Protection du consommateur: Des associations fortes, ce n’est pas pour demain

Le scepticisme règne toujours dans le milieu de la défense des droits du consommateur. En cause, les conditions fixées pour l’obtention de l’autorisation spéciale d’ester en justice, le manque de moyens financiers et la faible adhésion des pouvoirs publics et des consommateurs.

Protection du consommateur: Des associations fortes, ce n’est pas pour demain

Le 11 juin 2018 à 9h55

Modifié 11 avril 2021 à 2h47

Le scepticisme règne toujours dans le milieu de la défense des droits du consommateur. En cause, les conditions fixées pour l’obtention de l’autorisation spéciale d’ester en justice, le manque de moyens financiers et la faible adhésion des pouvoirs publics et des consommateurs.

L’arrêté fixant les modalités d'octroi d'une autorisation spéciale pour les associations de protection des consommateurs non reconnues d'utilité publique a été publié le 3 mai. Soit moins de deux semaines après le démarrage du mouvement de boycott ciblant les produits de Centrale Danone, les Eaux minérales d’Oulmès et Afriquia SMDC.

Coïncidence ou pas, les 83 associations et 3 fédérations nationales recensées par le portail «khidmat-almostahlik.ma» du ministère du Commerce et de l’Industrie se préparent pour l’obtention de ce droit réclamé depuis 2013.

Maître Younes Anibar, avocat et vice-président de l'Association de protection des consommateurs Uniconso, affirme qu’aucune demande n’a encore été déposée auprès du ministère de la Justice. «Il y a un formalisme à respecter et un dossier administratif à préparer: statuts mis à jours, PV des assemblées générales, listes des membres des organes de gestion et des adhérents… ».

>>Lire aussi: Les associations de protection des consommateurs peuvent désormais agir en justice

Même son de cloche du côté de Ouadi Madih, secrétaire général de la Fédération nationale des associations de consommateurs (FNAC). «Nous sommes en train de préparer notre demande, il y a certains documents à rassembler et une convention à signer avec un cabinet d’avocat».

Malgré cette avancée, ces spécialistes de la défense des droits du consommateur demeurent sceptiques. Pour eux, des associations fortes, ce ne sera pas pour bientôt.

Ils pointent du doigt trois problématiques majeures:

- Les conditions fixées pour l’obtention de l’autorisation spéciale d’ester en justice,
- Le manque de moyens financiers,
- La faible mobilisation des pouvoirs publics et des consommateurs.

Les conditions pour ester en justice

Me Anibar rappelle que selon l’arrêté, l’octroi de l’autorisation spéciale d’ester en justice reste tributaire de l’avis du ministère concerné par les actions en justice éventuelles. «Par exemple, si en tant qu’association je dois traiter des affaires immobilières, il faut que le ministère de l’Habitat donne au préalable un avis favorable».

Une disposition qui n’a aucun sens, selon Ouadi Madih. «Dans sa demande d’autorisation l’association doit mentionner le secteur où elle souhaite exercer. Doit-on citer tous les départements de tutelle qui existent? Car en tant qu’association, on ne peut agir dans un domaine et pas dans d’autres. Dans un commerce par exemple, on trouve des produits relevant de plusieurs départements (santé, télécoms, agriculture, commerce et industrie…)».

Le SG de la FNAC se demande à la base pourquoi un ministère doit donner son avis sur des associations qu’il ne connaît même pas. «Aucun département ministériel n’a une direction ou un service de protection du consommateur, à part le ministère du Commerce et de l’Industrie».

D’autre part, «on ne peut pas être juge et partie. Comment peut-on demander l’autorisation du ministère du Transport si par exemple on compte poursuivre l’ONCF un jour? Il y aura dans ce cas là un conflit d’intérêt».

Ce n’est pas tout, cette disposition est loin d’être bien assimilée par les associations: Faut-il la demander une seule fois, par domaine d’intervention, ou à l’occasion d’une poursuite en justice?

«Ce n’est pas très clair», affirme Me Anibar. «Il y a deux interprétations possibles: soit par domaine, soit par action en justice. Ce que j’ai personnellement compris à travers la lecture de l’arrêté, c’est que l’autorisation sera accordée par domaine, parce qu’elle a une durée de vie (trois ans, ndlr)».

«L’arrêté donne le droit d’ester en justice pour une durée de trois ans renouvelable, on ne va pas s’amuser à chaque fois qu’il y a une affaire à faire une demande», estime pour sa part M. Madih.

