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Maroc vs Amnesty International: une action en diffamation est-elle viable?

En admettant que le rapport d'Amnesty soit "diffamatoire", l'Etat marocain peut-il poursuivre l'ONG devant les juridictions anglaises ? Compliqué.

Maroc vs Amnesty International: une action en diffamation est-elle viable?

Le 6 juillet 2020 à 18h25

Modifié 11 avril 2021 à 2h47

En admettant que le rapport d'Amnesty soit "diffamatoire", l'Etat marocain peut-il poursuivre l'ONG devant les juridictions anglaises ? Compliqué.

« Les autorités marocaines sont toujours en attente de la réponse d’Amnesty International à la lettre du Chef du gouvernement », a déclaré, samedi 4 juillet à la MAP, Hasna Tribak, Directrice des Etudes juridiques et de la Coopération internationale au ministère d’Etat chargé des droits de l’Homme.

La lettre en question concerne les allégations contenues dans le rapport diffusé le 22 juin par AI, accusant le Royaume d’avoir traqué le téléphone du journaliste Omar Radi via Pegasus, logiciel espion développé par le groupe israélien NSO. Elle a été adressée le 1er juillet à Julie Verhaar, Secrétaire générale adjointe d’Amnesty International. Saad Eddine El Otmani y a demandé « des explications » et des « preuves matérielles » quant à ses « graves accusations ».

La réplique de l’ONG a bien eu lieu par une lettre datée du 3 juillet 2020. Mais pas selon les formes exigées par le gouvernement (La réplique de l’ONG a été formulée par sa direction régionale Moyen Orient-Afrique du Nord, alors que le Chef du gouvernement avait saisi le Secrétariat général).

Sur le fond, la lettre “se contente de rabâcher les mêmes allégations légères et accusations gratuites contenues dans le rapport, sans apporter de preuves scientifiques ou d’arguments objectifs”, affirme Mme Tribak. Reprenant les grandes lignes du rapport initial, la branche régionale d’Amnesty conclut à la « responsabilité » des autorités marocaines qu’elle résume en 4 éléments :

  • La mise à disposition exclusive de la technologie du groupe NSO aux les clients
  • l'accès privilégié à l'infrastructure mobile nationale du Maroc ;
  • le ciblage continu et répété des défenseurs des droits humains et journalistes marocains et
  • les antécédents documentés d’abus des technologies de surveillance.

Pas de quoi convaincre les autorités, pour qui ces éléments s’apparentent à « des supputations » plus qu’à des « preuves tangibles ». Le ton de l’ONG est pourtant « affirmatif ». Est-il diffamatoire ? C’est ce que déplore le gouvernement, qui crie à une « campagne de diffamation organisée ».

L’opinion de Me Elajouti

Le rapport publié «  comporte plusieurs propos qui, à mon sens, peuvent être qualifiés de diffamatoires au sens même de la loi anglaise, pays qui abrite le siège d’Amnesty International », indique Me Mourad Elajouti, avocat au barreau de Casablanca.

Le Parlement Britannique a adopté une nouvelle loi sur la diffamation en 2013 (Defamation Act). La loi est entrée en vigueur le 01/1/2014. Selon ce texte, l’infraction est caractérisée lorsque qu’il est établi que « les propos en question constituent une fausse déclaration, qu’ils identifient ou font référence au demandeur et qu’ils ont été publiés. Or, si le rapport affirme que « Pegasus » est commercialisé par le Groupe Israélien NSO Group, il n’apporte aucune preuve formelle de l’utilisation de ce logiciel par les autorités marocaines pour espionner le téléphone du journaliste Omar Radi », estime notre interlocuteur.

« Les arguments avancés se résument à des noms de domaines trouvés dans l’historique du téléphone, mais ne prouvent en aucun cas un lien avec les autorités marocaines ou les services de renseignements, ces allégations pouvant facilement être réfutés par des experts en sécurité informatique », poursuit Me Elajouti.

Par ailleurs, « la question décisive à prendre en compte n'est pas de savoir comment la déclaration diffamatoire a impacté la victime, mais l'impression qu'elle est susceptible de faire sur les personnes qui la lisent. Or, les accusations d’espionnage publiés par Amnesty et reprises par un consortium de journaux ont porté préjudice à l’image de notre pays », ajoute la même source.

L’Etat peut théoriquement déposer plainte. Rien ne l’interdit. Mais rien ne garantit qu’elle aboutisse à une condamnation. Les actions en diffamation initiées par des Etats sont rares. Dans les pays de culture démocratique, les demandeurs sont généralement déboutés avant de statuer sur l'existence ou pas de l'infraction.

Rappelons à ce titre le cas de la plainte déposée par le Maroc à l’encontre du boxeur Zakaria Moumni. L’action du Royaume avait été jugée irrecevable – donc sans statuer au fond, la loi française ne permettant pas à un Etat, qui ne peut pas être assimilé à un particulier au sens de ce texte, d’engager une poursuite en diffamation.  (Arrêt n°644 du 10 mai 2019 (17-84.509) -Cour de cassation - Assemblée plénière)

Quid du Royaume-Uni ? "  Si on se réfère à la loi de diffamation britannique rien n'empêche un état de déposer une action de réparation pour diffamation, même si, après 2013, la justice britannique est devenue plus exigeante lorsqu'il s'agit d'actions présentées par les organes gouvernementaux ", explique Me Elajouti.

" Idéalement, l'action en justice peut-être déposée par des individus ou des associations basées dans l'union européenne ou un pays signataire de la convention Lugano", tranche notre interlocuteur. Mais encore faut-il avoir intérêt pour agir.

Datée de 1993, une jurisprudence de la Chambre des Lords qui dit que les organes gouvernementaux "démocratiquement élus" doivent "accepter les critiques, et que la menace d’action en diffamation constituerait justement une entrave à la liberté de critique. Cette décision faisait allusion "organes" du Royaume-uni. Rien n’indique que l’action initiée par un Etat étranger serait irrecevable.

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