Environ 3.500 pharmacies en situation de détresse financière (Hamza Guedira)

En difficulté depuis plusieurs années, les pharmacies d’officine ont vu leur situation se détériorer avec la crise du Covid. Entre 25% et 30% des officines risquent la faillite, selon le président du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens.

Environ 3.500 pharmacies en situation de détresse financière (Hamza Guedira)

Le 4 mars 2021 à 16h10

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

En difficulté depuis plusieurs années, les pharmacies d’officine ont vu leur situation se détériorer avec la crise du Covid. Entre 25% et 30% des officines risquent la faillite, selon le président du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens.

"Les pharmacies d’officine ont subi des baisses de leurs chiffres d’affaires allant jusqu’à 70%", affirme Hamza Guedira. Ces baisses drastiques sont essentiellement dues au confinement à en croire notre source, étant donné que "les gens ne sortaient plus de chez eux". Egalement, "de nombreuses personnes ont perdu leur emploi à cause de la crise", ce qui a conduit à une baisse du pouvoir d'achat.

La pharmacie a même joué le rôle d’une entreprise de crédit, à l'instar des épiciers. De nombreux patients, atteints par exemple de maladies chroniques et qui devaient absolument se procurer certains médicaments au risque de développer des complications, demandaient aux pharmaciens de reporter le paiement pour le mois d’après, ajoute notre source.

Sur les 12.000 pharmacies d’officine au Maroc, "3.000 à 3.500 sont en situation de difficulté grave", selon notre source, soit 25 à 30% des officines du Royaume. "En manque de trésorerie et de rentabilité, celles-ci répercutent leurs problèmes sur la grossisterie, ce qui a fait qu'aujourd'hui, la grande distribution souffre également énormément".

Ainsi en moyenne, au moins deux pharmacies sont amenées à fermer leurs portes par semaine, "si ce n'est plus", dans les conditions actuelles. Il y a également "des gens qui sont en fuite, ou qui ont présenté des chèques sans provision". 

"Qu'elles soient en milieu urbain ou rural, toutes les pharmacies sont concernées, mais celles du milieu rural souffrent extrêmement, en partie à cause de la disparition illégale des médicaments à usage vétérinaire au niveau de ces officines", mais aussi du faible pouvoir d'achat de la population des zones rurales. 

Un mal qui remonte à l'ère d'El Ouardi

Mais ce qu’il faut savoir, c’est que le mal des pharmaciens n’est pas que conjoncturel. Il remonte à l’ère de l’ancien ministre de la Santé Houcine El Ouardi qui a mis en place, en 2014, le décret relatif à la fixation des prix des médicaments.

"La situation de la pharmacie d'officine continue de se dégrader depuis l’instauration, en 2014, du décret qui consiste entre autres en la baisse des prix des médicaments", nous explique Dr. Guedira. "Avec la faiblesse du pouvoir d’achat et de la couverture médicale, tous ces facteurs ont enfoncé le secteur dans une crise profonde".

"Ce fameux décret a été instauré sans étude d’impact" sur la trésorerie du pharmacien. "Aujourd’hui toutes les composantes du secteur, aussi bien les pharmacies d’officine que les industriels et les grossistes sont en train de payer la facture de cette précipitation". Ce système a surtout "provoqué la disparition de médicaments essentiels à petits prix, qu'on ne retrouve plus" au niveau des pharmacies.

Dr. Guedira nous liste les autres maux du secteur, notamment "l’absence de mesures compensatoires, tel que promis, le non-respect de la loi (17.04, portant code du médicament et de la pharmacie, NDLR), la multiplication des attaques sur le monopole pharmaceutique, notamment en ce qui concerne les médicaments à usage vétérinaire, qui sont malheureusement vendus par des vétérinaires, qui n’en ont pas le droit".

C’est donc d’abord une crise structurelle, qui a été aggravée par la conjoncture actuelle liée à la crise du Covid.

"Le système de rémunération doit être revu"

La baisse des prix de nombreux médicaments, entamée depuis 2014, reste toutefois la plus grande problématique du secteur. 

