L’épineuse question du chiffrage des programmes

La mise en œuvre des programmes imposera des choix difficiles, sans doute douloureux, au futur gouvernement, quelle que soit la majorité élue.
 

L’épineuse question du chiffrage des programmes

Le 5 octobre 2016 à 8h00

Modifié 5 octobre 2016 à 8h00

La mise en œuvre des programmes imposera des choix difficiles, sans doute douloureux, au futur gouvernement, quelle que soit la majorité élue.
 

La consolidation des finances publiques, la relance de la croissance et les moyens d’y parvenir constitueront des enjeux majeurs de la prochaine législature. Lacrédibilité des programmes des partis en compétition électorale tient non seulement à la capacité de les mettre en œuvre effectivement, mais aussi à la rigueur du chiffrage de leur mise en œuvre.

 

Qu’entend-on par chiffrage d’un programme? La notion peut revêtir différents sens.

Elle peut renvoyer aux grands indicateurs macro-économiques, relatifs à la croissance, à l’investissement, à l’emploi et aux deux grands équilibres interne et externe. Le chiffrage de ces variables est le moins problématique sur le plan méthodologique. Même s’il y a des exigences à respecter, des outils à maîtriser pour établir le “bon“ chiffre, c’est-à-dire le plus objectif possible, tenant compte des hypothèses retenues dans son élaboration.

Il y a des chiffres objectifs, que les partis peuvent avancer dans un domaine ou un autre des priorités, plus particulièrement dans le domaine social. Ces chiffres renvoient à des mesures, dont il faut estimer le coût financier sur les finances publiques et approcher l’impact sur finances publiques. 

Comment se présente le chiffrage des programmes électoraux?

Les approches retenues par les partis sont diverses.

Quelques-uns n’ont procédé à aucun chiffrage, pas même celui des grandeurs macro-économiques. C’est le cas de l’UC, de la FGD et du PPS.

L’UC, Union Constitutionnelle a choisi le format d’une Charte, afin de traduire une vision opérationnelle des actions à mener en urgence. Il a donc décidé de ne pas porter des promesses trop chiffrées.

Ce parti s’est focalisé sur 4 axes d’actions prioritaires. Ces axes ont toutefois été déclinés en 100 mesures clés, dont on n’a aucune appréciation du coût ni de l’impact.

La FGD a préféré un programme fondamentalement politique, donnant la préférence à une approche “qualitative“, focalisant sur les orientations et les choix politiques, essentiellement centrée sur des messages.

Aucun chiffre n’accompagne les messages forts relatifs aux réformes ou aux mesures censées les traduire en actions.

Le PPS a aussi mis l’accent sur des axes d’intervention et sur les mesures qui les accompagnent; les seuls chiffres avancés touchent l’augmentation du  budget de la santé et le recrutement de personnel médical et paramédical.

Le RNI, l’USFP, le MP, le PAM ont essentiellement opté pour un chiffrage des grandeurs macro-économiques (croissance, emploi, investissement public, inflation et déficits).

Le PI a crevé l’écran, en s’avançant non seulement sur le chiffrage ambitieux des variables macro-économiques, mais en s’aventurant sur un chiffrage des mesures préconisées dans pratiquement tous les domaines. Une initiative qui fait perdre au programme une part de sa crédibilité.

Le PJD a choisi une approche originale, qui suscite autant d’intérêt que d’interrogations sur sa fiabilité.

Son programme intègre les orientations et mesures dans un cadre macro-économique prévisionnel, synthétisant l’ensemble des principaux indicateurs économiques. Trois scénarios sont retenus: optimiste, pessimiste et moyen, dans lesquels les grandes orientations du programme, les objectifs stratégiques sont définis.

L’impact des grandes orientations sur le plan macroéconomique est approché par les effets multiplicateurs des mesures proposées. Le scénario moyen est privilégié: 5% de taux de croissance, déficit budgétaire à 3,2%, dette à 61% , solde courant à -2,8%.

