Abdelahak Khiame: “La saisie de la tonne de cocaïne a nécessité une année de travail”

EXCLUSIF. Le Bureau central des investigations judiciaires a intercepté, samedi 8 décembre à El Jadida, une cargaison d’une tonne de cocaïne dans un camion qui se dirigeait vers le nord du pays. Selon le patron du BCIJ, cette tentative d’exportation avortée vers l’Europe confirme que le Maroc continue à être une des routes de prédilection des narcotrafiquants et leurs transporteurs.

Abdelahak Khiame: “La saisie de la tonne de cocaïne a nécessité une année de travail”

Le 12 décembre 2018 à 17h02

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

EXCLUSIF. Le Bureau central des investigations judiciaires a intercepté, samedi 8 décembre à El Jadida, une cargaison d’une tonne de cocaïne dans un camion qui se dirigeait vers le nord du pays. Selon le patron du BCIJ, cette tentative d’exportation avortée vers l’Europe confirme que le Maroc continue à être une des routes de prédilection des narcotrafiquants et leurs transporteurs.

Et de 3. En trois ans, c’est en effet la troisième énorme saisie de cocaïne qui a été effectuée par le département de lutte contre la grande criminalité, dépendant du BCIJ, lui-même dirigé par la DGST.

Interrogé par Médias24 sur l’origine de la cargaison saisie, Abdelhak Khiame affirme que son service n’a pas encore élucidé le fil conducteur de cette affaire mais qu’il est probable que la cocaïne vienne de Colombie qui avec la Bolivie en sont les deux principaux producteurs et exportateurs au monde.

Une tonne de coke pure à destination de l’Espagne

« C’est une opération importante car la marchandise interceptée était quasiment pure (+90%). Après coupage, la tonne saisie représente l’équivalent d’au moins 3 tonnes dans la rue mais la quantité finale varie selon les produits de coupage utilisés par les dealers de rue », révèle le patron du BCIJ à Médias24.

Sur la destination ultime, Khiame avance « qu’en l’état actuel des investigations, tout porte à croire que le marché intérieur n’était pas la cible des commanditaires de l’opération.

« Lors de son interception, le camion qui transportait les 30 colis (chacun de 33 kilogrammes) de cocaïne se dirigeait vers le Nord du pays et plus précisément vers Tanger. Cela nous autorise à penser que les suspects avaient l’intention de transporter clandestinement cette cargaison vers l’Espagne », précise notre interlocuteur, pour qui le Maroc n’était qu’une voie de transit.

Selon lui, la multiplication des saisies sur le territoire national (1,2 tonne à Dakhla en 2016, 2,5 tonnes dans la région de Rabat puis enfin 1 tonne à El Jadida) montre que le Maroc est toujours une des routes de prédilection des passeurs souhaitant acheminer leur marchandise vers l’Europe.

« En dehors de l’Afrique, les cartels sud-américains n’ont désormais plus aucune issue pour essayer de faire passer leur cargaison de coke vers le vieux continent. Cela s’explique par le fait que les autorités américaines ont complètement verrouillé les routes traditionnelles grâce aux informations recueillies par leurs nombreux satellites et/ou par une importante flotte de contrôles douaniers.

« Face à cet embargo routier, les trafiquants ont donc opté pour notre continent qu’ils pensent plus poreux au niveau de ses frontières maritimes. Le choix du Maroc s’est imposé d’autant plus qu’ils peuvent utiliser les filières de transport déjà existantes pour faire passer le haschich vers l’Espagne.

« De notre côté, nous poursuivons notre lutte pour mettre fin à cet itinéraire afin que le Maroc ne soit plus un pays de transit et encore moins de destination pour une partie des cargaisons. L’arrestation des 7 suspects n’est que le point d’orgue d’une opération qui a demandé une année de travail sur la foi d’un renseignement intérieur », conclut Khiame.

Contacté par nos soins, le criminologue Xavier Raufer qui s’intéresse de près aux nouvelles routes de la cocaïne, estime que la vérité sur l’identité des vrais commanditaires se trouve du côté espagnol, voire en Amérique latine.

« Cela va être compliqué de démêler l’écheveau car les intervenants sont très nombreux. Au début de la chaîne, il y a des cultivateurs de feuilles de coca qui transmettent leur récolte aux chimistes qui la transforment, puis, enfin, les transporteurs chargés de l’acheminer là où se trouvent les clients.

Joint-venture entre narco et financiers en col blanc

« Derrière ce trafic se cachent aussi des personnes "honorables" qui injectent 1 ou 2 millions de dollars pour financer l’opération et en touchent 10, une fois que la cargaison est arrivée à bon port.

« Un peu à l’image des bourgeois de Séville qui pendant l’époque de la Renaissance investissaient dans une caravelle pour aller au nouveau monde et revenait une fois sur cinq avec les cales chargées d’or.

« Sachant que le kilo est acheté dans la jungle colombienne entre 1.600 et 2.500 dollars, et qu’il est revendu 30.000 $ en Espagne ou en France, voire 50.000 en Suède, c’est le jackpot pour ces financiers.

« Une fois livrée en Espagne, la tonne saisie au Maroc aurait été vendue à 30.000 dollars le kilogramme soit 30 millions de dollars le total pour un prix d’achat de 1,6 à 2,5 M$. Après quoi, l’acquéreur la mélange pour multiplier son poids (minimum par 3) puis la revend à 90.000 $ soit 90 M$ la cargaison.

« Comme ce sont des fortunes qui sont en jeu, nul besoin de préciser que les individus chargés de transporter la marchandise sont responsables des cargaisons expédiées de Colombie.

« Sachant à quoi ils s’exposent, ils travaillent avec une logique d’étalement des risques c’est-à-dire avec plusieurs routes fonctionnelles ou prêtes à l’emploi. Ainsi si 2 cargaisons sont saisies d’affilée, ils basculent vers une 2ème route », affirme Raufer qui pense que, malgré les saisies récentes, l’itinéraire de transit marocain a toujours les faveurs des passeurs.

Livraison sur mesure pour un donneur d’ordre marocain ?

A la question de savoir quel pourrait être le rôle des 7 Marocains interpellés, notre interlocuteur pense que ceux qui comptent vraiment sont en Espagne.

« Les patrons du système d’importation de la cocaïne en Europe sont tous planqués en Andalousie. Les personnes arrêtées par le BCIJ ne sont que des exécutants des vraies têtes de réseau, qui peuvent être des Colombiens, des Britanniques, des Espagnols …

« Il est cependant possible que les commanditaires soient des Marocains qui ont abandonné le trafic de haschich, beaucoup moins lucratif, mais qui ont continué à utiliser la logistique existante.

« La difficulté consistera à identifier toute la filière, mais une chose est sûre, les suspects interpellés ne sont pas des gros poissons. Si le BCIJ réussit à les faire parler, il y aura peut-être des arrestations en Espagne. Mais le vrai cerveau de cette opération doit se trouver en Amérique latine.

« Contrairement aux saisies précédentes dont une partie au moins était destinée au marché marocain, l’interpellation du camion qui se dirigeait vers la ville frontalière montre que c’était une commande.

« Si comme l’a dit le patron du BCIJ, le tuyau venait d’un informateur marocain, il n’est pas impossible que ce dernier fasse partie d’un réseau concurrent, interpellé précédemment, et à qui on a offert un marché ou plus simplement des faveurs en prison », conclut le criminologue qui ajoute que la Maroc restera encore sur la route des narcos et qu’au pire, ces derniers utiliseront un autre pays africain de transit.

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