Résolution du Parlement européen : le déroulé des faits raconté par un diplomate international

Selon une source proche du Parlement européen, l’Espagne a usé d’un mécanisme vicieux pour faire passer sa résolution contre le Maroc. Une résolution qui a été présentée à la grande surprise des Marocains par le groupe libéral Renew, dont la République en marche de Macron fait partie, a été négociée à 100% par des Espagnols et a été soutenue dans un retournement de situation aussi inattendu qu'improbable par le PP espagnol.

Photo Diliff

Résolution du Parlement européen : le déroulé des faits raconté par un diplomate international

Le 11 juin 2021 à 19h17

Modifié 12 juin 2021 à 10h29

Selon une source proche du Parlement européen, l’Espagne a usé d’un mécanisme vicieux pour faire passer sa résolution contre le Maroc. Une résolution qui a été présentée à la grande surprise des Marocains par le groupe libéral Renew, dont la République en marche de Macron fait partie, a été négociée à 100% par des Espagnols et a été soutenue dans un retournement de situation aussi inattendu qu'improbable par le PP espagnol.

Si elle dénonce cette résolution du Parlement Européen, qu’il qualifie de « choquante » et de  « non productive », notre source qui a été au milieu des tractations politiques autour de ce texte, nous raconte que l’Espagne a usé de tout son poids pour faire passer ce «rejet de l‘attitude marocaine dans le dossier des enfants mineurs passés à Sebta » pour faire oublier le fonds du problème entre Rabat et Madrid : l'accueil illégal du chef des séparatistes Brahim Ghali, sous une fausse identité et avec un faux passeport, en contradiction totale avec les principes de droit et des us et coutumes diplomatiques.

Et pour cela, notre diplomate nous dit que l’Espagne a joué son coup de façon déloyale. Et ce à travers un mécanisme qu’il qualifie de vicieux : celui des « résolutions d’urgence ».

« Pour atteindre leurs objectifs, les Espagnols ont bien verrouillé les choses. Car tout s’est joué dans la technicité du dossier. Cette résolution qu’ils ont fait passer est une résolution d’urgence, qui ne passe pas par la procédure normale. Le principe du texte est voté en comité des présidents de groupe un jeudi, et la résolution est votée en plénière le jeudi d’après. C’est une résolution fast track. Ils ont fait ça pour éviter que le temps long ne génère une vraie explication sur l’origine de la crise. Plus ils allaient vite, plus ils avaient de chances de faire passer leur projet », explique notre source.

Le temps court a été le principal allié de l’Espagne

Sans cette procédure express, la résolution contre le Maroc aurait pu tomber, selon notre source, car la diplomatie marocaine a été très active à Bruxelles et ailleurs et a pu en moins de quatre jours convaincre plusieurs eurodéputés d’avoir une approche plus équilibrée et plus distante par rapport aux manœuvres espagnoles.

« Si les Marocains avaient eu plus de temps, au moins une quinzaine de jours, ils auraient pu renverser la situation. Les Espagnols le savaient et ont imposé un temps court à travers ce mécanisme très vicieux des résolutions d’urgence », ajoute notre diplomate.

Autre « coup tordu» joué par les Espagnols, selon notre source : la désignation des négociateurs de chaque groupe parlementaire. « Dans ce genre de procédure, chaque groupe politique désigne un négociateur pour discuter du texte qui sera soumis au vote. Et comme par hasard, sur le texte de la résolution marocaine, tous les négociateurs désignés par les groupes européens étaient des espagnols ! », raconte notre source.

Ce qui lui fait dire que « cette résolution n’est pas européenne, mais une résolution espagnole, présentée sous la pression des Espagnols et négociée par des Espagnols… ».

Le succès espagnol s’arrête là, nuance notre source. Il est simplement d’ordre technique et montre la maîtrise par Madrid des arcanes du Parlement européen. Car cette résolution, comme toutes les autres résolutions européennes, est non contraignante et n’a juridiquement aucun effet d’exécution.

Une résolution sans valeur juridique ni légitimité politique

« Le parlement européen passe ses journées à voter des résolutions contre ses propres États membres (la Pologne, la Hongrie..). Ce n’est pas quelque chose de nouveau », rappelle notre source.

Le Maroc, pour notre diplomate, ne doit pas trop se soucier de cette manœuvre. Car en plus de leur caractère non contraignant, les résolutions du Parlement européen sont structurées politiquement de sorte qu’elles n’aient aucun poids.

« Les résolutions du Parlement européen peuvent passer sans exigence de majorité. Il faut qu’il y ait une majorité qui vote contre pour qu’une résolution tombe. Une résolution peut donc passer avec 50 voix si les autres députés s’abstiennent. Du coup, toute la structuration du poids politique d’une résolution est diminuée par le fait qu’on peut passer n’importe quel type de texte... », explique notre diplomate.

Si cette résolution n’a aucun poids juridique, voire aucune légitimité politique, pourquoi l’Espagne a-t-elle tenu à la faire passer coûte que coûte ?