Ce cadre macro-économique est accompagné d’autres indicateurs clés de suivi, qui concernent l’économie, le social, la gouvernance…

Taux de croissance: tout le monde d’accord

Quel regard critique peut-on porter sur les démarches de chiffrage des programmes électoraux?

Sur les aspects macro-économiques, les prévisions des taux de croissance présentées par les partis se rapprochent, autour de 5% à 6%. L’écart n’est pas large entre les différentes estimations. Mais les experts savent que ces taux se situent au niveau de croissance potentielle de l’économie marocaine.

Toute la question est de savoir si les facteurs de blocage de la création des richesses, les déterminants de la volatilité du PIB agricole seront maîtrisés.

Les réformes sectorielles et institutionnelles seront-elles menées avec détermination pour basculer dans une économie au profil plus industrialisé, moins sujette aux aléas de la nature et de la demande externe?

Créations d’emplois: paroles, paroles et encore des paroles!

L’autre chiffre culte des programmes des partis est celui de la création d’emplois projetés sur l’ensemble de la législature: 150.000 nets par an pour les plus réalistes.

Belles promesses, mais le flux d’arrivées sur le marché du travail poussées à la hausse par des tranches d’âge de 15 à 35 ans, encore pesantes dans notre pyramide des âges, ne serait une aubaine que si les conditions d’insertion sociale sont garanties par une politique économique efficace et pertinente.

Puis de quels emplois s’agit-il? Publics ou privés? Quelle part d’informalité prévoit-on dans les emplois générés par la croissance attendue? Quelles sont les activités locomotives dans la demande de main d’œuvre? Des emplois stables ou précaires?

Parallèlement aux estimations des valeurs macro-économiques, des partis ont avancé  quelques valeurs-objectifs pour renseigner les mesures sociales (niveau du smig et des pensions de retraites pour le MP, niveau de revenu minimum d’insertion pour le PPS, allocations familiales et aides pour les jeunes et création de centres de santé en milieu rural, pour le RNI…).

D’autres ont retenu des mesures de promotion de l’emploi (UC, USFP). Pratiquement tous les partis ont aligné des mesures de réforme fiscale portant sur la baisse de l’IS, la réduction du niveau de la TVA sur les biens de consommation de première nécessité ou sur l’investissement, les successions (PPS).…

La cohérence globale, un exercice complexe

L’estimation du coût d’une mesure est éclairante pour le débat, mais elle est complexe.  Certaines mesures structurelles sont difficilement chiffrables, en raison de leur complexité. Dans certains cas, les propositions n’ont pas ou peu d’impact financier ou ces impacts sont diffus et/ou difficiles à apprécier.

Des réformes réglementaires peuvent être politiquement ou socialement importantes, mais elles n’ont pas d’impact financier significatif.  

Certaines mesures fiscales comme les exonérations sur le revenu ou la simplification de la TVA (taux) ne sont pas suffisamment précises pour être correctement chiffrées. Selon la façon dont on conçoit une mesure fiscale, elle peut être une mesure qui coûte beaucoup ou qui rapporte au budget de l’Etat ou enfin qui est neutre.

Le chiffrage du coût ou du gain financier d’une proposition dans un programme électoral peut sous certaines conditions être un élément déterminant pour apprécier le réalisme de la proposition.

Ce qui vaut pour une mesure, vaut également pour un programme électoral dans sa totalité.

Il s’agit avant tout de voir si l’ensemble des propositions constitutives d’un programme forment un ensemble cohérent, compatible avec la situation des finances publiques.

L’exercice du cadrage macro-économique établi par le PJD pour apprécier l’impact de son programme sur les variables macro-économique est intellectuellement intéressant, mais il s’apparente plus à une approche de cadrage budgétaire.

Certes, cette approche peut mettre en évidence l’impact de telle ou telle proposition. Une dépense publique peut avoir ainsi un effet multiplicateur (mais le multiplicateur est différent selon qu’il s’agit d’une dépense d’investissement ou de fonctionnement). Cette dépense peut aussi avoir des effets socio-économiques bénéfiques secondaires, justifiés par son objectif.

