Financement bancaire. Abdellatif Jouahri, plus flexible que jamais

Mehdi Michbal | Le 18/6/2020 à 17:14

Le Wali de la Banque centrale a desserré l'étau sur les banques pour leur permettre de financer l’économie, dans les meilleures conditions possibles. Le tout en assouplissant une réglementation très restrictive qui limitait jusque-là leur capacité d’action.

 

Souvent critiqué par les banquiers pour son orthodoxie et son conservatisme dans la gestion de la politique monétaire, le Wali de Bank-Al Maghrib a montré en ces temps de crise, un nouveau visage. Plus souple que jamais, il a ouvert aux banques les robinets, en assouplissant les règles du jeu pour leur permettre de financer au maximum l'économie sans trop de dégâts sur leurs bilans et leurs résultats financiers.

Un nouveau visage que Abdellatif Jouahri a affiché dès le début de la crise, en assouplissant les règles prudentielles très restrictives qu’il imposait aux banques.

« Le Wali a dès le mois de mars assoupli un ensemble de ratios et de règles qui limitaient notre capacité de financement de l'économie. On ne s'attendait sincèrement pas à ça de lui, mais il s’est révélé plus souple qu’on l’imaginait », nous confie le patron d’une banque.

Le financement de l'économie d’abord

Parmi ces règles qui ont levé une grande pression sur les banques : le relâchement de 50 points de base sur une période de 12 mois des fameux ratios sur le fonds propres. Le TIER 1 passe à 8,5% et le TIER 2 à 11,5%.

« En temps normal, on était obligé de caler aux 12%. Quand on réalise par exemple une croissance de 6% sur nos crédits, il fallait veiller à ce que les fonds propres suivent la même cadence. Ce qui nous imposait pour continuer de croître d’aller chercher constamment de l’argent soit en s’endettant sur le marché obligataire soit en faisant appel à nos actionnaires », explique notre banquier.

Avec cet assouplissement, BAM a envoyé un message clair : les banques sont appelées à prendre plus de risques, à prêter encore plus à l’économie, sans se préoccuper pour l'instant du niveau des fonds propres . « Le Wali a montré qu’il fallait en cette période privilégier le financement de l‘économie, prendre plus de risques, soutenir le pays… », commente notre source.

"Open bar" sur les liquidités

Autre mesure d'assouplissement et pas des moindres : la possibilité de se fournir en cash quasiment en illimité. Et là, Jouahri a agi sur deux leviers : l'élargissement des collatéraux pour les opérations de refinancement et l’autorisation donnée aux banques d’utiliser leur coussin de liquidité de haute qualité sans être très regardants sur le fameux ratio de liquidité des 100%. C’est donc open bar pour les banques en termes de cash.

« Avant, pour se refinancer auprès de BAM, on devait présenter des titres en collatéral. La banque centrale n'acceptait que les Bons de Trésor. Aujourd’hui, elle accepte de nouvelles catégories de titres comme les obligations émises par les établissements publics, les crédits garantis par l’Etat et d’autres types d’actifs. Aucune banque ne peut se plaindre aujourd’hui de manquer de collatéral », explique notre source.

Idem pour le coussin obligatoire que les banques devaient constituer pour faire face à un mouvement massif de retraits. « « En principe, ce ratio permet de s’assurer qu’une banque, même si elle a suffisamment de fonds propres, est capable de faire face à des exigences de liquidités sur le court terme. Si un jour par exemple le tiers des déposants vient retirer son argent, la banque doit être capable de répondre à leurs besoins. La Banque centrale était inflexible auparavant sur ce point ».

Mais à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles, puisque Jouahri autorise désormais aux banques de ronger sur ce coussin pour disposer de suffisamment de liquidités pour servir l’économie.

Des dispositifs qui ont permis selon Abdellatif Jouahri de tripler les capacités de refinancement du secteur bancaire, et qui ont été la clé de réussite, par exemple, de l'opération de distribution des aides en cash aux 5,5 millions de ménages, Ramedistes et non Ramedistes. Une opération inédite qui a été pour rappel supervisée sur le terrain par la Banque centrale.

La distribution de ces aides a eu comme conséquence une hausse exceptionnelle de la monnaie fiduciaire, comme l’a justement signalé le Wali lors de sa conférence de presse post-Conseil.

« Depuis le début de l’année, la monnaie fiduciaire s’est accrue de 38,5 milliards de dirhams contre 18 milliards pour toute l’année 2019. Cela a impacté les besoins en liquidité des banques qui ont atteint des niveaux exceptionnels , passant de 67 à 107 milliards de dirhams entre le 13 mars et 7 juin. La mobilisation de BAM pour fournir le cash nécessaire a permis à l’opération de distribution de se dérouler dans les meilleures conditions », a expliqué ainsi Abdellatif Jouahri.