Dans tous les cas, il y a un flou qui doit être levé par les ministères de tutelle (Justice, Commerce et Industrie).

«Nous ne les avons pas encore saisis. La mise à jour des documents prend du temps au niveau des associations. Le problème se posera lorsque le ministère de la Justice sera saisi, notamment en cas de refus, car l’avis des ministères concernés peut être défavorable. Et on ne sait pas si dans ce cas il y aura une possibilité de recours ou si le ministère de la Justice jouera le rôle d’arbitre», avance Me Anibar.

«Pour l’instant, nous allons déposer nos demandes car on ne peut attendre encore six années et un boycott pour que cette disposition soit changée», avance Ouadi Madih.

Ce dernier soulève une autre source de problème, à savoir la disposition qui oblige les associations à fournir la liste de leurs adhérents.

«On ne sait pas quelle valeur sera accordée à ce document, même si rien dans la loi ne fixe un nombre minimum d’adhérents pour qu’une association de protection du consommateur soit reconnue par la tutelle. Il faut savoir que la majorité des personnes qui viennent nous voir pour régler leurs problèmes ne souhaitent pas être membres».

De plus, «dans le cadre des conventions de financement mises en place depuis 2016 avec le ministère il y a une disposition qui oblige les associations à traiter les réclamations reçues à travers le portail khidmat al moustahlik. Donc le ministère nous transmet les réclamations de personnes qui ne sont pas membres et qu’on peut ne jamais rencontrer car les dossiers peuvent être traités à distance».

«Cette disposition et d’autres ont été adoptées sans concertation avec les associations», conclut M. Madih sur ce point.

De son côté, Me Anibar affirme «qu’il n’y a pas de critère de ce type, nous avons été clairs dès le début. Les statuts de chaque association et sa situation sont différents, il n’y a pas de forme préétablie requise ou un modèle type de statut. Il y a des associations dont le bureau est composé de 5 personnes, d’autres de 20 personnes, ça dépend aussi de la présence territorialle...».

Le fonds national pour la protection du consommateur n’a toujours pas vu le jour

Pour les spécialistes contactés, même si les autorisations sont accordées, peu d’associations auront les moyens d’ester en justice.

«Les associations doivent faire appel à des avocats conventionnés pour qu’ils mènent des actions en justice en leur nom. Or elles manquent cruellement de moyens. Les subventions de la tutelle ne sont pas régulières. A aujourd’hui, seuls 40% des subventions décidées en 2016 ont été débloquées. Les moyens ne sont donc pas suffisants pour pouvoir assurer ce service», martèle Me Anibar.

>>Lire aussi: 10 MDH pour financer les fédérations de protection des consommateurs

Ouadi Madih détaille beaucoup plus cette problématique.

«Mobiliser un avocat dans le cadre des actions en justice des consommateurs nécessite des moyens financiers car l’avocat doit être payé. Or dans les budgets des associations rien n’est prévu sur ce volet, du moins en 2018.

«Ce qu’il faut savoir c’est que la loi stipule que la représentation en justice doit être gratuite pour les consommateurs. Donc les associations doivent faire un travail colossal gratuitement et sans financement», précise le SG de la FNAC.

Il ajoute que les premiers et seuls financements décidés par la tutelle en faveur des associations de protection du consommateur sont les subventions de 2016 qui devaient permettre :

- Le développement de l’expertise dans le domaine de la consommation,
- Le renforcement des capacités de gestion des associations,
- La sensibilisation et la formation des consommateurs,
- Et la production de supports d’information du consommateur.

«La FNAM a reçu 40% (900.000 DH) de ses subventions qui lui ont permis de financer une partie des investissements (équipement des guichets des consommateurs des associations sous sa coupole, ndlr). Mais on a été vite bloqué par le manque de ressources.

«Les guichets qui ont loué des locaux (toutes les associations n’en disposaient pas) se retrouvent aujourd’hui en justice face aux bailleurs.

«Le ministère nous a affirmé que le reliquat sera donné en 2017 et il a fallu refaire tout un dossier pour disposer des fonds à la fin de l'année. Jusqu’à aujourd’hui nous n’avons rien reçu. En cause, la lenteur des procédures administratives, le manque de suivi des décideurs…

«Nous avons signé de nouvelles conventions en 2017, avec les 60% de reliquat de 2016 et un nouveau budget pour l’installation de 10 guichets consommateurs professionnels (ndlr, animés entièrement par un personnel payé, contrairement aux guichets bénévoles et aux guichets semi-professionnels).