Il est donc très difficile de simuler l’impact socio-économique de l’ensemble des mesures d’un programme à court et à moyen termes. Cela ne peut se faire qu’au moyen d’un très grand nombre d’hypothèses, qui rendent les résultats assez peu fiables.

Le résultat le plus robuste consiste à apprécier le caractère plus ou moins soutenable de l’ensemble des mesures à court terme. Il est encore plus difficile d’additionner le coût de mesures dont la mise en œuvre pourrait s’étaler sur une très longue période, comme les mesures figurant dans un programme économique ou social.

Ce type de mesures (exemple du soutien fiscal à l’utilisation de l’énergie solaire,) pourrait avoir des impacts financiers (en plus ou en moins) sur un horizon allant au-delà d’une décennie.

Le chiffrage sur longue période n’est guère possible pour les mesures fiscales qui n’ont pas de terme prévu: comment pourrait-on estimer le coût sur une longue période d’une nouvelle dépense? Faudrait-il multiplier le coût annuel par 10 ou par 20, en considérant que la dépense fiscale pourrait perdurer durant 10 ou 20 ans? Mais, lorsque cela est possible, il est souhaitable de préciser les effets financiers à moyen terme ou à long terme. Il est donc difficile d’additionner le coût d’une mesure ou d’un programme qui mérite un chiffrage sur le long terme avec des mesures chiffrées sur la seule législature.

Pour que l’estimation d’une mesure soit fiable, elle doit être associée à une durée: que ce soit l’octroi d’une exonération fiscale, une majoration d’impôt ou une création d’emploi.

Les approches d’estimation des coûts des mesures à effet de long terme dépendent des hypothèses retenues dans le modèle économique quant à l’efficacité de la dépense publique.

Ainsi, lorsque l’Etat embauche un fonctionnaire en début de carrière, il est probable qu’il va entraîner une charge publique pour une quarantaine d’années: le coût unitaire du recrutement serait plus élevé si on actualise le coût en dirhams actuels et en fonction de nombreuses hypothèses (évolution des rémunérations et des pensions, taux d’actualisation, etc.).

Par ailleurs, il n’y a pas de lien entre l’ampleur de la dépense et l’efficacité de la politique. C’est ce qui rend particulièrement peu fiables les approches en termes de chiffrages dynamiques: tout dépend de la mise en œuvre.

Dépenser plus pour recruter des enseignants peut être une mesure sans aucun effet sur le rendement du système éducatif, si elle n’est pas accompagnée de mesures pédagogiques pour contribuer à améliorer le niveau des élèves et réduire les déperditions scolaires.

Evaluer le rendement socio-économique d’une mesure dépend davantage du mieux (comment on va dépenser) que du plus (combien on va dépenser).

Un programme non chiffré peut être fiable

En conclusion, si le chiffrage doit être un des éléments d’appréciation d’un programme électoral et qu’il est important de s’assurer de la soutenabilité et du réalisme économique et financier des programmes, en revanche, il serait faux de croire qu’un programme chiffré serait  nécessairement plus pertinent qu’un programme non chiffré.  

Si les principales variables doivent faire l’objet d’un chiffrage, celui-ci n’est pas toujours possible ou fiable pour les mesures, faute d’informations suffisantes.

Il y a évidemment des mesures dont le chiffrage ne rencontre aucune difficulté majeure; elles sont en fait peu nombreuses. La plupart des mesures sont non chiffrables, soit parce que les partis ne disposent pas des informations nécessaires, soit parce que le chiffrage est rendu très compliqué par l’insuffisance d’informations précises et fiables sur leur contenu, soit parce que des hypothèses doivent être prises pour établir des estimations fiables.

Le chiffrage des programmes des partis est moyennement fiable, faute d’informations suffisantes ou à défaut hypothèses prises sur les variantes.
  

S’il est toujours souhaitable d’estimer le coût ou le gain financier des propositions électorales quand cela est possible, il est encore plus important de restituer les arguments en faveur ou en défaveur des propositions, de relever à chaque fois que cela est pertinent les impacts à long terme pour l’économie, pour se prononcer sur l’opportunité des mesures.

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