Fréquentation des salles de cinéma : vers la fin de la désaffection ?

En 40 ans, le nombre annuel d’entrées dans les salles a chuté de 30 millions à 1,5 million de spectateurs. Malgré plusieurs ouvertures réalisées ou programmées, le DG du CCM pense que ce chiffre n’évoluera pas beaucoup car la consommation serait devenue élitiste. Moins pessimistes, le patron du complexe Ciné-Atlas-Colisée pense que le Maroc atteindra le cap des 2 millions en 2019 tandis que le directeur de la communication du groupe Mégarama se veut du même avis en avançant que la désaffection appartiendra bientôt au passé.

Fréquentation des salles de cinéma : vers la fin de la désaffection ?

Le 1 novembre 2019 à 16h04

Modifié 11 avril 2021 à 2h43

En 40 ans, le nombre annuel d’entrées dans les salles a chuté de 30 millions à 1,5 million de spectateurs. Malgré plusieurs ouvertures réalisées ou programmées, le DG du CCM pense que ce chiffre n’évoluera pas beaucoup car la consommation serait devenue élitiste. Moins pessimistes, le patron du complexe Ciné-Atlas-Colisée pense que le Maroc atteindra le cap des 2 millions en 2019 tandis que le directeur de la communication du groupe Mégarama se veut du même avis en avançant que la désaffection appartiendra bientôt au passé.

A partir des années 80, les salles de cinéma n’ont pas cessé de fermer l’une après l’autre, mais depuis deux ans, on observe un phénomène inverse avec plusieurs ouvertures de multiplexes abritant entre 3 et 11 salles.

Si cette tendance touche presque toutes les grandes villes, elle n’a cependant pas vraiment influé sur les chiffres de fréquentation qui stagnent, bon an mal an, à environ 1,5 million de spectateurs.

Tout en divergeant sur l’évolution future du nombre d’entrées, plusieurs acteurs importants du secteur, sollicités par Médias24, s’accordent à dire que les Marocains aiment toujours autant le cinéma.

Sarim Fassi-Fihri qui dirige le Centre cinématographique marocain (CCM) partage cette conviction. Il pense cependant que la désaffection qui a commencé depuis 40 ans s'expliquerait par un cinéma devenu élitiste au Maroc.

Stagnation des chiffres malgré des milliers de nouveaux fauteuils

Questionné sur l’incidence des nombreuses ouvertures de salles à Rabat sur la consommation cinématographique nationale, le directeur général a commenté les récentes ouvertures de multiplexes tout en reconnaissant qu'elles n'avaient pas provoqué de véritable impact en termes d'entrées.

"Il est encore trop tôt pour savoir si le Mégarama qui vient d’ouvrir 11 salles en août dernier cartonnera comme ça a été le cas avec le multiplex Ciné-Atlas-Colisée qui a à peine un peu plus d’un an d’existence.

"A terme, la fréquentation ira certainement crescendo et ce complexe attirera beaucoup de monde mais pour l’instant, les gens ne savent pas encore où il se trouve car le centre commercial qui l’abrite n’a pas encore été inauguré.

"LRenaissance est quant à lui handicapé par son mono-écran qui n'offre pas de véritable choix aux amateurs de divertissement, désormais habitués aux multiplexes.

"Selon moi, le succès d'Atlas-Colisée s’explique par le fait que ce petit complexe offre une localisation idéale en centre-ville, un confort de très haut niveau et surtout des petites salles plus faciles à remplir que le Renaissance voisin qui compte 500 fauteuils", explique Fassi Fihri.

A la question de savoir si le chiffre de la fréquentation nationale avait augmenté depuis son arrivée à la tête du CCM, le DG déclare qu’il est resté stable malgré les nombreuses ouvertures de salles.

La faute à des mauvais choix de localisation ?

"Malgré la création de milliers de fauteuils au niveau national, certaines ouvertures ont marché et d’autres moins, à l’image des deux multiplexes récemment ouverts par Mégarama à Tanger.

"Ainsi, celui qui se trouve en périphérie de la ville au city-mall marche faiblement tandis que l’autre situé au centre-ville, en face du lycée français Regnaut, connaît une très belle fréquentation.

"La localisation est donc souvent déterminante pour expliquer le succès ou l’échec d’un complexe", précise notre interlocuteur.

Sachant que les chiffres actuels d’entrées oscillent entre 1,4 et 1,6 million de spectateurs, le directeur du CCM refuse de spéculer sur le temps qu’il faudra pour atteindre ou dépasser le cap des 2 millions de spectateurs.

