Débat. Comment faire de l’économie du sport un levier de développement au Maroc

C’est la question à laquelle ont tenté de répondre des experts, des économistes et des consultants dans un webinaire organisé par le Policy Center for the New South et l’AFD. Synthèse.

Débat. Comment faire de l’économie du sport un levier de développement au Maroc

Le 27 janvier 2021 à 19h40

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

C’est la question à laquelle ont tenté de répondre des experts, des économistes et des consultants dans un webinaire organisé par le Policy Center for the New South et l’AFD. Synthèse.

Premier constat que l’on peut tirer de ce débat : il est extrêmement difficile de cerner aujourd’hui l’économie du sport. Ce qui complique la tâche pour dessiner des politiques publiques efficaces pour en faire un secteur économique à part entière, créateur de valeur et d’emplois.

Une étude réalisée toutefois par l’AFD et le cabinet PWC en septembre 2020, et qui a été présentée lors de ce webinaire, a tenté de faire un diagnostic et proposer des pistes de recommandation.

Principaux chiffres qui en ressortent : le sport au Maroc fait employer 240.000 personnes de manière directe et indirecte et génère 1% du PIB.

Sur une population de 11,7 millions de jeunes entre 15 et 34 ans, on ne compte que 337.400 licenciés dont 66.300 femmes.

Le secteur est financé essentiellement par l’Etat qui lui consacre un budget de 252 millions d’euros selon les chiffres de la loi des finances 2020.

A part ces données, aucun autre indicateur ou chiffres n’est disponible pour mesurer cette économie. Une véritable faille que pointe notamment Wladimir Andreff, professeur d’économie à la Sorbonne et président du conseil scientifique de l’Observatoire français de l’économie du sport.

Le Maroc est toutefois l’un des rares pays africains à disposer d’une stratégie nationale pour le sport. Et où il y a une conscience au plus haut niveau de l’Etat sur l’importance du sport en tant que levier de développement économique et social, selon Jean Roland Djedjil et Eloi Pomé, deux consultants de PWC qui ont travaillé sur cette étude pilotée par l’AFD.

Le sport contribue à 1% du PIB au Maroc contre une moyenne de 0,2% en Afrique 

Les deux consultants notent également que le 1% du PIB est certes faible, mais que ce chiffre n’a été que de 0,64% en 2008. Ce qui montre une forte évolution due justement à la mise en place de cette stratégie née après les fameuses assises de Skhirat.

Le Maroc se place aussi en tête des pays africains où le sport génère autant de valeur ajoutée, la moyenne africaine se situant aux alentours de 0,2% du PIB.

Idem pour le nombre d’associations sportives : 8.500 au Maroc contre 5.000 en Côte d’Ivoire par exemple, ce qui montre selon eux un véritable engagement de la société civile dans la filière du sport.

Autre spécificité marocaine, selon les consultants de PWC : la participation de la femme. Sur l’ensemble des licenciés au Maroc, 20% sont des femmes, un taux faible dans l’absolu, mais qui est égal à la participation de la femme en Afrique du Sud et nettement supérieur à la participation de la gente féminine en Côte d’Ivoire (5%).

Ce développement, comme le montre l’étude de PWC, est le résultat direct de la stratégie nationale du sport qui a pris fin en 2020. Une stratégie qui toutefois, du point de vue de l’ensemble des intervenants, s’est trop focalisée sur les infrastructures au détriment du capital humain.

Les infrastructures plutôt que le capital humain : le paradoxe marocain

« Le Maroc, du fait des différentes candidatures à la Coupe du monde qu’il a déposées ces 20 dernières années, a investi massivement dans les infrastructures. 80% du budget de la stratégie nationale a été consacré à l’édification de stades et d’infrastructures de proximité. On recense 533 unités sportives supplémentaires entre 2008 et 2018 », notent les auteurs de l’étude. Mais cela s’est fait au détriment du capital humain, de la promotion sportive de masse, et d’une bonne répartition des investissements au niveau des territoires, notent-ils.