« C’est du lobbying, de la projection politique. Il faut reconnaître que même si juridiquement cette résolution ne produit aucun effet, ce n’est pas agréable pour un pays de se voir attaqué sur le plan international. Ça reste un signal politique, mais qui n’a aucun effet contraignant ou exécutif ».

Notre source nous confie d’ailleurs que ce texte a créé une situation assez paradoxale au sein des instances de l’UE, entre la position équilibrée et positive de l’exécutif européen et celle du Parlement, dont est issu ce même exécutif.

« C’est quand même un comble que le parlement européen dise une chose, et que l’exécutif en dise une autre, un exécutif qui est censé venir justement de la majorité parlementaire puisqu’on est censé être dans un système démocratique. Il se trouve que pour le cas marocain, cet exécutif, à travers le commissaire européen ou le service extérieur, dit exactement le contraire de la résolution. C’est d’abord une contradiction flagrante mais aussi un désaveu pour cette même résolution parlementaire », précise notre diplomate, qui nous révèle que la position de l’exécutif était tout sauf anodine.

« Si l’exécutif européen a ressenti le besoin de faire des déclarations en faveur du Maroc, c’est pour corriger le tir de la résolution qui arrivait. Ils ont anticipé le passage de la résolution et ses éventuels effets sur le partenariat avec le Maroc et sont sortis pour montrer leur désaccord avec l’action de leur appareil législatif. C’était un signal envoyé au Maroc avec lequel ils entretiennent de bonnes relations sur tous les plans ».

Petites leçons d’un vote...

« Le partenariat entre le Maroc et l’UE est de toutes les manières un partenariat qui fonctionne. Cette résolution ne le remet pas en cause. Il y a des choses qui vont se passer dans les prochains jours qui vont montrer que ce partenariat continue, business as usual. La crise avec l’Espagne est strictement bilatérale. Elle a ses paramètres, liés au Sahara, à la migration, à la délimitation des eaux territoriales, au statut des présides de Sebta et de Melilla… La crise doit être gérée par rapport à ces paramètres-là. Ce qu’il faut maintenant, c’est protéger et développer le partenariat Maroc-UE en développant l’agenda commun. Il y a un pacte vert en cours de discussion, un pacte numérique, un accord de commerce et d’investissement sur le point d’être négocié entre les deux parties… », estime notre source, pour qui les agissements de l’Espagne n’altèrent en rien les chantiers ouverts entre le Maroc et l’UE.

Mais Rabat doit toutefois, nous dit-il, tirer les enseignements de ce vote qui a fait remonter plusieurs choses à la surface et a surpris aussi bien les Marocains que certains Européens eux-mêmes.

« Dans ses rapports avec l’UE, le Maroc est toujours resté focalisé sur une trop grande polarisation de ses relations avec la France et l’Espagne. Or, quand on décortique les votes de la résolution, on se rend compte que le Maroc a eu plus de soutien en Europe de l’Est qu’en France ou en Espagne. Les Espagnols ont évidemment fait front commun. Quant aux Français, il est trop tôt pour évaluer leur attitude, il y a eu toutes sortes de votes, dont beaucoup d'abstentions ou de votes contre.. Il y a plusieurs niveaux de lecture à faire. Et je pense que le Maroc prendra le temps de faire ces lectures et d'en tirer les conséquences. Car s’il y a une certitude dans ce dossier, c’est que Rabat a trouvé chez les pays de l’est plus d’écoute et de soutien, ce qui devrait en principe favoriser à une diversification des relations du Maroc au sein de l’UE », explique notre diplomate.

Cette attitude espagnole (hostile de toute évidence), n’a pas été celle des Allemands avec qui le Maroc est pourtant en crise ouverte. Car la majorité des députés allemands se sont abstenus, à part les socialistes qui étaient un peu obligés de voter en faveur de la résolution, en solidarité avec leurs camarades de l’extrême gauche espagnole.

Mais la surprise, la grande surprise, est venue selon notre source des libéraux, qui sont considérés traditionnellement comme des soutiens de Rabat.

« Les socialistes et les verts sont des alliés et on peut comprendre le sens de leur vote. Mais les libéraux, c’était une surprise. Car non seulement ils ont soutenu la résolution, mais ce sont eux qui ont proposé le projet, à travers le groupe Renew, groupe dont fait partie la République en Marche du président français Macron. Et le Parti Popular, un allié du Maroc et fervent opposant du gouvernement Sanchez, a eu aussi une attitude assez surprenante. Ils étaient toute la semaine alignés sur la position marocaine, mais ont fait volte-face la veille du vote, en ralliant la position de Sanchez. Est-ce qu’ils ont fait un deal politique en interne sur le dos de Rabat ? Personne ne sait… », nous révèle notre source.

Des faits dont le Maroc doit tirer deux enseignements capitaux, selon notre source : protéger et renforcer le partenariat avec l’UE qui reste toujours solide , mais surtout diversifier ses partenaires en sortant de la polarité Espagne-France, en cherchant de nouveaux alliés et partenaires en Europe de l’Est.

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