Des prix prohibitifs réservés à l’élite

"Le vrai problème est que les Marocains ont perdu l’habitude d’aller au cinéma et qu’il y a beaucoup de jeunes de 25 ans qui n’ont jamais mis les pieds dans une salle.

"Ce sont d'ailleurs toujours les mêmes personnes qui y vont régulièrement à savoir le plus souvent des gens privilégiés socialement.

"A ce propos, il faut reconnaître que les tarifs d’entrée restent, malgré tous les efforts, prohibitifs.

"En effet, avec un prix moyen de 50 dirhams par personne auquel il faut rajouter des frais annexes (transport, friandises …), il faut reconnaître qu'au final, c’est une sortie qui coûte facilement 400 dirhams à une famille de 4 personnes.

"Nous sommes donc dans une situation élitiste en termes de type de fréquentation.

"Le constat est certes cruel mais réaliste, car malgré tous nos efforts (subventions du CCM pour créer ou rénover des salles existantes), le nombre d'entrées ne bouge pas vraiment.

"Des médias qui boudent le cinéma"

"De plus, les médias ont aussi une grande part de responsabilité dans la situation actuelle car quoi qu'on en dise, le Maroc est un des rares pays au monde où la presse et la télévision n’accompagnent pas ou alors pas assez le cinéma.

"Il n’y a qu’à voir leur couverture du méga-carton planétaire Joker qui n’a pas bénéficié de la médiatisation méritée contrairement à ce qui s'est passé partout ailleurs.

"Au final, il y a eu très peu d’articles sur ce film alors qu’il a fait couler beaucoup d’encre dans le reste du monde.

"Pour expliquer cette désaffection qui s’éternise et s’aggrave depuis des décennies, il convient de citer également le changement malheureux d’habitudes de consommation culturelle des Marocains.

Les Marocains aiment toujours le cinéma mais désertent les salles

"Etant actuellement au festival tunisien de Carthage, je constate que toutes les salles sont pleines à craquer alors qu’elles sont payantes.

"A contrario, chez nous, tout est gratuit mais, hormis dans certains grands festivals (Marrakech, Tanger …), il n’y a pas foule aux projections.

"Cela m’amène à dire que nous avons perdu nos habitudes de consommation d'antan.

"Il n’y a qu’à voir les pays où la chaîne Netflix cartonne, ce phénomène n’a pas, comme chez nous, impacté la fréquentation des salles.

"A l’image de nos librairies désertées, la fréquentation cinématographique est devenue clairement élitiste dans notre pays.

"Ceci malgré le fait que les Marocains aiment toujours autant que leurs aînés le cinéma et continuent à en consommer. Il n’y a qu’à voir le nombre croissant de vendeurs de DVD pirates à tous les coins de rue", regrette le DG qui se dit désespéré par ce paradoxe.

 Atlas-Colisée, un succès dû à un positionnement original

Sur le succès du promoteur du multiplex Ciné-Atlas qui compte le dupliquer dans d’autres villes et pourrait changer la donne en relançant la fréquentation, Fassi Fihri pense que Pierre-François Bernet a su faire de bons choix pour remplir son 1er complexe cinématographique de Rabat.

"C’était un pari risqué mais maîtrisé car contrairement à certains, il ne s'est pas installé en périphérie et n’a pas construit de méga-salle.

"Pour inverser la tendance actuelle de désaffection, le Maroc a donc besoin de plus d’opérateurs, comme lui, qui savent s’adapter à la réalité du pays", conclut, un brin pessimiste, le patron du CCM.

Tout en confirmant les propos de Fassi Fihri sur la recette de son succès à Rabat, le promoteur Pierre-François Bernet se veut cependant plus optimiste et avance que le positionnement de son complexe existant et de ses projets contribuera à relancer le nombre d’entrées nationales.

Le Maroc n’est pas assez mûr pour accueillir des complexes de 15 salles

"Contrairement à nos concurrents, nous avons choisi de proposer des structures avec moins de salles à savoir 3 à 6 au maximum.

"Je trouve en effet que le marché n’est pas assez mûr pour accueillir des grands complexes de 15 salles comme en Europe ou aux USA.

"De plus, pour maximiser nos chances de rencontrer un public nombreux, partout où nous allons, nous ne nous installons qu’en centre-ville.

Dupliquer le succès de l'Atlas-Colisée à El Jadida et Tanger

"Ainsi, à la fin du premier trimestre 2020, nous allons ouvrir un complexe au centre-ville d'El Jadida sur une superficie de 1.100 mètres-carrés qui comprendra 3 salles de 70, 110 et 192 fauteuils.