Modérateur de cette table ronde, l’expert Michel Desbordes s’est dit d’ailleurs sidéré par le faible nombre de licenciés sportifs au Maroc malgré tous les efforts fournis.

« 1% de licenciés au Maroc, c’est très bas. La France compte entre 20 à 30 millions de licenciés, soit entre 30% et 50% de la population », lance-t-il. « Toutes les fédérations doivent s’engager dans des politiques de recrutement. Le tissu social doit être quadrillé par le système fédéral. Et je ne crois pas trop en quelques initiatives privées, comme celle de la NBA, qui veut ouvrir des structures dans le monde rural. Ce genre de projets est bien. Mais pour un véritable quadrillage du territoire, il faut que ce type de projets soit porté par des institutions, par l’Etat », explique-t-il.

Un constat largement partagé par Abdelkader Bourhim, consultant spécialiste en sport et Président de "Sport Conseil et Développement", qui a été derrière un rapport sur le sujet livré récemment à la CSMD. M. Bourhim parle même d’un paradoxe marocain : 

« Il y a dans notre pays beaucoup d’intérêt pour le sport. Mais le secteur n’est pas considéré par les politiques publiques, il est à la marge. La stratégie 2008-2020 n’a d’ailleurs pas donné les résultats escomptés. On dispose certes aujourd’hui d’infrastructures aux normes mondiales, mais encore faut-il les faire vivre », lance-t-il.

Faire vivre les infrastructures, les rentabiliser, c’est effectivement l’un des plus gros problèmes du Maroc. Construire de gros stades à des milliards de dirhams qui ne tournent que sur des matchs de la Botola ou à quelques rares matchs de l’équipe nationale est destructeur de valeur.

Michel Desbordes estime que le Maroc n’est pas le seul à souffrir de ce problème de rentabilisation des infrastructures sportives. « En France, on vit la même chose. Au Maroc, avec un championnat à 16 équipes, j’imagine mal comment on peut rentabiliser un stade où se jouent 15 matchs sur l’année. Mais des pays comme les Etats-Unis ont pu trouver des modèles, en faisant du partage. Un stade de Baseball aux Etats-Unis tourne trois fois par semaine, car on y joue aussi du foot américain, du soccer et d’autres disciplines sportives. On doit également arrêter de construire une salle pour le hand, une pour le basket, et une autre pour le volley… Une seule salle peut suffire, il suffit de bien la faire tourner », explique-t-il.

Les déserts sportifs ou la problématique des inégalités territoriales

Autre problématique soulevée dans cet effort d’investissement fourni par l’Etat : les disparités territoriales, ou ce que M. Bourhim appelle les « déserts sportifs ». Or, on ne peut envisager une stratégie de développement de l’économie du sport sans dimension territoriale et d’inclusion sociale.

Cela passe par la construction d’infrastructures de proximité, y compris dans le monde rural, mais aussi par la formation du capital humain et le développement de nouvelles disciplines sportives. Bref, faire du marketing territorial comme le dit Marie Cécile Tardieu, DG déléguée de Business France.

« Le sport a une grande capacité de lisser les inégalités territoriales. A travers des politiques d’aménagement du territoire, on peut par exemple imaginer le développement des sports équestres dans le monde rural. Le Maroc est un pays de cheval, il faut capitaliser dessus. Mais cela doit s’accompagner d’un grand effort de formation du capital humain, y compris des femmes, pour faire monter en compétence les gens. Cela peut induire une progression sur tous les segments, car le sport n’est pas un segment isolé. On peut à travers l’innovation, le développement du sport et la formation, augmenter l’attractivité des collectivités territoriales et attirer de l’investissement, créer de la valeur, des emplois… Grâce au sport, les collectivités territoriales peuvent également valoriser des actifs… », explique-t-elle.