«Le budget devait être versé en début d’année. Jusqu’à aujourd’hui nous n’avons rien eu», se désole M. Madih.

Pour lui, même le ministère de tutelle ne doit pas donner de l’argent aux associations car la loi a prévu un fonds national de protection du consommateur censé financer les associations et garantir leur autonomie. Malheureusement, ce fonds, institué en 2011, n’a toujours pas été mis en place, faute de décret d’application

Les consommateurs ne se manifestent qu’en cas de problème

A côté de ce manque de moyens financiers de source institutionnelle, les associations font face à une faible adhésion des consommateurs.

Par exemple, Uniconso compte à peine un millier d’adhérents. Et encore, ils sont dans leur écrasante majorité des adhérents bénéficiaires (des consommateurs avec plaintes en cours de traitement) contre une trentaine de membres actifs. «Ceux qui cotisent ne totalisent même pas une cinquantaine. Et celui qui paie une fois ne revient plus», se désole M. Madih.

Cette situation prévaut malgré un niveau de cotisation très faible (200 DH par an chez Uniconso) et sachant que les charges fixes s’élèvent à des milliers de dirhams par mois.

«Au Maroc, les consommateurs ne se manifestent que quand ils ont un problème, ils ne viennent pas comme membres soutenir l’association ou bien pour s’informer.

Nous prenons tout en charge (contacts, courriers, téléphones, internet, loyer...). On veut bien travailler bénévolement mais donner de son argent ce n’est pas tenable. Il y a des présidents d’association qui n’ont pas les moyens: retraités, fonctionnaires…», explique M. Madih

Et d’ajouter: «Tout cela alors que la première chose qu’on dit sur nous est qu’on ne joue pas notre rôle. Nous n’avons pas de soutien de l’Etat ni du consommateur, à quoi bon tenir ?»

La FNAC a reçu en 2016 un peu plus de 15.000 réclamations. Pour 2017, les statistiques ne sont pas encore disponibles à cause du blocage du chantier de la plateforme électronique de traitement des plaintes à cause du manque de ressources. Mais pour son secrétaire général, ce chiffre est en baisse car les consommateurs voient que notre action est peu efficace, faute de moyens financiers et de possibilité, pour l’instant, d’ester en justice.

Vers une meilleure application de la loi sur le consommateur


Cela dit, le tableau n’est pas totalement sombre. Depuis l’entrée en vigueur de la loi 31-08, du chemin a été parcouru en matière de respect des droits des consommateurs.

Les secteurs structurés comme celui des établissements de crédits ont tenu compte des dispositions de la loi dans leurs relations contractuelles. Ceci, en plus des mécanismes de médiation qu’ils ont mis en place à côté des départements chargés des plaintes au niveau de leur tutelle (cas des banques et des assurances).

De son côté, le ministère du commerce a lancé son portail du consommateur permettant la collecte et le suivi du traitement des plaintes ainsi que l’information du public sur ses droits.

S’ajoute à cela une évolution dans les décisions de justice ressentie par les professionnels au niveau de certains tribunaux.

«Dans les tribunaux de commerce, particulièrement dans les affaires de crédit bancaire, les juges sont désormais très à cheval en matière d’application stricte d’un certain nombre de dispositions de la loi 31-08.

«Par exemple, le délai de grâce (art 149 de la loi 31-08) est aujourd’hui appliqué. Si l’emprunteur fait face à un événement social imprévu le juge peut suspendre le remboursement du crédit. Il y a eu pas mal de décisions prises dans ce sens.

«Les juges ont aussi prononcé plusieurs jugements rendant nulles des garanties encore exigées par certaines sociétés de financement, comme le billet à ordre en blanc.

«Mais puisque la loi 31-08 se compose de plusieurs chapitres, il y a des domaines, comme celui de l’immobilier par exemple, où la réglementation n’est pas encore très bien appliquée par les juges». précise Me Anibar.

En tous les cas, ce sont là des évolutions positives en attendant la véritable montée en puissance du tissu associatif, principalement grâce au droit et à la capacité d’ester en justice.

>>Lire aussi: Consommateurs: 255 plaintes déposées sur le portail du ministère du commerce au 1er trimestre

 

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