"Idem à Tanger où nous avons racheté l'ancien cinéma Mauritania qui sera transformé en complexe de 5 salles.

"Amoureux du patrimoine architectural marocain, nous allons sauvegarder tout ce qu’il y a de beau dedans comme les rampes en bois …

"Tout comme l'ex-Colisée de Rabat, le futur Ciné-Atlas Tanger Mauritania sera un mélange du patrimoine existant et des dernières technologies.

"Avant de me lancer à Tanger, comme ailleurs au Maroc, j’ai lancé une étude de marché qui a mis en avant plusieurs faits saillants utiles pour l’exploitation de ce complexe.

"On y apprend notamment que les Tangérois se lèvent plus tard que le reste des Marocains, qu’ils parlent espagnol et aiment sortir faire la fête.

"A partir de là, nous allons donc nous adapter en proposant des horaires de diffusion propres à leur mode de vie et des films en version espagnole.

"Sachant que Tanger est une ville d’artistes, le complexe accueillera également un espace dédié à la scène musicale locale et nationale.

"Cette salle de café-concert portera d’ailleurs le nom du jazzman américain Randy Weston qui a longtemps vécu dans cette ville.

"Comme à Rabat et à Tanger, nous tâcherons de dupliquer le même concept en ressuscitant les vieilles salles mythiques dans plusieurs villes du Maroc.

"Pour cela, nous avons plusieurs projets sur tout le territoire, dont je ne peux pas encore parler, mais pour faire court, notre but sera de refaire vivre des anciens cinémas du centre-ville", promet l’exploitant qui espère manifestement dupliquer son succès de Rabat à l’ensemble du pays.

30 millions d’entrées avec 100 nouveaux complexes

Questionné sur l'impact de ses futurs complexes sur le nombre d’entrées, Bernet se veut bien plus optimiste que le DG du CCM.

"Au regard du pouvoir d’achat des Marocains, le Maroc devrait normalement réaliser 30 millions de spectateurs chaque année.

"Aujourd’hui, on en est encore loin avec 1,5 million mais à la fin de cette année, il y aura une très jolie progression grâce aux nombreuses ouvertures.

"Ceci dit, pour atteindre les 30 millions, il faudrait avoir 100 complexes supplémentaires", avance l’investisseur qui affirme que les Marocains seront au rendez-vous à condition que la qualité soit garantie.

La qualité garantit une fréquentation en hausse

"Le succès de notre complexe à Rabat ne doit rien à la chance ou au hasard car il se résume à la seule qualité offerte à nos spectateurs.

"A l’Atlas-Colisée, nous avons privilégié le confort et avons mis à la disposition de nos clients un personnel très qualifié (29 personnes).

"En effet, nous mettons un point d’honneur à bichonner le spectateur qui rentre dans une salle propre et nettoyée entre chaque séance.

2 millions d’entrées à la fin de 2019

"Selon moi, les Marocains aiment toujours autant le cinéma qu’avant mais ils attendent simplement que les salles les aiment en retour", conclut Bernet persuadé que la fréquentation atteindra certainement ou ne sera pas loin de 2 millions de spectateurs à la fin 2019

Un optimisme largement partagé par Jamal Mehyaoui, directeur de la communication du groupe Mégarama qui détient une position dominante dans les salles de cinéma du Maroc.

La dynamique de retour des spectateurs est enclenchée

"Avant de parler d’évolution de la fréquentation cinématographique, il faut rappeler que le Maroc a malheureusement raté plusieurs virages importants avec par exemple des salles très mal entretenues qui sont devenues infréquentables et ont donc dû fermer les unes après les autres.

"A cause de cela, une génération entière n’a pas connu le cinéma alors que ceux qui avaient les moyens continuaient d’y aller à l’étranger.

"Aujourd’hui, l’amour du cinéma se transmet essentiellement par les parents mais il faut reconnaître que ce phénomène reste circonscrit à une élite.

"Cependant, grâce à la concurrence et à notre groupe, une dynamique de re-fréquentation des salles a été enclenchée et commence à porter ses fruits d’année en année.

"Depuis 17 ans que notre groupe est installé au Maroc, nous avons constaté que Mégarama a réussi à fidéliser une large clientèle qui est composée de toutes les catégories socio-professionnelles. Ainsi, tous nos clients adolescents d'hier viennent désormais avec leurs enfants. 

"Sachant que notre groupe ne va pas s'arrêter en si bon chemin et qu'il compte ouvrir encore d’autres complexes, je suis persuadé que la désaffection des salles ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir", conclut optimiste Mehyaoui qui préfère cependant ne pas donner de délais.

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