Et si Business France, entité qui aide les entreprises françaises à s’internationaliser, s’intéresse au sport, c’est qu’il a un véritable potentiel économique et que c’est un secteur porteur, comme elle l’explique.

« Aux USA, on compte aujourd’hui une demi-douzaine de licornes sportives qui valent plus de 9,8 milliards de dollars. En France, des entreprises sportives arrivent à faire des levées jusqu’à 300 millions d’euros. Ça montre bien qu’il y a un grand potentiel pour les entreprises et le secteur privé et que le sport peut être un véritable levier de développement économique et social », insiste-t-elle.

Créer un capitalisme sportif : un passage obligatoire

L’AFD s’est d’ailleurs doté d’un département sport il y a trois ans comme le souligne son directeur au Maroc, Mihoub Mezoaugui. « C’est un nouveau secteur d’activité de l’agence. Nous sommes convaincus que c’est un vecteur de développement économique et social. L’enjeu aujourd’hui est de décliner cette conviction en agenda d’actions », explique-t-il. 

Un des exemples concrets de cet engagement de l’AFD dans l’économie du sport, c’est la création en cours d’un fonds d’amorçage pour financer des entreprises sportives.

Un fonds et des opportunités dont les associations sportives marocaines ne peuvent malheureusement bénéficier pour l’instant, au vu de leur statut juridique. A part les clubs de foot qui sont autorisés à se transformer en SA et qui peuvent ainsi attirer des capitaux privés.

Un pas qui reste insuffisant selon M. Bourhim : « Les investisseurs ne sont pas encouragés à intervenir dans le sport, car juridiquement il n'y a pas de lois qui les protègent. Il y a bien sûr la loi 30-09 sur la transformation des clubs en SA, mais elle est insuffisante. On l’a vu également dans la loi de finances 2020 qui a accordé une enveloppe de 800 MDH pour accompagner le sport au Maroc et a offert des abattements et des exonérations sur l’IR pour les joueurs. Sauf que pour les sociétés sportives, il n’y a pas eu d’incitations ni d’exonérations. Cela n’encourage pas pour investir dans le sport », signale-t-il.

« Pour que le sport soit vraiment inclusif, il faut bâtir un environnement solide, capable de performer sportivement et économiquement, de faire rêver les jeunes, d'encourager les entreprises privées à intervenir dans le secteur. Sans cela, on ne peut pas envisager un développement économique de la filière », ajoute-t-il.

M. Bourhim met sur la table également la problématique du management sportif et le manque d’expertise qui n’est pas un facteur encourageant pour le capital privé. Et cela est dû aux faiblesses dans la formation du capital humain, des cadres et des dirigeants sportifs.

Formation : quand le Maroc importe des contenus inadaptés

L’étude de PWC pointe également du doigt ce manquement. Tout en rappelant qu’un effort a été fait dans la formation à travers l’Institut royal de formation des cadres, les consultants de PWC ont remarqué qu’il y a un grand décalage entre les contenus des formations et les besoins locaux. « C’est des contenus importés qui ne répondent pas réellement aux spécificités locales et qui sont déconnectés des réalités et des besoins du pays. Il faut travailler sur ça, en rapprochant le contenu des formations avec les besoins locaux », recommandent-ils.

Car sans professionnalisation des métiers du sport et montée en compétences des cadres et dirigeants sportifs, il sera difficile d’envisager un décollage économique de la filière. A cela s’ajoute, exposent-ils, le grand gap entre les budgets dédiés aux infrastructures et ceux réservés à la formation.

Les deux consultants de PWC recommandent en cela que les infrastructures qui restent importantes à développer, notamment celles de proximité, ne soient plus financées exclusivement par l’Etat. Et proposent que des partenariats public-privé soient noués pour une meilleure efficacité et un meilleur impact sur les populations locales.