La levée des provisions sur le report des échéances

Autre assouplissement qui a permis aux banques de respirer et de faciliter au passage la vie à leurs clients : l’autorisation de surseoir au provisionnement des crédits qui ont fait l’objet d’un moratoire de paiement.

L’importance de cette décision est cruciale. Un report d’échéance équivaut dans l’esprit d’un banquier à la possibilité de matérialisation d’un risque d’impayé. Et exige donc selon les règles en vigueur un provisionnement automatique de la créance, ce qui alourdit les charges des banques, obère leur rentabilité et consomme leurs fonds propres.

Sans cet assouplissement décidé par Abdellatif Jouahri, les banquiers auraient été beaucoup plus réticents à accepter les demandes de report de paiement des traites qui ont afflué après la déclaration de l’état d'urgence sanitaire. Résultat : les banques ont approuvé plus de 491 000 demandes de moratoire à fin mai, dont 94% au profit des particuliers et 6% en faveur d’entreprises, selon les chiffres présentés par le gouverneur de la banque centrale.

Souple, mais toujours attentif aux équilibres du système

Cette souplesse affichée en temps de crise ne fait pas pour autant perdre le nord aux autorités monétaires, qui restent selon nos sources, très attentives aux équilibres du système.

Ainsi, si Jouahri a accepté de fermer les yeux sur les provisions à constituer pour les reports d’échéances, il a exigé des banquiers de faire le point à la fin de l'année. Et de faire un reclassement de toutes ces demandes.

Ce qui est logique selon un patron de banque : « Il est difficile aujourd’hui d’évaluer la probabilité de défaut des demandes de report. Un client peut demander un report et payer ses échéances dès que sa situation s’améliore. Quand d’autres n’auront pas la capacité d’honorer leurs engagements. Face à cette incertitude, le Wali a décidé de fermer les yeux pour l’instant, mais a exigé qu’on refasse les comptes d’ici la fin de l’année pour remettre de l’ordre dans tout cela», explique notre source.

Idem pour l’allègement des exigences en fonds propres, qui ne sont que temporaire pour une durée de 12 mois. Dès que la situation de l’économie s’améliorera, comme le prévoit justement le scénario en V de la banque centrale, le gouverneur devra certainement réajuster le curseur et appeler les banques à rentrer dans les rangs en renflouant leurs fonds propres.

Sur l’ouverture des vannes des liquidités, Jouahri a également était clair. L’autorisation spéciale de ronger sur le coussin de sécurité n’est valable pour l’instant que sur le deuxième trimestre de 2020. Elle peut être reconduite pour un nouveau trimestre si la situation reste tendue. Mais elle ne restera pas éternelle…

« Jouahri est en train de mener une politique contra cyclique assez intelligente. Quand l’économie va bien, il se montre dur. On le critiquait d’ailleurs beaucoup sur ça. Mais quand ça va mal, il lâche les vannes. C’est une démarche très sage qui permet de constituer des cartouches en temps de paix pour pouvoir résister aux situations de crises », analyse notre banquier.

Et des cartouches, Abdellatif Jouahri en dispose encore, mais ne veut pas toutes les griller, face à l'incertitude qui persiste sur le devenir de l’économie mondiale et nationale. En abaissant son taux directeur de 2,25% à 1,5% en l’espace de 3 mois, le Wali garde encore une marge assez large pour alléger davantage le coût de l’argent. Même si ces baisses, il faut le rappeler, ne concernent véritablement que les crédits garantis par l’Etat et servant à soulager la trésorerie des entreprises en temps de confinement (Damane Oxygène) et à financer la relance du tissu productif (Damane Relance).

Sa position catégorique sur la planche à billet comme moyen de financement du Trésor montre également à quel point il reste attaché à ses principes, à une certaine vision orthodoxe de la politique monétaire : éviter la spirale de surendettement public et de montée de l’inflation et garder une indépendance totale de l’exécutif. Un principe que même les pays les plus libéraux sont en train de réviser, comme en Angleterre où la Banque centrale a ouvert un canal direct au gouvernement de Boris Johnson pour financer sa politique de relance. Souple donc, mais toujours droit dans ses bottes… 

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BAM triple la capacité de refinancement des banques pour soutenir l'économie

Jouahri : le Maroc n'activera jamais la planche à billets en faveur de l'Etat

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