L'industrie naissante de l'animation 3D au Maroc fait face à de nombreux défis

Les chaines de télévision nationales commencent à s'intéresser à la production nationale d'animations 3D, mais les studios spécialisés rapportent plusieurs contraintes : absence de ressources humaines qualifiées, fiscalité inadaptée, absence d'organisme de tutelle...

Production d'animation 2D, studio ArtCoustic

L'industrie naissante de l'animation 3D au Maroc fait face à de nombreux défis

Le 21 mai 2021 à 16h41

Modifié 21 mai 2021 à 22h00

Les chaines de télévision nationales commencent à s'intéresser à la production nationale d'animations 3D, mais les studios spécialisés rapportent plusieurs contraintes : absence de ressources humaines qualifiées, fiscalité inadaptée, absence d'organisme de tutelle...

Les chaînes nationales 2M et la SNRT ont décidé de se lancer dans la production de dessins animés marocains, vu le potentiel de cette industrie. Trois studios de production ont déjà été retenus par 2M, à l'issue des appels d'offres lancés.

Contactés par nos soins, deux d’entre eux, bien qu’ils se réjouissent de cette prise de conscience, nous font part des nombreuses problématiques auxquelles ils sont confrontés, lesquelles risquent de s’accentuer avec l'accélération de la demande.

Les principaux points relevés par nos interlocuteurs sont : le manque de compétences dû à une formation très généraliste au Maroc, l’absence de tutelle et un système fiscal qui ne convient pas au secteur.

Manque de compétences et formation non conforme

Anas El Filali, CEO du studio de production Lorem, retenu pour la réalisation du premier dessin animé en Darija et en 3D pour 2M, nous confie: « nous manquons de bonnes ressources. Nous avons du mal à recruter. Au Maroc, on retrouve des connaisseurs qui aiment bien la chose, mais qui n’ont pas de domaines d’expertise ».

« Dans la production 3D, nous avons une dizaine de métiers d’expertise, et dans chacun d’entre eux on trouve des micro-expertises. Par exemple, pour le métier de la sculpture des personnages, réalisée sur un logiciel, les sculpteurs sont très rares au Maroc, et ceux qui sont bons en la matière, ont quitté le pays pour le Canada, le Qatar ou autres…».

« Il existe bien une formation au Royaume, mais qui n’est pas conforme » aux exigences de cette industrie. « Elle reste généraliste et il n’y a pas de spécialisation. On se retrouve donc à former des équipes par nous-même en interne. Pour ce faire, il faut un minimum de bagage, mais aussi la capacité de travailler en groupe », vu les spécificités du métier.

« On essaie donc de produire à 100% en interne, mais des fois on n’y arrive pas. Faire appel à des étrangers ne s’avère pas non plus efficace, puisqu’il faut un minimum de présence sur place. Ce point nous bloque ainsi dans la prise de commandes ».

Un constat partagé par Ali Rguigue, General Manager au studio Artcoustic, également retenu par 2M. « Le métier de l’animation est encore nouveau au Maroc », nous fait-il savoir. « Jusque-là, le pays a toujours sollicité des ressources étrangères. Le problème qui se pose aujourd’hui est donc un problème d’identité. On a vécu avec des animations principalement produites par les étrangers, telles que les mangas et les dessins animés importés de France. L’identité de l’enfant marocain n’est donc plus fixée sur le Maroc. Il n’a plus les traditions et les valeurs du Royaume. Quand il grandit, on se retrouve face à un problème sociétal, du fait qu’il n’arrive pas à s’identifier à son pays ».

« C’est donc un grand challenge artistique, par rapport aux personnages, à comment ils s’habillent, parlent, etc. Et pour le relever, il faut qu’on travaille avec des techniciens et des experts marocains dans le domaine. Des gens qui comprennent les codes marocains, et qui connaissent un minimum de notre culture ». C’est là où se pose le problème de la formation.

Un PPP pour une meilleure formation

Pour remédier à cette problématique, Anas El Filali recommande la mise en place « d’un partenariat public-privé, où des experts peuvent former d'autres personnes, durant une période donnée. En contrepartie, il faut qu’on y trouve un intérêt économique. Une compétence qui sort de ma boîte me coûte entre 2.000 et 3.000 DH par jour. Elle ne peut pas former d’autres personnes pour une rémunération faible. C’est un partage de compétences, où on doit trouver un intérêt direct."

M. Rguigue, quant à lui, nous apprend que les acteurs du secteur « ont approché des établissements étatiques pour les encourager à faire des offres de formation grand publique, à travers la mise en place d’unités de formation notamment aux métiers d’animation. On a également fait appel à des structures marocaines pour nous aider sur la partie pédagogique ».

Selon lui, il serait préférable que ce soit des experts nationaux qui effectuent ces formations. « Faire appel à des compétences étrangères ne résoudra pas le problème de code et d’identité marocaine. Le seul apport qu’il peut y avoir est relatif à la technicité, qui existe déjà au Maroc ».

« Ce projet est encore très frais, mais on espère contribuer à un premier centre de formation dès 2022 ».

« Le système fiscal marocain ne convient pas à l’industrie créative »

Le deuxième point relevé par M. El Filali est relatif au système fiscal. « Certaines fois, il est plus intéressant de faire appel à des étrangers qu’aux Marocains. Le coût de la main-d’œuvre comprend les charges sociales qui sont extrêmement élevées chez nous. Un jeune Marocain avec un salaire de 10.000 DH va me coûter 5.000 DH de plus. En vrai, il me coûte 15.000 DH. Je peux très bien recruter un Indien ou un Sud-amércain, qui sont très bons dans le domaine, à seulement 1.000 dollars ».

Par ailleurs, « il s’agit d’un métier d’outsourcing, sans qu’il ne soit reconnu comme tel. J’emploie des Marocains, j’exporte, mais je ne fais pas un chiffre d’affaires qui me permet de demander un statut CFC, pour ainsi payer moins d’impôts sur les revenus, et moins de charges sociales ».

« Pour se développer, les industries créatives ont donc besoin de leur propre fiscalité, avec des charges sociales adaptées, et une comptabilité spécifique. Il nous faut une marge et une certaine justice fiscale ».

Les deux autres problématiques relevées par nos sources sont les budgets et le manque de tutelle. « Les chaînes marocaines, à savoir 2M et la SNRT, ont fait un premier pas, mais les budgets n’ont pas été bien identifiés. L’industrie de l’animation nécessite beaucoup plus de moyens, et techniques et humains ». En effet, dans un article précédent, M. El Filali nous a confié qu'un budget de 2 millions de DH a été consacré par 2M à la production de sa première série d'animation marocaine. Un budget qui reste bas, selon lui. Pour un bon rendu, son studio est donc amené à supporter une partie du coût de production, le but étant dans un premier temps de faire émerger l’industrie 3D au Maroc.

Quant à la tutelle, « cette industrie n’est pas encore reconnue », regrette une autre source du secteur. « Les dessins relèvent du ministère de la Culture, et la vidéo du département de la Communication, mais lorsqu’on veut demander un soutien, on ne sait pas à qui s’adresser. Il y a beaucoup de fonds distribués aux arts et aux films, mais pas aux dessins animés. Je comprends que ce soit encore nouveau, mais ce problème doit être résolu », d’autant plus que les chaînes nationales s’y mettent sérieusement. « Actuellement, on est en train de voir comment on peut intégrer la Fédération des industries créatives de la CGEM pour défendre notre métier », conclut-elle.

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