Des pistes de recommandations pour faire décoller le sport business

Pour faire du sport un vecteur de développement et remédier aux nombreuses déficiences soulevées, les participants ont émis chacun des recommandations ou des pistes de réflexions.

Premier axe d’amélioration selon les consultants de PWC : travailler sur le sport de masse pour augmenter le nombre de licenciés et démocratiser la pratique du sport. Les auteurs de l’étude notent ici le faible engagement des fédérations (on en compte 46), ainsi que le manque d’engagement et de discipline au niveau des écoles.

« Les écoles, c’est là où ça se passe. Il faut donner la priorité au sport scolaire et universitaire. L’école est le premier lieu où l’élève prend goût au sport », expliquent-ils.

Deuxième axe : la formation et la professionnalisation du capital humain. « On propose de réaliser un état des lieux des besoins en termes de RH et des opportunités de formation au niveau local. Pour éviter la déconnexion entre les contenus importés et les besoins locaux, on a pensé par exemple à un jumelage entre l’OFPPT et l’Institut royal de formation des cadres », recommandent-ils.

Autre axe d’amélioration : renforcer la participation de la femme à cette économie du sport. Cela passe par le recrutement d’un maximum de jeunes femmes pour l’exercice du sport, mais aussi par une meilleure sécurisation des stades pour qu’elles puissent accéder aux événements sportifs.

Il faut également promouvoir des héroïnes sportives qui donneront envie aux jeunes Marocaines de pratiquer le sport.

Quant à la sécurité des stades, premier frein d’accès pour la femme, mais aussi pour le développement du secteur, les consultants de PWC recommandent d’impliquer davantage les associations de supporters sur le sujet, mais misent surtout sur la digitalisation et l’innovation.

« Il faut trouver des solutions de billetterie innovantes et digitaliser les installations des stades. Cela apportera de la sécurité, mais donnera également plus de légitimité au Maroc à organiser de grands évènements dans le futur », expliquent-ils.

Des recommandations transversales ont été également émises dans cette étude de PWC, comme l’amélioration de la gouvernance du secteur. « La stratégie nationale a été mise en place, mais n’a pas été déclinée en politique publique. Il faut que le gouvernement se saisisse de ce dossier, que l’ensemble des acteurs se l’approprient. Et cela passe par l’amélioration du cadre juridique actuel », signalent-ils, en notant également le manque de transparence dans le système actuel notamment dans les interactions financières entre fédérations et associations sportives.

Ils proposent pour cela la création d’une agence nationale du sport, qui aura comme prérogatives de chapeauter l’ensemble de la filière du sport marocain.

Autre axe de développement : toucher la jeunesse. Et cela passe par le digital et l'e-sport qui apporte beaucoup de dynamisme économique et peut être source de beaucoup d’initiatives entrepreneuriales. « Pour toucher la jeunesse, il faut parler son langage. Et son langage aujourd’hui, c’est le sport virtuel ».

Manager Partner à Mazars, cabinet qui a réalisé également une étude récente sur l’économie du sport en Afrique, Abdou Diop dit partager l’ensemble de ces recommandations. Et ajoute que le Maroc peut également miser au-delà des sports populaires, sur le golf et le tennis comme vecteur de sa stratégie de développement. « Ce sont des sports extrêmement importants qui peuvent apporter une véritable dynamique dans le développement de l’économie du sport au Maroc », note-t-il.

Pour lui, il faut également mettre le FAN au centre de toutes les stratégies de développement.  « Il faut intégrer toutes les associations de supporters dans cette dynamique. Le FAN doit être mis au cœur de l’économie du sport. On a tendance à le considérer comme un acquis, alors qu’il faut lui apporter une réelle offre de service… », explique M. Diop.

L’objectif étant d’arriver à monnayer le sport en créant un véritable environnement des affaires dans cette filière. C’est la seule manière pour lui de dépasser la barre du 1% du PIB et d’atteindre la moyenne mondiale de 2% du PIB. 

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