La nouvelle est passée quelque peu inaperçue, et pourtant c’est un événement dans le monde de la santé au Maroc car il prélude aux grands changements que va connaître le secteur des établissements de soins.

Fin 2014, le fonds marocain Blue Mango Capital, dont le président est Mohamed Elmandjra, a racheté aux médecins les murs et les équipements médicaux de l’établissement privé du centre-ville de Casablanca, spécialisé dans le traitement des cancers, et fondé par le Dr Mohamed Morchid et le Dr Abdellatif Bouih.

La transaction est symbolique car elle concerne l’un des fleurons des cliniques marocaines. « Al-Kindy est la première clinique d’oncologie au Maroc en raison de son antériorité – elle a été fondée en 1989 – et de sa réputation qui n’est plus à faire » souligne Mohamed Elmandjra, à l’occasion d’un entretien accordé à Médias 24. La clinique possède 15 chambres et réalise l’essentiel de son activité en ambulatoire avec un nombre de patients traités chaque année qui atteint les 10.000. Elle emploie 100 salariés et 6 médecins.

Accompagner les médecins

Toutefois, la transaction n’est pas que financière. « Le partenariat consiste surtout à accompagner la clinique dans sa gestion » souligne Mohamed Elmandjra. C’est un accord de prestation de service qui permet de « libérer l’équipe médicale de la gestion de la clinique pour que celle-ci se concentre sur son cœur de métier : soigner les patients » selon lui.

Concrètement, le fonds prend en charge la gestion de la clinique  à travers les investissements, le mobilier, les équipements, les ressources humaines. Parmi les premières décisions prises : l’achat d’un 2^e accélérateur, un investissement de 30 MDH, ce qui permet de doubler la capacité de la clinique en radiothérapie, soit 120 traitements par jour.

Ce modèle proposé par Blue Mango Capital aux cliniques marocaine n’est pas une invention puisqu’il existe déjà à l’étranger. Mais selon M. Elmandjra, c’est clairement le plus adapté aux défis auxquels doit faire face le secteur de la santé dans le pays. Avant de prendre les commandes du 2^e opérateur téléphonique marocain Méditel, Mohamed Elmandjra a effectué une partie de sa carrière aux Etats-Unis dans le secteur de l’équipement médical.

Un groupe organisé par spécialités médicales

Avec cette première pierre, dont M. Elmandjra veut faire le centre d’excellence au Maroc en matière de traitement des cancers, l’objectif est de bâtir un groupe d’établissements de soins organisé par spécialités. Le groupe pourrait à l’avenir comprendre un pôle oncologie, un pôle cardiologie, un autre consacré à la chirurgie ou à la neurologie.

L’idée consiste aussi à rationaliser les process, mettre au point des protocoles de soins validés et permettre l’accès depuis différents points du Maroc à un traitement de même niveau que dans le centre de référence. Et Mohammed Elmandjra de pointer l’inégalité d’accès aux soins entre les patients de l’axe Rabat-Casablanca et le reste du Maroc. En mettant en place un réseau de centres de traitement dans les principales villes du royaume, certains patients n’auraient plus à parcourir plus de 500 km pour se faire soigner à Casablanca.

Enfin, la massification des achats de matériels ou de prestations de services comme la formation pourrait permettre de réaliser des économies d’échelle.

A partir de ce modèle de développement, Mohamed Elmandjra se fixe pour objectif, à un horizon de 3 ans, de constituer plusieurs pôles de spécialité constitué chacun de 4 à 5 centres de soins.

Une fois cette étape franchie, le fonds pourra aller à l’étranger en visant en priorité l’Afrique subsaharienne où la demande est forte, notamment en oncologie. De nombreux patients africains sont soignés chaque année à la clinique Al-Kindy. Chaque pôle de spécialité pourrait ainsi se développer au-delà des frontières nationales en s’appuyant notamment sur la télé-médecine.

Reste à savoir à quel rythme et selon quelles modalités va se réaliser l’ambition de Blue Mango Capital. Si le contexte est favorable avec un nouveau cadre législatif permettant l’ouverture du capital des cliniques, il existe encore des interrogations parmi lesquelles la volonté des médecins de céder tout ou partie de la direction de leurs actifs et celle des investisseurs à se lancer dans ce nouveau secteur. Une chose est sûre : les capacités de traitement sont encore trop faibles et mal réparties sur le territoire pour faire face à une demande en forte progression.