Surprenante résistance des transferts des MRE face à la crise

Les envois de la diaspora n’ont baissé que de 3% sur les sept premiers mois de l’année. Une résistance inattendue qui déjoue tous les pronostics, même ceux du gouvernement qui table sur une baisse de 20% en 2020. Comment s’explique cette surprenante tendance ? Réponses.

Surprenante résistance des transferts des MRE face à la crise

Le 28 septembre 2020 à 19h16

Modifié 11 avril 2021 à 2h48

Les envois de la diaspora n’ont baissé que de 3% sur les sept premiers mois de l’année. Une résistance inattendue qui déjoue tous les pronostics, même ceux du gouvernement qui table sur une baisse de 20% en 2020. Comment s’explique cette surprenante tendance ? Réponses.

C’est la seule bonne nouvelle en matière d'échanges extérieurs du Maroc, qu’apportent les statistiques de l’Office des changes à fin juillet. Pendant que toutes les sources de devises du pays s’écroulent, avec des baisses à deux chiffres, les transferts des MRE arrivent à limiter leur baisse à 3%.

Au vu du contexte de crise qui frappe le monde, l’Europe en particulier, ceci est une grande performance. Les MRE ont (jusque-là) déjoué tous les pronostics y compris les plus optimistes, comme ceux du gouvernement qui prévoit dans sa loi de finances rectificative une baisse de 20% en 2020.

Dans une étude produite en avril, au tout début de la crise, CDG Capital tablait, elle, sur une chute de 30% sur l’année 2020. Un scénario catastrophe qui ne se réalisera peut-être pas au vu de la tendance sur les sept premiers mois de l’année.

Comment s’explique cette résistance face à la crise ? Comment des millions de Marocains vivant essentiellement dans des pays où la crise fait des ravages continuent d’envoyer de l’argent au pays, malgré la récession, les pertes massives d’emplois, les baisses de revenus…

Au Maroc, plusieurs sources contactées par Médias24 (économistes et banquiers) se disent d’abord agréablement surprises par cette tendance qu’elles expliquent toutes par « le grand sens de solidarité qui règne entre les Marocains du monde et leur pays ». Une réponse valable, mais qui n’explique pas tout.

Iñigo Moré, enseignant à Berkley et fondateur de REMESAS.ORG qui suit l’évolution des transferts de d’argent dans le monde, a, lui, bien étudié la question. Et nous apporte des réponses qui expliquent bien ce phénomène inattendu.

Un effet de rattrapage de la crise de l’offre

Pour lui, ce chiffre à fin juillet n’est pas du tout surprenant. Les statistiques du mois d’août seront encore plus positives, nous dit-il.

La raison est toute simple selon lui, et il suffit d’analyser l’évolution des transferts vers le Maroc mois par mois depuis le début de l’année pour bien comprendre les choses.

Selon lui, il y a eu deux phases bien distinctes : celle du confinement en Europe et celle de l’après confinement.

« En mars et avril, les transferts des MRE ont connu une forte chute. Mais ce n’est pas en raison d’une crise de la demande (envie des MRE de transférer de l’argent, ndlr), mais essentiellement à cause de la fermeture des centres de transfert d’argent, décidée par les autorités des pays européens. Il était donc tout simplement difficile de transférer de l’argent. Je parle des réseaux de proximité qui ont pratiquement tous fermé, et c’est justement là où l’essentiel des transferts d’argent se fait », explique-t-il.

Mais dès la réouverture de ces réseaux, les transferts sont repartis à la hausse. Les chiffres de l’Office des changes reflètent bien cette inflexion.

Après une quasi-stagnation en janvier et février (comme en 2018 et en 2019), les transferts des MRE ont chuté de 14,6% en mars, puis de 8,5% en avril. Le bulletin de l’Office des changes du mois d’avril signalait alors que c’était le niveau le plus bas en termes de volume sur les trois dernières années… Ces deux mois correspondaient à la période où l’ensemble des pays européens (France, Italie, Espagne…) était en confinement total. Les fortes baisses sont donc la conséquence de la fermeture des réseaux de transfert. Ce que M. Moré appelle « la crise de l’offre ».

Car à partir de mai, quand ces pays ont commencé à déconfiner l’activité économique, la tendance des transferts des MRE a connu une grande inflexion. D’abord en mai où la baisse a été limitée à -1,6%, puis à partir de juin où les transferts ont carrément repris le chemin de la croissance, avec des progressions à deux chiffres : +21,8% en juin et +14,2% en juillet. Résultat des courses : la baisse enclenchée à partir de mars a été réduite à 3%, à fin juillet.

L’effet de non-retour et la transformation des transferts informels

Mais au-delà de cet effet « offre », l’explosion des transferts à partir de juin s’explique aussi par deux autres éléments, selon M. Moré. A commencer par ce qu’il appelle « l’effet de non-retour ».

« Chaque année, il y a plus de 2 millions de Marocains qui rentrent au pays avec des cadeaux et de l’argent qu’ils distribuent à leurs familles. Puisqu’il n’y a pas eu de retour cet été, ces cadeaux ont été remplacés par des transferts d’argent », explique notre expert.

« Les MRE ne reviennent pas, mais envoient des transferts à la place. Cela reflète aussi, et avant tout, la solidarité et la responsabilité des MRE, dont l’Union européenne devrait prendre comme modèle. Les MRE ont donné un bel exemple de solidarité aux Européens. Et cet exemple devrait pousser l’UE à être plus solidaire et à inclure généreusement le Maroc dans les plans de reconstruction… », estime-t-il.

