoup d’ingéniosité et une connaissance assez fine des choses. Les gens voient qu’il y a de l’argent à se faire, ils arrivent, et très rapidement ils ne closent pas et finissent par disparaître. Le marché s’équilibre par lui-même. J’ai vu beaucoup d’acteurs qui sont apparus ces derniers temps et qui ont vite fermé boutique. Mais pour l’instant, n’importe qui peut faire le métier et se dire banquier d’affaires…

-Surtout qu’il n’y a aucun investissement à faire pour se lancer…

-Exactement, vous pouvez acheter un ordinateur, vous abonner à des data base et dire que vous êtes banquier d’affaires.

Le principal investissement, en réalité, c’est la matière grise, ce sont les années que les gens ont passé à travailler jusqu’à minuit…

Un banquier d’affaires, je le définis comme un artisan. Car un artisan ne cherche pas à gagner de l’argent à tout prix, mais veut tout d’abord que son produit soit valorisé par son client. C’est comme cela en tout cas que je me présente.

-Est-ce qu’il y a de la concurrence étrangère dans le métier ?

-Oui, il y a beaucoup de banques d’affaires étrangères qui font des deals au Maroc sans forcément avoir un bureau ici. C’est le cas de Lazard ou de Rothschild qui ont fait beaucoup d’opérations au Maroc. Il y a aussi les grands cabinets de conseil comme PWC et Deloitte qui ont tous des départements « fusions/acquisitions ». Mais dans ces opérateurs internationaux, personne n’a encore ouvert une boutique au Maroc, malgré l’existence de la place CFC.

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