"Jusqu'à aujourd’hui, environ 4.500 médicaments ont vu leur prix baisser depuis 2014, mais cette baisse n'a pas spécialement ciblé les produits chers comme les anticancéreux et les antirétroviraux. Le prix du reste des médicaments, nous le savons bien, n'est pas élevé. Pourquoi donc cet acharnement sur les prix, qui risque avec le temps de se répercuter sur la qualité, alors que le pays est classé zone euro en matière de qualité".

"Cette question de la baisse des prix des médicaments ne doit dorénavant concerner que des médicaments remboursables par la CNOPS et la CNSS pour permettre au pharmacien de gagner un peu plus. C’est lié à l’équilibre économique et financier du secteur", souligne notre source.

En effet, contrairement au médecin qui perçoit des honoraires, le pharmacien puise ses revenus dans la marge commerciale qu'il touche sur chaque médicament qu'il dispense. Le ministère de la Santé voit en cette baisse des prix la clé vers l'amélioration de l'accès aux soins, mais la couverture médicale et le pouvoir d'achat jouent également un rôle important dans l'accès aux médicaments. 

La baisse des achats, comme cela a été le cas en cette année de crise, mène à la dégradation de la trésorerie, qui s'accompagne d'un surendettement de la pharmacie. Une situation qui alourdit les charges financières de celle-ci et qui entraine une baisse de la rentabilité. Pour faire simple, le revenu du pharmacien est tributaire du chiffre d’affaires qu'il réalise sur la vente des médicaments. Par conséquent, toute baisse qui affecte son volume de ventes impacte automatiquement ses revenus.

Dans ce sens, Dr. Guedira appelle à réfléchir à une "autre forme de rémunération, puisque le pharmacien exerce un acte scientifique et académique". Le système actuel est basé sur une marge dégressive, "à savoir 33,93% sur les produits pas chers, 29,74% sur les produits dont les prix sont supérieurs et 300 à 400 DH sur les produits très chers".

"Une mise à niveau du secteur est essentielle"

"Même en matière de gouvernance du secteur, à mes yeux elle est caduque", déplore notre interlocuteur. "J’avais demandé au chef du gouvernement de se mette à table avec les départements ministériels en relation avec le secteur ainsi que les représentants du secteur pour travailler sur une mise à niveau, dans le but de trouver des pistes pour oxygéner les pharmacies", ajoute-t-il.

Dr. Guedira plaide pour "la création de l’Agence nationale du médicament, qui devrait avoir le plein pouvoir pour gouverner le secteur, et surtout la ratification par le Maroc de la création de l’Agence africaine du médicament. Il y a des enjeux de taille au niveau de l’Afrique, qui sont tissés par la stratégie de Sa Majesté le Roi, relative à la coopération Sud-Sud. Le secteur a donc beaucoup de défis à relever et a besoin d’un soutien de la part des pouvoirs publics".

Dans le cadre de la réforme du secteur, le président du CNOP propose également "la mise en place d'une loi-cadre, similaire à ce qu’on a fait pour l’enseignement et la couverture sociale. Une loi-cadre qui donnerait aux opérateurs du secteur de la visibilité sur 25 à 30 ans, pour qu'ils puissent avancer".

Egalement, "il faut absolument renforcer le rôle du pharmacien, comme c'est le cas par exemple au Québec, en France, ou en Espagne, en lui ajoutant des tâches. Pourquoi ne pas lui permettre dans cette période de vacciner, par exemple, dans son espace, vu sa proximité avec le citoyen ? Ce n'est qu'une tâche entre autres".

"Une réforme des textes régissant la profession s'avère également nécessaire, ainsi que l'activation de l’adoption du texte relatif au Conseil de l’Ordre des pharmaciens, pour une meilleure organisation interne", conclut notre source. 

Le chantier de la généralisation de l'assurance maladie obligatoire en cours, représente, lui, une lueur d'espoir pour les pharmaciens.

 

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