Autre explication : l’impossibilité des flux informels qui ne rentraient pas avant dans la statistique officielle des transferts. « Avant, un Marocain de l’étranger pouvait entrer à n’importe quel moment de l’année au pays avec de l’argent dans sa poche. Un argent dont il laissera une partie à la famille. Ce n’était pas comptabilisé comme un transfert. Mais avec la fermeture des frontières, ce flux est devenu par la force des choses formel, car passant par les circuits formels. Il est donc intégré dans la statistique, d’où les chiffres que l’on a vu sur juin et juillet et qui seront les mêmes en août », explique M. Moré, précisant que dans ce cas précis « informalité ne signifie pas illégalité ». « C’est juste une question de statistiques », insiste-t-il.

Ces mêmes effets ont été constatés selon M. Moré au Mexique où les transferts en mars et avril ont chuté, avant de signer des croissances à deux chiffres à partir de juin (12 à 13% selon les mois).

« Le Maroc et le Mexique sont identiques dans ce domaine. L’esprit de solidarité familiale est toujours présent, et leur diaspora continue de revenir au pays pendant les vacances, en raison de la proximité avec les pays d’accueil, les Etats-Unis pour le cas du Mexique, l’Europe pour le cas du Maroc. Cet effet de non-retour et de transformation des flux informels vers le formel a donc beaucoup impacté les chiffres et les statistiques à partir de juin ».

Cet effet de non-retour ne joue, selon cet expert européen du transfert d’argent, que pour les pays où la diaspora vit dans des pays assez proches de leurs terres d’origine. « La diaspora colombienne qui vit essentiellement en Espagne ne rentre pas au pays pendant les vacances. La Colombie n’a donc pas profité de cet effet de non-retour comme le montrent les chiffres », explique-t-il à titre d’exemple.  

Une rechute des transferts à partir de septembre

Iñigo Moré estime toutefois qu’il ne faut pas crier victoire pour autant. Puisqu’il prévoit un retour à la tendance baissière dès ce mois de septembre. « C’est un cadeau estival dont le Maroc a profité, mais il ne faut pas compter sur la poursuite de ce trend. A partir de septembre, les transferts vont reprendre une tendance baissière », affirme-t-il.

Car au-delà de la solidarité familiale, qui est bien présente, il y a une donnée de fond que l’on ne peut ignorer : la crise économique et ses effets sur les revenus des ménages européens.

« On vit une grande crise économique. Les revenus des gens ont baissé, leur consommation aussi. Donc automatiquement, les transferts vont baisser. Une fois passé cet effet estival, le Maroc sera rattrapé comme le Mexique par la réalité de la crise qui frappe l’Europe et les Etats-Unis», estime-t-il.

D’ailleurs, si on analyse en détail l’évolution des transferts des mois de juin, juillet, on verra selon M. Moré que leur croissance n’est pas due à une augmentation des montants individuels des transferts, mais à un effet volume. « Individuellement, les gens envoient moins d’argent. Mais il y a un effet volume qui a joué, car beaucoup n’ont pas pu rentrer au pays… », explique-t-il.

Notre expert estime ainsi qu’il faut s’attendre à une forte chute des transferts dans les mois qui viennent. Ce qui rend le scénario dressé par le gouvernement marocain assez plausible.

La crise selon M. Moré risque aussi de durer dans le temps. Et aura de lourdes conséquences sur les revenus et le pouvoir d’achat des ménages européens. Même avec la présence de filets sociaux.

« Il est vrai qu’un chômeur en Europe ne perd pas tous ses revenus, mais son pouvoir d’achat baisse, car ce qu’il reçoit comme aides ou indemnités ne couvre que 50 à 70% de son revenu initial. Et comme cette crise risque de durer longtemps, il ne faut pas s’attendre à ce que les transferts reprennent rapidement. Des pays comme le Maroc qui comptent beaucoup sur les transferts pour équilibrer leurs comptes extérieurs vont en sentir le coup ».

« Les MRE sont solidaires avec leurs familles au Maroc, font des efforts, mais ne sont pas des magiciens. Si leurs revenus baissent, il est normal que leurs transferts au pays baisseront aussi ».

Et ce ne sont pas les transferts venant des pays du Golfe qui vont contrebalancer la tendance, signale M. Moré.

« Les pays du Golfe représentent aujourd’hui près de 20% des transferts des MRE. Ces pays ne sont certes pas aussi touchés par la crise que la France, l’Espagne ou l’Italie… mais la masse des transferts venant des pays arabes reste marginale. L’Europe continue de peser près de 80%. Les pays du Golfe peuvent amortir un peu le choc, mais n’arrêteront pas la tendance baissière », estime-t-il.

Pour M. Moré, maintenant que la crise va s’installer dans le temps, cette problématique deviendra mondiale. Et pour en amortir les effets, il faut agir par exemple sur le coût des transferts qui continue d’être exorbitant selon lui. « Il faut abroger les monopoles dans ce secteur qui est contrôlé par quelques grandes compagnies. Si on octroie plus de licences et qu’on ait des milliers d’opérateurs, le coût baissera et ça encouragera les gens à transférer plus. Le digital peut aussi jouer pour que les transferts soient moins couteux. C’est le moment d’agir sur cette question au niveau mondial ».  

Une solution qui pourra aider certainement, mais ne résoudra pas l’assèchement de cette ressource stratégique pour un pays comme le Maroc où les transferts totalisaient avant la crise plus de 64 milliards de dirhams (en 2018 et 2019). Des devises qui allègent le déficit de la balance des paiements du pays, mais qui ont également un rôle social, car alimentant le pouvoir d’achat de millions de familles aux revenus modestes vivant souvent dans le monde rural et les zones périurbaines. Seule une reprise de l’économie mondiale peut donc limiter la casse… 

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